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Le printemps arabe des homosexuels algériens
A Alger, les homosexuels sont déterminés à briser les tabous et affirmer leur droit à la différence.
Le printemps arabe ne cesse de nous surprendre. Des dictatures tombent et la population réclame des changements radicaux.
A l’instar de Tunis, qui a franchi une nouvelle ère, Alger change aussi de couleurs. La tension monte et les homosexuels bravent «l’interdit» et défendent leur droit d’exister.
Il y a quelques mois, un groupe d’homosexuels a lancé une nouvelle page sur le réseau social Facebook: Methly Bled. Un espace voué au débat et à l’échange, à des discussions et réflexions sur les conditions des homosexuels de la ville Blanche.
Quarante-huit heures après son lancement, Methly Bled compte plus de cinquante membres.
«Nous voulons créer notre propre réseau et affirmer notre présence», déclare Abdelhakim (de surnom Kim, 32 ans), administrateur de la page.
«Les révolutions tunisienne et égyptienne ont pu mobiliser les jeunes et informer l’opinion publique internationale via Facebook. Elles nous inspirent. Nous, on ne veut rien d’autre que défendre nos droits civiques et dénoncer les abus du Code pénal», ajoute-t-il.
Seuls face à la loi
Selon l’article 338 du Code pénal algérien «tout coupable d’un acte d’homosexualité est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2.000 Dinars algériens (5 à 20 euros). Si l’un des auteurs est mineur de moins de dix-huit ans, la peine à l’égard du majeur peut être élevée jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 10.000 dinars d’amende».
Un texte qui n'a pas été modifié depuis juin 1966 et qui suscite la rage des homosexuels.
Lulu, le pseudonyme d’une lesbienne de la banlieue d’Alger, a adressé, en 2011, une lettre, forte de ton et claire de contenu, au président de la République, Abdelaziz Bouteflika, lui disant:
«Je suis très préoccupée par le fait que l'homosexualité reste toujours un délit passible de peines de prison (article 338 du Code pénal). Cet état de fait: arrêter des personnes bien et les maintenir en détention et faire d'eux des criminels alors qu'ils ne le sont en aucun cas. Les détenus sont exposés à tous les dangers dans des prisons surpeuplées et sont sujets à des agressions par le personnel des pénitenciers et les autres détenus»
Elle conclut:
«Je vous demande d'user de vos prérogatives de chef de l'Etat pour mettre en place des démarches pour l'abolition de cette loi, conformément aux obligations de l'Algérie au regard du droit international. Je vous rappelle que depuis des années l'homosexualité n'est plus déclarée comme maladie par l'OMS».
De son coté «Mec» (30 ans, architecte de formation) croit que «ce Code pénal ne sert qu’à une seule chose: la protection des violeurs».
Et il ajoute:
«Nombreux sont ceux qui violent des homos car ils savent que la loi ne les protège pas.»
Généralement, les procès pour ce type de délits se déroulent à huis-clos. S’il y a très peu de plaintes déposées, le harcèlement social et le rejet des autres représentent les véritables défis à affronter en Algérie.
Les «non-dits» du drame
De nombreux homosexuels que nous avons rencontré nous ont raconté des histoires touchantes, voire choquantes, sur le regard méprisant et la violence qu’ils subissent des autres.
Nadir, 22 ans, étudiant en anglais à la faculté de Bouzeréah, avoue:
«Un jour, me baladant, un peu tard, sur les trottoirs de la rue Audin, en plein centre-ville d’Alger, un automobiliste s’est brusquement arrêté devant moi. Il m’a proposé de me ramener chez moi. J’ai gentiment refusé. Il insistait et j’ai compris son intention. A la fin, au bout de quelques minutes, se rendant compte qu’il ne pourrait pas assouvir son désir avec moi, il m’a insulté: "sale gay".»
Alors que Malik, âgé de 23 ans, stagiaire dans un centre de formation professionnelle, se souvient encore du jour où il a été, au sein d’une clinique privée, harcelé par un barbu quinquagénaire, qui voulait absolument coucher avec lui.
«Aujourd’hui, les islamistes ont le droit de tout faire», commente-t-il.
Au-delà de l’ingratitude sociale, les homosexuels d’Alger essaient de mener leur vie d’une façon ordinaire. Ils se sont engagés à défendre leurs choix.
«Nous nous rencontrons de temps en temps, surtout le weekend, dans un bar à Alger centre et parfois dans un salon de thé à Sidi Yahia, près d’Haydra. On organise des excursions dans des villes côtières, comme Oran et Annaba, pour changer la routine», nous apprend Mounir (25 ans), administrateur de la page Facebook HomoDz qui a été, il y a deux mois, attaquée puis fermée par un hacker, après avoir reçu un tas de menaces.
Mounir est convaincu par son choix et assume pleinement son homosexualité, en dehors de la maison, loin des regards de ses parents. Son dernier obstacle est «son père». Il nous explique:
«Je suis prêt à déclarer mon choix et à publier ma photo sur les journaux. Mais un seul rempart m’empêche: mon père. J’ai peur de sa réaction. Je suis sûr qu’il me comprendra mal. Il dépasse aujourd’hui la soixantaine et je ne veux pas le choquer.»
La Mecque perdue
Les homosexuels d’Alger partagent le plaisir de vivre dans un pays qui était, à un moment donné, une destination prisée des homosexuels. Un pays qui a accueilli le romancier André Gide (1869-1951), prix Nobel de littérature en 1947, le poète et dramaturge Oscar Wilde (1854-1900), auteur d’Une femme sans importance et le peintre Alphonse Etienne Dinet (1961-1929), auteur d’Esclave d’amour et Lumière des yeux.
Un pays qui a donné naissance à la star du raï Cheb Abdou (Elton John d’Algérie) qui inspire des milliers de jeunes et reste, depuis plus de dix ans, l’un des chanteurs les plus vendus.
Ils continuent leur engagement et affirment leur volonté de mettre fin à ce statu quo, en espérant que le vent du changement qui s’approche, petit à petit, de la capitale du pays apportera une vie meilleure, où ils pourraient s’exprimer et imposer leur différence dans une ville qui essaie de vivre en harmonie en dépit de toutes les contradictions.
Saïd Khatibi
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