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Le vote inutile des Franco-Algériens
Petit record dans le monde, l'Algérie et la France se partagent 5 millions de bi-nationaux. Mais ils ne votent en général ni à gauche ni à droite. Parce qu'ils ne votent ni en France ni en Algérie.
Les élections législatives algériennes viennent de passer le 10 mai dernier, comme une lettre piégée à la poste restante. Taux de participation officiel, 43%, avec une large victoire du FLN, y compris en France, mais où seuls 18% ont voté.
Les législatives françaises du 10 et 17 juin viennent aussi de passer, et comme prévu, le parti socialiste a raflé la mise, en France mais aussi à l'étranger, où il a remporté huit circonscriptions sur onze (1,1 million d'électeurs expatriés).
Entre les deux, la mer bien sûr, et aussi quelques siècles de démocratie.
Mais surtout, 5 millions de bi-nationaux, enfants de couples mixtes, Algériens à la nationalité française, Français à la nationalité algérienne beaucoup plus rarement, étant donné qu'il est très difficile d'être naturalisé algérien pour qui ne l'est pas depuis trois générations.
Mais si personne, en France ou en Algérie, n'a visé particulièrement cet électorat particulier pendant qu'aucun sondeur ne les a spécifiquement sondés, leur poids électoral est pourtant conséquent:
«On ne peut jeter 5 millions de bulletins de vote dans les poubelles de l'Histoire», ironise Chafik, un journaliste franco-algérien établi à Alger.
Ont-ils voté? Pas vraiment. Pour qui? «Pour personne», avoue Zoheir, quadragénaire franco-algérien installé dans l'Hexagone depuis 15 ans, «je ne me sens étrangement pas concerné par la politique française et au bled [en Algérie, ndlr], il n'y a tout simplement pas de politique.»
Pour Lamia, clubbeuse «bi» (nationale) de 28 ans qui vit à Alger et refuse de partir en France —«il faut travailler, c'est trop dur», dit-elle, c'est pire:
«des élections? Où? Non, je n'étais pas au courant.»
Elle n'a jamais voté, ni en Algérie, ni en France. Majorité silencieuse mais surtout sourde.
Les bi-nationaux, combien de divisions?
A la dernière présidentielle française, les Français d'Algérie (22.000 officiellement) avaient été 19% à voter et 63%, taux record, à prendre Hollande comme grand patron.
Parmi eux, des bi-nationaux, même s'ils sont impossibles à identifier, le délit de faciès étant impraticable dans un isoloir, d'autant que cette frange de Français ne s'inscrivent pas souvent dans les consulats. Pour les législatives, 64% des votants ont choisi le camp de Hollande (avec 20% de participation), mais, cas particulier, le candidat de droite a battu la gauche dans la 10ème circonscription Afrique-Moyen Orient.
Pour l'Algérie, la communauté établie en France, a voté FLN, même si elle a très peu voté, et en sachant qu'une bonne partie d'entre elle possède la nationalité française. D'après les chiffres, 90% des bi-nationaux vivent en France. Samy fait partie des 10% restants. Ce trentenaire a vécu en France depuis l'âge de 20 ans, et est rentré en Algérie, crise aidant:«Ce qui m'intéresse, c'est l'argent. Et ce n'est pas la politique qui fait l'argent mais le contraire.»
Micheline, 70 ans, a fait le chemin inverse, a vécu en Algérie de 1961 à 1990, et a acquis la nationalité algérienne pour avoir participé à la guerre d'indépendance. Elle a divorcé de son mari algérien il y a 20 ans et s'est installée en France.
Elle a voté, Hollande et parti socialiste, mais pas en Algérie. Pourquoi? «Je suis très politisée, l'affrontement valait le coup en France, mais en Algérie, j'ai toujours l'impression que les dés sont truqués.» C'est le fond du problème, les Franco-Algériens ne s'impliquent pas vraiment, assis entre deux continents, mais la priorité va à la France, où le bulletin de vote à beaucoup plus de poids.
Le rêve de l'alternance
Redouane, quadragénaire branché d'Alger et urbaniste Franco-Algérien (il préfère dire «bi-national»), est lui aussi très politisé mais pas du tout convaincu: «vu la configuration du système, les démocrates n'ont aucune chance, donc je ne vote pas.» Il parle bien sûr de l'Algérie.
Et la France? «Ah oui, la France», poursuit-il comme s'il l'avait oubliée, «ben c'est la gauche qui a gagné, vu que c'est la droite qui a gagné avant.» Le rêve de l'alternance, qu'il souhaite pour son pays, l'Algérie, «sa mère», explique-t-il. «La France c'est ma femme».
Ce qui n'est pas le cas de Mounir, orphelin de père et bi-national aussi, trentenaire qui fait du business dans l'immobilier à Alger, et qui n'a voté «ni ici, ni la-bas», se sentant délaissé:«Personne ne me l'a intelligemment demandé, ni en Algérie, ni en France, et donc, je n'ouvre pas une porte à laquelle on n'a pas frappé.»
Ce qui est sûr, c'est que sans surprise, l'immense majorité de ces bi-nationaux, en Algérie ou en France, ont bien une sensibilité de gauche, plus proches des Français d'Algérie que de ceux des autres pays, qui votent pour Sarkozy et la droite en Israël et pour l'extrême-droite au Paraguay, à Djibouti et à Monaco.
Techniquement donc, les bi-nationaux, quand ils votent, votent comme les Français de France et comme les Algériens d'Algérie. C'est d'ailleurs la seule consolation pour les politologues citoyens, deux cas sont assez rares dans cette mouvance, un Franco-Algérien qui vote extrême-droite en France, et un Algéro-Français qui vote islamiste en Algérie.
Les bi-nationaux sont au centre, même s'ils ne votent pas; ils sont partout et nulle part.
Chawki Amari
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