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Cécilia Attias, troisième à partir de la gauche, lors du New York Forum Africa  à Libreville, juin 2012  © WILFRIED MBINAH/AFP
Cécilia Attias, troisième à partir de la gauche, lors du New York Forum Africa à Libreville, juin 2012 © WILFRIED MBINAH/AFP

Cécilia Attias: «Quand on aide une femme, on aide l’humanité»

Cécilia Attias explique à SlateAfrique pourquoi le destin des femmes du continent lui tient à cœur.

SlateAfrique - Les témoignages des femmes africaines réunies lors du New York Forum à Libreville ont-ils modifié votre regard sur le continent?

Cécilia Attias - Ce qui change complètement, c’est ce que l’on voit en tant que spectateur dans son fauteuil derrière sa télévision ou ce que l’on lit dans la presse et le fait d’être sur le terrain pour rencontrer ces femmes qui ont vécu cela. Je regardais cette femme qui m’a beaucoup marquée, cette Somalienne qui a dit:

«Le monde où je vis ce n’est pas du tout le même monde dont vous parlez. Dans les camps en Somalie, on est obligé de monnayer la paix des femmes en expliquant aux hommes qu’on les héberge uniquement s’ils ne battent pas leur conjointe en rentrant.»

Il y a des mondes qui sont fondamentalement opposés, tellement loin les uns des autres.

Être sur le terrain —même si le temps était limité par la charge de travail— et voir ces femmes, leur regard, c’est terriblement impressionnant. Tout à coup, les choses prennent forme. Parce que par le biais de la télévision ou d'un journal, on n’est pas en prise directe avec un regard, une émotion. Le récit de cette femme m’a bouleversée.

On l’a reçue parce que cette Somalienne s’est dit que, peut-être, en s'exprimant, elle aurait de l’écoute et de l’aide. Telle est la fonction première de notre fondation. Notre fondation vise à tout faire pour qu’on voie et entende ces femmes. On a rassemblé des personnes qui peuvent les aider, en mettant tous les moyens dont nous disposons pour les soutenir.

SlateAfrique - Est-ce que toute rencontre forte ne vous donne pas envie d’aller plus fréquemment sur le terrain?

C.A. - Je vais être très franche avec vous. Au départ, quand j’ai monté cette fondation, je voulais m’occuper des femmes directement. Et puis, j’ai connu des femmes exceptionnelles qui ont dédié leur vie à cette cause en laissant leur famille, leur pays et qui sont sur le terrain nuit et jour et sans relâche. Ce sont ces femmes-là que j’ai envie d’aider.

Leur apporter de l’aide, c’est important. Essayer de les financer, mettre à leur disposition des volontaires qui peuvent passer deux mois, trois mois à leurs côtés, leur apporter du matériel, c’est déjà une aide considérable. Je ne suis pas sûre d’être capable de faire le travail qu’elles font au quotidien, loin de leur famille et de leurs proches, j’ai une profonde admiration pour ces femmes.

SlateAfrique - Vous avez souligné que nous possédons beaucoup d’informations sur la condition des femmes et que la mobilisation reste faible. Mais ces informations —sur les femmes violées en RDC notamment— ne sont-elles pas reléguées à la fin des journaux?

C.A. - C’est cela qui est monstrueux! Une des fonctions de notre fondation est d’y remédier, en allant sur le terrain. On va suivre le travail que font les plateformes sur place. Le fait de bouger et de montrer ce qui se passe permet d’ouvrir les yeux de pas mal de gens.

Bien évidemment on peut faire bouger les choses davantage. C’est la raison pour laquelle de nombreuses vedettes s’engagent sur des causes de par le monde, parce qu’elles ont une audience plus forte.

Je ne prétends pas avoir une audience immense, mais à mon humble niveau, j’ai une crédibilité. Une crédibilité auprès de ces femmes qui viennent vers moi, qui se confient et qui sont d’accord pour expliquer leur problématique.

SlateAfrique - Votre intervention en Libye pour faire libérer les infirmières bulgares a-t-elle été l’élément déclencheur de cette vocation? 

C.A. - J’ai travaillé pour les femmes et auprès des femmes pendant très longtemps, sans qu’on en parle à des niveaux beaucoup plus compliqués.

J’ai essayé de m’occuper des enfants dont les parents ont péri en service dans la Police nationale et aussi des femmes battues. J’ai essayé d’ouvrir des centres pour les accueillir de jour à Paris, etc. Je me suis toujours occupée des autres.

