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Des familles autour de la dépouille de leurs proches, après l'attaque d'un bar à Bujumbura, septembre 2011. © REUTERS/Stringer
Des familles autour de la dépouille de leurs proches, après l'attaque d'un bar à Bujumbura, septembre 2011. © REUTERS/Stringer

Burundi: Affronter le passé pour guérir de la douleur

Les Burundais doivent faire face à leur passé douloureux pour reconstruire un pays marqué par cinquante ans de conflits et une guerre civile qui a duré vingt ans.

Mise à jour du 1er juillet 2012: Le Burundi (et le Rwanda) célèbre le cinquantième anniversaire de son indépendance acquise le 1er juillet 1962. A cette occasion le chef de l'Etat burundais accorde son pardon aux criminels. Pierre Nkurunziza a signé un décret permettant à plusieurs prisonniers d'être libérés. Le nombre de détenus qui vont sortir de prison à la faveur de la grâce présidentielle est important: plus de 65% des 10 500 pensionnaires des maisons d’arrêt du Burundi.

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Si le Burundi est très connu pour ses célèbres tambourinaires, art sacré et symbole d’une spiritualité séculaire, ce sont les violences et les massacres dont il est régulièrement le théâtre qui mettent généralement ce pays de la région des Grands lacs en Afrique, à la une de l’actualité internationale.

Depuis son indépendance en juillet 1962, il y a tout juste cinquante ans, le Burundi a connu une série de massacres à grande échelle, qui a culminé avec la guerre civile meurtrière des deux dernières décennies.

En 2010, les élections communales et présidentielle ont entériné l’absence de dialogue entre l’opposition et le pouvoir en place. Depuis, la situation politique n’a eu de cesse de se dégrader.

2011: une année de violence politique

Dans un rapport récent, l’ONG Human Rights Watch affirme:

«Pour de nombreux Burundais, 2011 a été une année sombre, marquée par des tendances alarmantes de violence politique. Plusieurs dizaines de personnes ont été brutalement tuées dans des attaques à motivation politique […] Les forces de sécurité étatique, les services de renseignement, des membres du parti au pouvoir et des membres de groupes d’opposition ont tous utilisé la violence pour cibler des opposants réels ou supposés (…)»

En d’autres termes, les hommes politiques de tout bord, issus pour la plupart des rangs de la rébellion dans chaque camp, semblent avoir fait de la violence leur principal mode d’expression.

C’est dans ce contexte que des associations locales tentent péniblement de faire respecter le droit international humanitaire.

En mars 2012, Impunity Watch-Burundi et le Centre d’appui et de réflexion des associations des victimes des conflits sociopolitiques (CARAVI) ont adressé un courrier aux représentants des Nations unies à Bujumbura, la capitale, afin de les alerter sur la destruction des charniers de Kivyuka, dans la province de Bubanza, au nord-ouest du pays.

Il y a quelques mois, les autorités burundaises ont en effet confié les travaux préliminaires de bitumage de la route Bubanza-Ndora, au groupement français SOGEA-SATOM-GETRA.

Or, selon la plate-forme des huit associations qui militent pour les droits des victimes de la guerre civile, le tracé de cette route passe au-dessus des charniers de personnes massacrées en 1996.

A l’époque, pour la seule année 1995, le rapporteur spécial des Nations unies, chargé d’enquêter sur la situation au Burundi, estimait à quinze mille personnes, le nombre de victimes de ce qu’il appelait alors un «génocide au compte-gouttes».

L’année suivante, sous la présidence de feu le président Sylvestre Ntibantunganya —qui succéda à Cyprien Ntaryamira, tué, en avril 1994, dans un attentat contre l’avion du Rwandais Juvénal Habyarimana—, une colonne de l’armée régulière assassine froidement trois cent-cinquante personnes sur le marché de Kivyuka.

L’hégémonie du CNDD

Les autorités d’alors soupçonnaient la population de soutenir les rebelles du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), qui s’est transformé depuis en parti et domine  sans partage la vie politique burundaise.

