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L'Algérie est-elle malade de son passé?
L’histoire de la guerre de libération ne séduit plus vraiment les jeunes.
Au moment où l’Algérie célèbre le cinquantenaire de son Indépendance, un fossé se creuse, de plus en plus, entre la génération des Moudjahidines (résistants) et celle d’aujourd’hui. Des accusations sont échangées sur la responsabilité de chacune sur l’impasse dans laquelle se trouve le pays actuellement, et une ambiance de non-confiance s’est établie entre les deux au fil des années.
Conflit générationnel
«Ma génération est arrivée à terme», ainsi parla le Président de la République Abdelaziz Bouteflika, à Sétif, le 8 mai dernier, dans un discours commémoratif des événements du 8 mai 45. Un message haut et fort, très significatif, mais qui reste encore «noir sur blanc» car, seule la génération «du président» (des Moudjahidines), qui gère le pays, occupe les postes-clés depuis cinquante ans. Une génération «isolée des soucis de la base, inconsciente de son vrai rôle» commente Hakim, un blogueur.
«Le triomphe du patriarcat ne fut ni un hasard ni le résultat d’une révolution violente», écrit Simone de Beauvoir; tout comme «le triomphe» de la génération des Moudjahidines en Algérie qui ne fut qu’un «privilège historique» résultant d’une guerre de libération de sept ans, qui a brillé par son aspect héroïque, et qui a déçu plus tard ses vrais déclencheurs par ses conflits fratricides et ses complots internes qui n’ont toujours pas abouti. Le dossier des «faux Moudjahidines» mis en relief par le moudjahid Benyoucef Melouk, ancien fonctionnaire au ministère de la justice, est encore d’actualité.
La génération des Moudjahidines est un tabou
Personne ne peut nier les avancées considérables enregistrée, ces dernières années, sur le plan de la liberté d’expression dans le pays, avec le multipartisme, et l’ouverture des champs médiatiques; mais nul ne peut nier une réalité: la génération des Moudjahidines est un tabou. Dans la presse, on évite souvent de les critiquer, il suffit de porter l’étiquette de «Moudjahid» pour mettre toute une barrière qui le sépare des «autres», des faiseurs de l’opinion publique.
Au cinéma, il est désormais «interdit» de réfléchir à un projet sur cette génération, ou sur la période de la guerre de libération en général, sans passer par le ministère des Moudjahidines pour avoir un accord qui est difficile à obtenir. La génération des Moudjahidines en Algérie, peu nombreuse et considérée comme «une minorité», détient le pouvoir exécutif et le sommet de l’institution militaire. Une génération qui devait être passionnée par Louis XI qui déclara: «En politique, il faut donner ce qu’on n’a pas, et promettre ce qu’on ne peut pas donner».
Responsables de l'échec du processus démocratique
Les Moudjahidines, à qui l’on doit rendre hommage suite à leur engagement et leur patriotisme lors de la guerre de libération, assument une bonne part de «l’échec» du processus démocratique en Algérie. Ils dirigeaient, depuis 1962, l’école algérienne vers un seul sens où «l’idéologie prend le dessus sur la pédagogie», écrit le journaliste et romancier Mohammed Taoufik.
«Ils inculquaient aux élèves un nationalisme qui prônait la haine des autres», ajouta-t-il. Ils sont partiellement responsables aussi de la «non-réconciliation» du peuple avec son passé, en inventant des termes et des ennemis, comme celui de «harkis» qui sème l’ «intolérance», et empêchant ainsi les Pieds-Noirs de se rendre sur leur terre natale. Ils sont aujourd’hui à la fois le «passé» et le «présent», voire le futur du pays; et ce seront encore et toujours eux qui fêteront le cinquantenaire de l’ Indépendance, en l’absence des jeune qui préfèrent scander sans cesse les paroles du fameux rappeur algérien Lotfi Double Kanon, qui s’adresse à eux en ces termes: «ceux qui ont ruiné le pays doivent disparaître!».
Au moment où certains pays du monde arabe fêtent déjà les premiers anniversaires du «Printemps arabe», les jeunes algériens subissent, malgré eux, le choix du système politique mis en place, système qui célèbre «la fête de l’Indépendance pour nous faire oublier nos propres peines», comme dit Saleh Hami, un sociologue.
Le programme des festivités, déjà tracé, parrainé par la présidence de la République en collaboration avec les ministères de la Culture et des Moudjahidines, et qui durera toute une année (jusqu’à 5 juillet 2013), est basé sur la glorification du «passé». Les jeunes sont encore une fois écartés, et n’ont qu’à attendre un changement qui tarde à venir, d’autant plus après les législatives du 10 mai 2012 qui ont donné le Front de Libération Nationale (le parti unique durant trente ans) majoritaire.
Saïd Khatibi
*Ecrivain et Journaliste algérien
Petit fils d’un Moudjahid
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