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 Feux d'artifice à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance, Alger, 5 juillet 2012 ©	REUTERS/Louafi Larbi
Feux d'artifice à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance, Alger, 5 juillet 2012 © REUTERS/Louafi Larbi

En Algérie aussi, le changement, c'est maintenant!

Les Algériens ont des raisons d'espérer un changement plus ou moins proche. Regard d'un écrivain algérien à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance.

«L’ancien monde a déjà disparu, le nouveau monde n’est pas encore là, et dans cet entre-deux les monstres apparaissent.»

Cette fameuse phrase de Gramsci n’a jamais été autant d’actualité en Algérie, au moment où le pays fête le cinquantenaire de son indépendance (5 juillet 2012).

Fin de cycle

L’Algérie vit en effet clairement une fin de cycle, celui de la génération qui a libéré le pays et tient les rênes depuis l’indépendance en 1962.

Désormais septuagénaire, cette génération ne peut plus gouverner durablement un pays où la moitié des habitants a moins de 25 ans et où 85% d’entre eux n’a pas connu la guerre.

Fin de cycle que les derniers événements politiques confirment: les élections législatives du 10 mai ont consacré le statu quo.

La mise en place du nouveau gouvernement se fait attendre. Les réformes politiques annoncées s’enlisent.

Des crises graves secouent les partis existants. Bouteflika a même lancé un appel à la relève. Bref, prédomine une impression d’immobilisme mâtinée d’ambiance de «fin de règne».

Ceci étant, rien ne sert d’être défaitiste. Après tout, 50 ans sur l’échelle d’une nation, c’est peu! L’Algérie moderne sort à peine des tumultes de l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte; n’oublions pas qu’en France, par exemple, un siècle sépare la révolution de la première République parlementaire (1871)…

L’enjeu aujourd’hui est moins de chercher des coupables que de trouver des solutions, il est moins de ressasser le passé que de construire l’avenir.

Mais le «nouveau monde» attendu a encore du mal à s’imposer. Comment accélérer son émergence, dans le cadre d’une transition apaisée et négociée? Cette remise en mouvement de l’Algérie doit s’appuyer sur quatre moteurs.   

Quatre dynamiques 

D’abord, celui des entrepreneurs. Moins l’Algérie aura de pétrole, plus elle aura besoin d’entrepreneurs...

Pour diversifier l’économie, innover, exporter, sortir de l’addiction court-termiste aux hydrocarbures et créer les emplois durables dont le pays a aujourd’hui ardemment besoin, notamment pour ses jeunes. Les entrepreneurs jouent un rôle clé dans le renouveau de l’Algérie.

Et plus ils seront nombreux et engagés, plus la pression pour un Etat de droit, pour des «règles du jeu» lisibles, stables et équitables sera forte: démocratiser l’entrepreneuriat peut aider à démocratiser l’Algérie tout court!

Le second moteur est celui de la révolution silencieuse des vingt dernières années: la lente mais sûre montée en puissance des femmes algériennes dans la vie de la cité, malgré de nombreux obstacles culturels, matériels et juridiques. 1,5 million de femmes travaillent, soit trois fois plus qu’en 1990.

Le nouveau Parlement compte 30% de femmes députés, record du monde arabe. Sur les 1,5 million de diplômés du supérieur, plus de la moitié sont des femmes. Le taux de fécondité est passé de 7 à 3…

Comme l’a montré le démographe Emmanuel Todd, cette émancipation féminine bienvenue anticipe souvent un changement plus profond dans la société.  

Promotion d'un islam progressiste

Troisième moteur essentiel: l’affirmation et la promotion d’un islam progressiste —patrimoine commun de tous les Algériens, y compris laïcs.

C’est une erreur, une défaite idéologique que d’avoir abandonné l’islam aux intégristes qui ont dénaturé sa vocation première.

Tous les démocrates doivent se réapproprier et valoriser collectivement un islam de progrès, ce qu’il est profondément et ne devrait jamais cesser d’être.

Il s’agit d’un moteur essentiel car dans les sociétés maghrébines et arabes, l’islam joue un rôle central. Le nier est vain: aucun changement populaire ne se fera contre l’islam, quand bien même, en Algérie, la voie d’un islamisme politique majoritaire paraît durablement écartée.

Dernier moteur: celui de la diaspora de plus de sept millions d’Algériens, souvent désireux d’être utiles à leur pays.

Une diaspora, aussi large que bien formée, qui —des dizaines de milliers d’anonymes (chercheurs, médecins, cadres…) aux artistes reconnus (Khadra, Fellag, Idir…)— fait rayonner l’Algérie aux quatre coins du monde.

Son apport est précieux, car à l’heure d’une mondialisation irréversible et accélérée, l’essor de l’Algérie ne peut plus se penser de manière endogène, à l’abri des mutations internationales.

La mobilisation de nouvelles élites dynamiques et motivées, enrichies par l’expérience d’autres cultures, armées de compétences de standard international est un atout indéniable pour accélérer le décollage du pays et lui permettre de se projeter à nouveau sur le monde.

Deux grandes inconnues

Les quatre moteurs de la fusée sont déjà enclenchés et prêts à monter en puissance. «Reste» à déterminer deux éléments clés.

D’une part le pilote: sera-t-il un «réformateur» issu du sérail, un des rénovateurs des partis historiques, voire de l’armée?

Ou bien, tel un Obama algérien, va-t-il surgir de manière inattendue des nouveaux partis agréés aux dernières législatives ou du vivier méconnu de la société civile algérienne?

L’autre élément à préciser est la date de décollage: au moment des élections présidentielles de 2014, moment de vérité dans un pays marqué par le mythe de l’homme fort et où le président de la République concentre l’essentiel des pouvoirs?

Ou bien avant, dans les prochains mois, en raison d’événements imprévus et d’une accélération de l’Histoire?

Dans un pays qui navigue à vue, rompu aux coups de théâtre et aux cercles de pouvoirs opaques, personne aujourd’hui n’est à même d’apporter de réponses claires et définitives à ces questions. Mais une chose est sûre: en Algérie, le changement, c’est aussi maintenant !

Tarik Ghezali

Auteur de Un rêve algérien, Chronique d’un changement attendu, éditions de l’Aube (mai 2012).


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Pour plus d'infos: le Blog Paroles d'Algériens

Tarik Ghezali

Ingénieur de formation et expert en économie solidaire.

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