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De l’identité à l’islam, les étranges débats français
L’UMP a lancé un débat sur l’identité française puis sur l’islam. Les religions cohabitent, et pourtant beaucoup de questions sont posées.
J’étais en Côte d’Ivoire lorsqu’un débat fut lancé en France sur l’identité française. Comme je ne cherchais pas à être Français, je ne suivis ce débat que de manière très distraite. Mais d’après ce que j’ai cru comprendre de ses conclusions, la burqa, ça non, ça ne pouvait pas faire partie de l’identité française; mais on pouvait quand même être d’origine africaine (du nord ou du sud du Sahara) et bien Français, à condition cependant de veiller à ce que l’odeur de la sauce mafé n’envahisse pas trop les escaliers, surtout lorsqu’il y a des Français pas basanés qui habitent aussi l’immeuble, de ne pas exciser ses filles, de ne pas faire savoir que la jeune fille de 16 ans que l’on présente comme sa nièce est en réalité la seconde épouse venue du pays, d’égorger discrètement son mouton le jour de la Tabaski, et de veiller à ce que ses enfants brûlent autre chose que des voitures lorsqu’ils ont froid les longues nuits d’hiver.
Les apprentis sorciers de la religion
Ces temps-ci, il est question d’un débat lancé par l’UMP sur l’islam. Je viens d’un pays, la Côte d’Ivoire, qui se divise grosso modo à 50-50 entre musulmans et chrétiens. Mais comme le disait Houphouët-Boigny, notre premier Président, «il y a 50% de chrétiens, 50% de musulmans et 100% d’animistes». L’animisme, c’est nos religions traditionnelles, qui n’interdisent ni la consommation d’alcool, ni la polygamie, et que tout le monde pratique en sortant de l’église ou de la mosquée.
Dans la crise qui divise mon pays en ce moment, quelques apprentis sorciers ont voulu tirer sur la corde religieuse, mais cela n’a pas pris. Certains se sont déclarés élus de Dieu pendant que d’autres le seraient de Satan, on a brûlé des mosquées, tué des personnes en raison de leurs religions, mais personne ne s’est laissé prendre à ce piège grossier.
Il faut dire que chez nous, les populations sont tellement imbriquées que, dans la plupart des familles, on trouve toujours des chrétiens et des musulmans. Personnellement, l’islam ne gêne le mécréant que je suis que lorsque les musulmans barrent les rues du quartier de Treichville les vendredis, et que je suis obligé de faire de grands détours pour aller boire ma bière au maquis.
Quant aux chrétiens, ils me dérangent surtout les dimanches matin, lorsque des pasteurs sapés comme des DJ hurlent tels des fous dans des haut-parleurs et m’empêchent de faire la grasse matinée, après mes nuits de samedi passées généralement dans des lieux de perdition. A part cela, chacun pratique sa religion sans que personne ne s’en mêle.
Les valeurs françaises au cœur du débat
Alors, pourquoi ce débat sur l’islam en France en ce moment? Y-a-t-il un problème avec cette religion? J’ai cru comprendre qu’elle posait problème parce que certaines femmes portent le voile intégral, même en allant chercher leurs enfants à l’école, que certains font leurs prières dans les rues, comme à Treichville, que d’autres veulent construire des mosquées partout, que les prêches sont en arabe et que quelques autres veulent islamiser toute la France, voire toute l’Europe, faute de quoi ils mettraient des bombes partout.
Et tout cela a amené certains grands penseurs à se demander si l’islam était vraiment compatible avec les valeurs de la République, ou avec la démocratie.
En voyant comment les républiques islamiques sont régies en ce moment, il est difficile de dire que l’islam est compatible avec la démocratie. A moins d’avoir une vision très, très large, sinon très spéciale de la démocratie, comme Kadhafi par exemple, qui disait avec tout le sérieux qu’on lui connaît que son pays était le seul véritablement démocratique au monde, ou les Nord-Coréens qui appellent sans rire leur pays République démocratique de Corée.
Jean François Kahn a rappelé dans un numéro de Marianne que, pendant longtemps, le grand adversaire de la démocratie en Europe fut l’église catholique qui la combattit avec férocité. Dans un autre numéro du même magazine, celui du 24 février au 4 mars 2011, Elie Barnavi a expliqué qu’en réalité, «aucune religion, et surtout aucune religion révélée, n’est compatible avec la démocratie».