Parallèlement à leurs démarches auprès des Nations unies, le CARAVI et Impunity Watch-Burundi se sont adressés à l’actuel ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana.

Après avoir constaté la destruction de l’une des trois fosses communes par les engins de terrassement, les associations de victimes réclamaient la préservation de ces fosses qu’elles considèrent comme des preuves à la disposition de la Commission vérité et réconciliation, la protection de toutes les fosses communes du pays et enfin, l’ouverture d’un cadre de dialogue avec toutes les parties intéressées par ce problème.

Elles rappelaient par ailleurs au ministre que les autorités avaient promis la protection de ces sépultures et la construction d’un monument à la mémoire de ces disparus.

Dès le début des travaux, les associations des familles de victimes aussi ont demandé au groupement SOGEA-SATOM-GETRA de surseoir au traçage de cette route.

Dans un courrier daté du 25 février 2012, adressé à son donneur d’ordre, le directeur de l’Office des routes du Burundi, le groupement français écrit:

«Nous venons de recevoir le courrier ci-joint, que nous vous retransmettons. Comme vous le savez, contractuellement, nous ne sommes en rien responsables des expropriations et du tracé de la route. Nous comptons sur votre collaboration pour expliquer à l’ensemble des concernés, que nous ne sommes en rien responsables et que nous n’avons aucun moyen d’action sur le sujet […]»

Immédiatement, Impunity Watch-Burundi et le CARAVI se sont émus de cette réponse adressée d’abord aux autorités rwandaises. Elles souhaitaient un dialogue direct avec l’entreprise française.

Le casse-tête des ONG

En avril 2012, la plate-forme des huit associations apprend que l’administration locale entend poursuivre les travaux de construction de la route Bubanza-Ndora, malgré toutes leurs démarches. Elles entreprennent alors une nouvelle campagne de mobilisation qui aboutit à la suspension des travaux.

Entre temps, face aux doutes sur le caractère humain de certains restes, —l’existence d’un marché et surtout d’un abattoir à l’endroit même où furent commis le massacre de Kivyuka a fait dire à certains que ces fosses ne contenaient que des restes d’animaux—, une fondation guatémaltèque a procédé aux analyses scientifiques qui confirment leur nature humaine.

Face à la pression internationale, les autorités burundaises ont maintenu la suspension des travaux. Elles ont également accepté la médiation du CICR, dont l’un des experts en exhumation des corps prépare actuellement un rapport.

Au-delà du cas de Kivyuka, ce rapport serait aussi destiné à aider les autorités à définir une politique globale de gestion des fosses communes.

Edouard Nduwimana, le ministre de l’Intérieur burundais a promis que ce rapport sera rendu public dès sa parution. Il a également précisé que la déviation de la route Bubanza-Ndora avait été écartée, compte tenu de son coût prohibitif.

Les corps des trois fosses communes de Kivyuka seront donc exhumés et enterrés ailleurs, afin de permettre la poursuite des travaux.

Les familles de victimes de massacres sacrifiées

Si Edouard Nduwimana prévoit une aide psychologique aux familles des victimes, il exclue en revanche tout dédommagement. Il renvoie cette question à la Commission vérité réconciliation.

Selon Aloys Batungwanayo, le coordinateur du CARAVI, ces déclarations du ministre de l’Intérieur n’ont pas vraiment rassuré les familles des victimes.

Elles ont le sentiment d’être sacrifiées sur l’autel des intérêts politiques.

Elles déplorent, par exemple, que le principal responsable des massacres de 1996, le capitaine Batumubwira, ait été, depuis, promu colonel au sein des Forces armées burundaises.

Il ferait actuellement partie des troupes burundaises de l’AMISOM, la Mission de l’Union africaine en Somalie.

A l'approche du cinquantenaire de l’indépendance, le 1er juillet 2012, une partie de la population espère que le pays aura enfin le courage d’affronter son passé et d’œuvrer à son unité.

Christian Eboulé

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