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La victoire des islamistes égyptiens galvanise leurs «frères» marocains
Les islamistes du royaume, gouvernementaux ou illégaux, saluent unanimement une investiture qu’ils vivent comme un acte précurseur de leur règne futur.
Mise à jour du 30 juin 2012: Le président égyptien élu, l'islamiste Mohammed Morsi, est officiellement investi, ce samedi 30 juin, devant la Haute cour constitutionnelle.
La veille, Mohammed Morsi a symboliquement prêté serment devant des dizaines de milliers de personnes place Tahrir, en prévenant implicitement l'armée qu'aucun pouvoir ne serait au-dessus de celui du peuple.
«Je jure par Dieu de préserver le système républicain, de respecter la Constitution et la loi, de protéger entièrement les intérêts du peuple, et de préserver l'indépendance de la nation et la sûreté de son territoire», a-t-il solennellement déclaré.
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De la Salafia Jihadia, groupuscule extrémiste au Parti de la justice et du développement (PJD) qui dirige le gouvernement, des déclarations débordantes d’enthousiasme encensent l’élection du premier président islamiste du monde musulman.
Avec la victoire de Morsi en Egypte, le printemps vert bat son plein au Maroc. Le palais, lui, s’est montré plus circonspect, préférant laisser la primauté à ses barbus pour féliciter le nouveau maître d’Héliopolis.
Le télégramme de félicitations de Mohammed VI s’est fait désirer, arrivant bien après celui de Benkirane et de Fathallah Arsalane, porte-parole de l’association islamiste tolérée Al Adl Wal Ihsan (Justice et Bienfaisance).
Non sans pointe d’humour, un éditorialiste du site d’information Goud.ma fait remarquer que le roi a félicité les présidents de Croatie et de Slovénie pour leurs fêtes nationales respectives, mais qu’il a laissé Morsi à son Premier ministre.
Faut-il y voir pour autant un signe de la part du Commandeur des croyants envers Morsi? Pas à la lecture du télégramme tardif, au ton cordial, de Mohammed VI, où il félicite Morsi pour «la précieuse confiance» placée en lui par le peuple égyptien.
Les islamistes prient pour leurs Frères musulmans
Benkirane, lui, avec son ton gaillard devenu sa marque de fabrique, a laissé libre cours à sa joie, comme le rapporte le site Bladi.net. Il a salué la «victoire de la démocratie», tout en encourageant Morsi à «collaborer avec les autres courants de la société égyptienne».
Il s’est par ailleurs étonné du nombre de voix obtenues par Ahmed Chafiq, qu’il a qualifié de «candidat de l’ancien régime». La déclaration d’Al Adl Wal Ihsane n’a pas hésité à faire dans la prière «que Dieu vous guide vers le bien de la religion et de la vie terrestre», a conclu Fathallah Arsalane.
Encore plus direct, Mohamed Fizazi, leader de la mouvance salafiste, interpelle directement Morsi:
«Sois un homme!»
L’émir fraîchement libéré de prison, rentre tout juste d’un séjour de trois semaines en Egypte où il a fait campagne pour Morsi.
«J’y ai rencontré de nombreux hommes politiques et accompagné une vive bataille électorale (…) J’incitais tous ceux que je rencontrais à voter pour Morsi», a-t-il déclaré au site Hespress.
Selon lui, voter pour le candidat des Frères, c’est voter pour l’islam, et surtout contre Chafiq qu’il a qualifié de «candidat de la laïcité, de la trahison, et du meurtre des manifestants».
Morsi bientôt au Maroc?
La victoire des islamistes égyptiens a suscité un tel enthousiasme chez leurs acolytes marocains que la rumeur d’une visite prochaine de Morsi s’est répandue comme une traînée de poudre dans les rangs du PJD.
Selon le site d’information égyptien Masrawy, le parti de Benkirane aurait établi des contacts, il y a quelques mois, avec le candidat des Frères musulmans pour l’inviter au congrès du PJD, qui se tiendra les 14 et 15 juillet 2012, à Rabat. Un congrès où sont attendues trois mille personnes.
Le site égyptien affirme toutefois qu’il serait peu probable que le président élu réponde à l’invitation, mais qu’il se ferait certainement representé par un cadre du parti Justice et Liberté.
Depuis l’annonce de l’investiture de Morsi, les islamistes n’en finissent pas de savourer leur sacre. Un éditorialiste du site Hespress, à la plume franchement verte, compare l’événement au règne légendaire des «quatre califes bien guidés».
Pour lui, il s’agit d’une victoire contre le despotisme, un aboutissement de la révolution.
«Les Egyptiens ont eu l’illusion de la révolution lorsqu’ils ont aboli la monarchie, mais Nasser n’a pas tardé à persécuter les Frères, rappelle-t-il aux laïcs, avant de prophétiser. Ce n’est que le début d’un long processus qui couronnera la marche de la mouvance islamiste vers le pouvoir dans les autres pays.»
Un autre éditorialiste sur le site Goud.ma voit avec soulagement l’arrivée de Morsi après une longue bataille de 84 ans contre le pouvoir. Pour lui, l’Egypte a échappé de justesse à un scénario à l’algérienne.
Les laïcs marocains dubitatifs
A l’autre bout du spectre idéologique, les laïcs marocains accueillent la victoire de Morsi sans enthousiasme. Ahmed Bennani, anthropologue et militant des droits humains, affirme sur le site Demain Online que le candidat des Frères n’aurait jamais gagné sans l’aval du CSFA. Pour lui, cette élection n’a rien d’historique, et Morsi restera, le temps nécessaire, chef de l’Etat.
«Le printemps arabe n’est pas un événement réductible à la chute d’un dictateur ici ou là, ni à une élection «arrangée» entre islamistes et forces armées, c’est un processus irréversible qui conduira inéluctablement à l’émergence de l’individu citoyen et à la venue d’une démocratie pleine et entière fabriquée par une réinvention du politique. La phase du printemps que nous vivons est toujours entre le crépuscule des dictatures et celle des aubes citoyennes.»
Le site Lakome s’intéresse, quant à lui, au salaire de Morsi, 1.660 dollars par mois, qu’il compare évidemment au coût, amplement plus faramineux, de la monarchie marocaine.
Un éditorialiste du même site rappelle d’ailleurs que le révolution est un processus, et que la volonté populaire qui a mené le nouveau président égyptien au pouvoir pourrait être la même qui le destituerait demain.
Quel que soit leur bord, les observateurs marocains savent que l’arrivée d’un Frère musulman au pouvoir en Egypte inaugure une nouvelle ère politique dont les contours ne sont toujours pas clairs. Morsi modifiera-t-il la société égyptienne? Touchera-t-il aux libertés? Des questions auxquelles ses premières semaines de règne apporteront des réponses.
Vu du Maroc, le pays des pharaons a toujours été le laboratoire du monde arabe, là où les idées naissent et imposent leur rayonnement sur toute la région. Les laïques qui assistent à la tombée du Caire entre les mains des islamistes se demandent déjà quel sera le prochain pays sur la liste.
Zineb El Rhazoui
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