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L'Egypte toujours entre les mains de Moubarak
A la veille d’une élection présidentielle historique, l’héritage de Moubarak continue de hanter la révolution.
Mise à jour du 16 juillet 2012: Selon l’AFP, le procureur égyptien Abdel Meguid Mahmoud aurait ordonné le retour d’Hosni Moubarak en prison après l’amélioration de son état de santé. L’ex-président devrait donc être transféré de l’hôpital militaire de Maadi à la prison de Tora.
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Hosni Moubarak est toujours là. Alors que les Egyptiens se rendent aux urnes, les 16 et 17 juin, pour élire un nouveau président, l’ancien chef de l’Etat serait en train de flirter avec la mort dans l’hôpital d’une prison, captivant l’attention du pays avec des informations contradictoires disant qu’il serait tombé dans le coma, ou que les médecins auraient dû le réanimer à deux reprises après une crise cardiaque, ou encore qu’il «boit du jus de fruit».
Le soulèvement de 2011, la fuite de Moubarak vers sa maison de Charm el-Cheikh, son procès, de nouvelles élections, et l’espoir d’une nouvelle Constitution étaient censés conduire l’Egypte vers un meilleur avenir.
Pourtant, cela n’a pas été facile. Moubarak et les institutions qu’il a mis en place sont toujours présents, un peu comme des invités que l’on n’arrive pas à faire partir, se moquant de la prétendue transition de l’Egypte vers la démocratie.
L'ombre du pharaon hante l'Egypte
Moubarak a marqué l’Egypte de manière indélébile durant les 29 années, 3 mois, 28 jours et 6 heures de son règne. Même si l’homme est désormais derrière les barreaux, son héritage perdure d’une certaine façon, et la révolution n’a pas réussi à définitivement balayer l’ordre ancien. Que le décès de Moubarak soit imminent, ou pas, il a échappé aux griffes des révolutionnaires, amplifiant encore les frustrations qui ont envahi l’Egypte.
Le jugement du 2 juin, rendu par une équipe de trois juges —relaxant ses fils, Gamal et Alaa, des accusations de corruption et ne jugeant pas Moubarak coupable des accusations d’avoir ordonné de tuer des manifestants (malgré le témoignage de son ancien vice-président disant que Moubarak était au courant «de chaque balle qui était tirée»)— l’a placé hors de portée des Egyptiens, qui attendaient un mélange de justice et de revanche.
De nombreux Egyptiens ne voulaient pas seulement voir Moubarak reconnu coupable des crimes commis durant le soulèvement —ils voulaient que le jugement reflète les trois décennies de corruption, d’abus de pouvoir et de répression de son régime.
On ne devrait plus parler de Moubarak, et pourtant le quotidien égyptien reste prisonnier de l’ancien président et de son héritage. Moubarak continue à faire les gros titres, et en plus, les énormes problèmes politiques économiques, économiques et sociaux qu’il a disséminé ramènent les Egyptiens à une sombre époque.
Les cachots de l'Egypte remplis de révolutionnaires
En octobre 2011, un pogrom anti-chrétiens, qui a coûté la vie à 28 personnes, après que l’armée égyptienne a attaqué une manifestation majoritairement copte, près du centre ville du Caire, rappelait l’ancienne époque, revenue hanter les Egyptiens. Rejouant une dynamique qui a prévalu durant le règne de Moubarak, cet incident a conduit de nombreux coptes à fuir l’Egypte ou à rejoindre le candidat à la présidentielle Ahmed Chafiq, qui fut le dernier Premier ministre de Moubarak.
C’est toujours la même histoire: les cachots de l’Egypte sont remplis de révolutionnaires et de militants qui voulaient un système politique juste et libre, alors que les gens qui les ont brutalisés dorment bien au chaud dans leur lit.
Même le choix lamentable entre les deux candidats à la présidentielle égyptienne rappelle l’ère Moubarak. La candidature de Chafiq ranime ces vieilles théories égyptiennes disant que les Egyptiens préfèrent l’autoritarisme à la théocratie.