Comment l’Occident a-t-il donc fait avec le christianisme et le judaïsme? «En chassant les religions de l’espace public pour les confiner dans le privé», répond Elie Barnavi. Pourquoi alors ne pas faire la même chose avec l’islam?
La mosquée ou le minaret?
Les gens font leurs prières dans la rue? Pourquoi ne pas leur permettre de construire des lieux de culte, puisque la loi de 1905 sur la laïcité ne permet pas à l’Etat de le faire à la place des religions? Je ne crois pas que les musulmans délaissent volontairement les mosquées pour étaler leur foi dans les rues. Sont-ils nombreux à le faire? Apparemment non.
Claude Guéant, le ministre français de l’Intérieur, a déclaré dans une interview accordée au quotidien Le Monde du 16 mars que «les médias aidant, ces problèmes préoccupent tous les Français. Peu d’entre eux voient par exemple des prières dans la rue, mais la télévision et les journaux les rendent très visibles. On s’en inquiète dans les villages de Bretagne où il n’y a pourtant pas un seul musulman».
Donc, il suffirait que la télévision ne montre plus de prières dans les rues, et que l’on construise des mosquées pour que le problème soit résolu. Non? Sans doute, sans doute. Mais il semble que le problème soit plus compliqué que cela.
Si les musulmans pouvaient se contenter de caves, il n’y aurait pas de problème. C’est lorsqu’ils veulent construire des mosquées avec des minarets que ça ne va plus. Comme le dirait quelqu’un, un minaret, ça va, mais quand il y en a plusieurs, ça ne va plus. Et je me rappelle cette votation qui avait interdit la construction de minarets en Suisse, et tout le bruit qu’il y avait eu autour de la construction par un Suisse du nom de Morand d’un minaret sur sa maison. Je crois que le fond du problème se trouve aussi là.
Les minarets sont-ils compatibles avec le paysage français ou européen? Le 3 mars 2011, le président français en visite à Puy-en-Velay avait exalté «l’héritage chrétien de la France» qu’il faut «assumer sans complexe et sans fausse pudeur».
Cela me rappelle aussi la volonté du Vatican, lors du débat sur la Constitution européenne, d’y faire inscrire les racines chrétiennes de l’Europe. Oui, certains veulent que l’Europe et la France n’aient eu que des racines chrétiennes, et que l’islam soit comme un mauvais greffon qui n’arriverait jamais à prendre. D’où ce refus catégorique d’accepter la Turquie dans l’Union européenne.
Mais greffon ou pas, il se trouve que l’islam est aujourd’hui la deuxième religion de France. Et il faudra bien faire avec. A moins d’excommunier, pardon, de retirer la nationalité aux millions de personnes qui pratiquent cette religion.
Prêchi-prêcha
Et le prêche en arabe? Ce n’est pas en Côte d’Ivoire qu’un tel débat se poserait, vu que ni les imams, ni les fidèles ne parlent la langue du Prophète. Et d’ailleurs, je doute que la majorité des imams, qui n’ont jamais mis les pieds dans un pays arabe et qui n’ont jamais pris des cours d’arabe, comprennent quelque chose aux versets du Coran qu’ils récitent au cours de leurs prières.
Je ne sais pas si en France les prêches se font en arabe dans toutes les mosquées. Si c’est le cas, ce n’est pas demain que je me convertirai à l’islam, vu que je ne pige pas un seul mot de cette langue.
Et le reste? Al-Qaida qui veut détruire le monde occidental et qui trouve des oreilles complaisantes voire des ouailles dans les banlieues françaises? Je crois qu’il s’agit plutôt d’un problème d’intégration d’une jeunesse qui voit son horizon bouché et se sent marginalisée et stigmatisée dans la société. Par ce genre de débat par exemple. Le voile intégral? Je me demande, comme l’a fait Barack Obama dans son discours du Caire, s’il appartient à un Etat de légiférer sur la manière dont les femmes doivent s’habiller.
Finalement, à quoi aura servi ce débat sur l’islam lancé par l’UMP? Si j’ai bien compris, il aura surtout servi à placer Marine Le Pen en tête des sondages devant Nicolas Sarkozy, le candidat de l’UMP. Et à partir de là, j’avoue que je n’y comprends vraiment plus rien.
Venance Konan
Du même auteur, lire aussi: Pourquoi j'ai quitté mon pays