Et puis, tout d’un coup, le fait d'évoluer aux Etats-Unis, où il y avait tellement de fondations, tellement de gens qui s’impliquent et aident, m’a fait réfléchir.

Je me suis dit: comment puis-je apporter ma contribution, je n’ai pas beaucoup d’argent, je ne sais pas lever des fonds, je ne sais pas faire de très beaux dîners de gala, où on vient et récolte des millions de dollars, je ne sais pas faire cela.

En revanche je sais aller à la rencontre des gens: être à leur écoute et les aider avec mes moyens, comme je le peux et c’est ce que j’ai envie de faire.

Je ne suis peut-être pas capable de passer toute ma vie auprès de ces gens qui souffrent sur le terrain, de sacrifier ma famille pour cela. Mais je suis capable de les entendre, de les écouter et de leur apporter l’aide nécessaire. Effectivement, il y a eu un catalyseur, un déclencheur, le fait de se sentir écoutée, crue, d’avoir cette force qui fait bouger les choses.

SlateAfrique - Le fait d’avoir passé des heures à négocier, en Libye, la libération des infirmières bulgares vous a montré que vous étiez à même d’agir sur le terrain?

C.A. - Je suis fière d’avoir pu sauver des vies. Peut-être que quelqu’un d’autre l’aurait fait après moi, si je n’avais pas réussi à les sortir. L’une était très malade, une autre était suicidaire, cela faisait plus de neuf ans qu’elles étaient là.

En tout cas, j’ai sans doute apporté un peu d’espoir à ces infirmières et à ce médecin palestinien. Et ce n’est pas si mal de se dire que l’on a pu servir à quelque chose. Cela donne envie d’aider encore plus.

SlateAfrique - Maintenant que vous n’êtes plus Première dame de France, vous sentez-vous beaucoup plus libre dans votre prise de parole et dans vos actions?

C.A. - Pourquoi j'ai organisé un dialogue avec sept Premières dames africaines? Parce qu’elles réalisent une action de terrain impressionnante. Qu’elles ne puissent pas s’exprimer, à la limite, ce n’est pas grave. Tout le monde le sait, vous le savez, je le sais. Elles sont tenues par un devoir de réserve et il faut le respecter.

En revanche, elles font un vrai travail de terrain que j’ai voulu montrer en les invitant à témoigner. Pour montrer que leur engagement était total et qu’il fallait les soutenir, qu’elles n’ont pas forcément les moyens et l’argent, mais qu’elles travaillent sur le terrain, croyez-moi nuit et jour, avec des fondations qui sont exceptionnelles et dont personne ne parle.

Pourquoi donc j’ai tenu à les faire dialoguer? Pas du tout pour montrer des «First ladies». Mais pour montrer quelles sont continuellement sur le terrain, qu’elles n’en parlent jamais, qu’elles parcourent des territoires entiers, souvent immenses, chauds avec un climat difficile. J’ai voulu qu’elles aussi aient une certaine forme d’aide des gens, qui les entendent et les écoutent.

Jeannette Kagame, l’épouse du président du Rwanda, est une femme tout à fait remarquable, qui a une fondation tout à fait exceptionnelle. Elle est arrivée au Rwanda après le génocide, puisqu’elle ne pouvait pas être dans son pays avant. Elle est très marquée par ce qui s’est passé. La reconstruction est immense parce que les gens se sont déchirés et entretués. C’est effrayant, ce qu’elle m’a raconté. C’est sa mission et elle n’en dit mot. Mais elle est constamment sur le terrain. Ces femmes-là ont aussi droit à la reconnaissance, à ce qu’on les aide, les entende, afin de leur apporter le soutien dont elles ont besoin.

SlateAfrique - Beaucoup d’actions sont consacrées à la lutte contre le sida. Mais comment dissocier le sort des femmes de celui des enfants?

C.A.- Je ne dissocie pas les femmes et les enfants. Comme le disait très joliment l’une des participantes au forum: «Quand on aide une femme on aide l’humanité, quand on aide une femme on aide un enfant.» C’est évident! Donc, je ne dissocie pas l’un de l’autre. A aucun moment!

Propos recueillis par Pierre Cherruau, directeur de la rédaction de SlateAfrique, à Libreville. 

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Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

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