Chafiq est un ancien commandant des forces aériennes, tout comme Moubarak. Pourtant cette similitude est superficielle, un facteur accidentel. Chafiq aurait pu être un artilleur —sa candidature à la présidentielle représente toujours un remake de la lutte de l’armée contre les Frères musulmans, ce qui était déjà un thème central de l’ère Moubarak.
La stabilité avant la démocratie
Comment expliquer que Chafiq —un homme destitué de son poste en 2011 par les manifestants de la place Tahrir— ait recueilli 24,2 % des votes lors du premier tour des élections présidentielles?
Le renouveau des réseaux d’influence de l’ancien parti au pouvoir, le Parti national démocrate, a probablement joué un rôle, mais il y existe une explication encore plus inquiétante: le récit révolutionnaire de l’ère Moubarak est peut être plus faible que ce que l’on pensait.
Des sondages montrent que les Egyptiens veulent la démocratie et sont prêts à beaucoup sacrifier pour l'obtenir, mais les mêmes sondages indiquent aussi que les Egyptiens veulent la sécurité et la stabilité plus que tout autre chose.
Si l’on étudie l’Egypte uniquement en termes de chiffres, l’ère Moubarak pourrait commencer à avoir meilleure figure aux yeux des Egyptiens —et pas seulement aux yeux des foulouls, les vestiges de l’ancienne structure au pouvoir.
L’Egypte dont Moubarak a officiellement hérité, le 14 octobre 1981, d'Anouar al-Sadate (troisième président de l'Egypte), était alors très différente du pays qui lui a glissé entre les doigts le 11 février 2011.
La veille du soulèvement, de nombreux indicateurs macro-économiques essentiels de l’Egypte pointaient dans la bonne direction: la croissance du PIB était saine, le ratio dette/PIB était gérable, les réserves de change étaient à la hausse et les investissements directs étrangers coulaient à flot.
«Une ère pas si nouvelle que ça»
Bien sûr, tous les Egyptiens ne bénéficiaient pas de cet état de fait. Pourtant, si quelqu’un étudiait les problèmes économiques, sociaux et politiques auxquels sont actuellement confrontés les Egyptiens, il semblerait que des millions d’Egyptiens pensent l’impensable: que quelqu’un qui représente l’ère Moubarak soit la personne appropriée pour diriger le pays vers une ère qui serait probablement une ère «pas si nouvelle que ça».
Quel que soit celui qui arrivera en tête, Chafiq ou Mohammed Morsi des Frères musulmans, la promesse révolutionnaire de la place Tahrir a perdu beaucoup de son éclat. L’Egypte ne sera plus jamais la même, mais elle ne sera pas ce que les militants imaginaient durant le soulèvement.
Et même si Morsi gagne —propulsé à la présidence par une démarche des révolutionnaires et des libéraux «tout sauf Chafiq»— son invocation de la révolution ne peut pas cacher le fait que les Frères musulmans ont été lents à rejoindre le soulèvement, et leurs références démocratiques sont sujettes à caution.
Dans ce qui semble déjà être une autre époque, Wael Ghonim, figure célèbre du soulèvement, a énoncé les principes fondamentaux de la révolution:
«Nous devons restaurer la dignité de tous les Egyptiens. Nous devons mettre un terme à la corruption. Plus de vol. Les Egyptiens sont des gens biens.»
Ces sentiments existent encore, mais les rendre réels est bien plus complexe que ce que Ghonim ou n’importe qui d’autre avait imaginé. Même plongé dans un semi-coma sur un lit de l’hôpital de la prison de Tora, Hosni Moubarak a trouvé le moyen de continuer à hanter l’avenir politique de l'Egypte.
Stephan A. Cook (traduit par Sandrine Kuhn)
Foreign Policy
Stephan A. Cook est chercheur pour les études sur le Moyen Orient au Council on Foreign Relations.
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