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Les «Monologues du vagin» en version marocaine
Une troupe de théâtre marocaine adapte la célèbre pièce d’Eve Ensler. Une bouffée d’air frais en ces temps de conservatisme religieux.
«Dialy, (il est à moi), il m’appartient et c’est le mien!»
A quoi font allusion ces jeunes actrices engagées qui scandent ces mots avec colère sur les planches d’un théatre de quartier à Rabat?
Dialy, la pièce qu’elles jouent, démarre par une question inattendue:
«- Comment appelle t-on l’organe sexuel féminin en dialecte marocain ? - Pardon ??? Je vous entends mal, à haute voix s’il vous plaît !».
Une vraie bouffée d’oxygène en ces temps de marasme culturel officiel où «l’art propre», comprenez bigot est érigé en système de valeur par les islamistes au pouvoir.
Un laboratoire de la féminité
Inspiré des fameux «Monologues du vagin» d’Eve Ensler, le spectacle Dialy a suivi un long processus de maturation. Pendant les sept mois de résidence au Théâtre Aquarium avec le soutien de l’Institut Français de Rabat, des témoignages de plus de 150 femmes ont été réunis pour aboutir à sa création.
Situé dans le quartier populaire Akkari de Rabat, l’association théâtre Aquarium où l’idée de Dialy a germé, est un lieu qui érige l’art en moyen d’expression féminine et de mise en valeur des laissés-pour-compte.
Elle s’est fixée pour mission principale «la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes et la diffusion de la culture de genre via l’utilisation de l’art».
«Nous comptons réaliser, d’ici juin, une lecture dramaturgique de la pièce théâtrale Les monologues du vagin d’Eve Ensler. Nous voulons monter cette pièce à la marocaine. Nous ne nous contenterons pas de la traduire, mais de la réadapter», avait annoncé Abdellatif Oulmakki, le seul homme promoteur de l’idée.
Le projet enfin réalisé est le fruit d’un minutieux travail de collecte, d’enquêtes, d’interviews menées pendant les ateliers de «!!!, expression féminine», une sorte de laboratoire de la conscience féminine, un espace de rencontres et de débats défiant les pesanteurs sociales.
«Il s’agit de donner la parole aux femmes du quartier, quel que soit leur profil. Les témoignages sont anonymes, et il s’agit pour elles de s’affranchir de leurs souffrances en les partageant avec une autre personne », explique Abdellatif Oulmakki.
«Dialy sillonne les mémoires de femme, dans un voyage au cœur de leur intimité, comme une touriste dans son propre pays», peut-on lire sur le site Babelfan.ma. Loin des harems et des mythes du hammam, à travers les souvenirs des femmes et de leurs récits touchants et hilarants, la pièce brise le tabou et le silence ancrés dans la mentalité marocaine, pétrie de puritanisme, de conservatisme, de machisme, de patriarcat et de religiosité.
«Cette pièce vise à dissiper l’hypocrisie sexuelle des Marocains, mystiquement cachée sous la hantise de la Hchouma (la honte), une fausse pudeur qui n’est sanctionnée ni par le Coran ni par le hadith et qui nous vient ironiquement de l’Europe victorienne, rongée par la culpabilité chrétienne» écrit Abdelilah Bouasria dans une ode à la femme marocaine.
Une excision culturelle de la sexualité
«Quand les filles du théâtre Aquarium crient «Dialy !» en s’appropriant ce qui est le leur, leur vagin, elles font un clin d’œil de fer au Makhzen (l'Etat, Ndlr) dont l’arsenal juridique contient l ’article 490 du code pénal qui prévoit une peine de prison allant d ’un mois à un an pour toute relation sexuelle hors mariage entre deux adultes» ajoute-t-il.
Une hypocrisie du système juridique en vigueur dans le royaume de plus en plus dénoncée par la société civile.
«Dans la société marocaine, il faut souligner qu’une majorité de femmes souffre d’un mal-être corporel», rappelle Naïma Zitane, présidente de la troupe Aquarium et metteur en scène, avant d’ajouter : «Il suffit de vivre dans cette société marocaine pour le constater».
Dialy dévoile à travers les différents âges des femmes, l’excision culturelle des mots et d’expressions liées à la sexualité féminine, et remet en question la place de relégation qu’occupe la femme dans la société marocaine.
La pièce théâtrale d’Eve Ensler a été extrapolée sur toutes les parties du corps féminin, et les textes remplacés par les confidences des participantes aux ateliers de prise de parole et aux tables rondes.
«Les déboires et les joies de ces femmes seront ainsi narrés sans langue de bois ni fausse pudeur, par des comédiens prêts à... appeler une chatte une chatte» commente le magazine TelQuel.
Ali Amar
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