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Tegla Loroupe gagne le marathon de Londres en 2h24, le 16 avril 2000. REUTERS/Ian Waldie
Tegla Loroupe gagne le marathon de Londres en 2h24, le 16 avril 2000. REUTERS/Ian Waldie

Tegla Loroupe, la Kényane qui court contre les préjugés

Championne de marathon, Tegla Loroupe n'a cessé de courir pour gagner sa propre liberté et devenir une faiseuse de miracles au service de sa communauté et des Africaines.

Mise à jour du 12 novembre 2012: Quarante-deux policiers kényans ont été tués le 10 novembre dans une embuscade sans précédent dans le nord du Kenya alors qu'ils poursuivaient des voleurs de bétail, selon un nouveau bilan communiqué lundi soir sous le couvert de l'anonymat par un responsable de la police kényane.

"Le nombre de policiers tués est désormais de 42, des corps supplémentaires ont été retrouvés cet après-midi", a déclaré ce responsable. "Nous n'avons jamais perdu un aussi grand nombre d'agents", a-t-il ajouté.

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Une jeune Turque se précipite sur Tegla Loroupe. Elle ne sait pas qui est cette femme africaine, «une artiste peut être», mais elle veut absolument être prise en photo avec elle. La jeune diplomate est impressionnée par la tenue traditionnelle de cette femme qui déambule dans les travées du New York Forum de Libreville. Tegla, port altier, allure simple porte un collier multicolore, venu du pays Pokot, dans la vallée du Rift dans le nord du Kenya.

Tegla sourit. Elle se prête au jeu des photographes. Elle danse sur la musique avec bonheur.  Le lendemain, elle va entamer un débat avec Carl Lewis, le mythique coureur de 100 mètres. Elle a été choisie pour incarner la voix de l’Afrique dans ce dialogue des civilisations noires. Mais aussi parce que à sa façon, Tegla est aussi un mythe puissant en Afrique: un symbole de l’émancipation des femmes.

Tegla Loroupe est la première Africaine a avoir remporté le marathon de New York en 1994. A l’époque, Tegla était une illustre inconnue de 21 ans. Par la suite, elle a récidivé à New York, à Rotterdam en 1997 et 1998, et à Berlin, en 1999. Elle a établi la meilleure performance mondiale sur marathon à Berlin.

Un marathon scolaire par jour

Autant que les performances de Tegla, ce poids plume d’un mètre cinquante sept, ce qui a marqué les esprits c’est aussi son histoire familiale. Son combat de tous les instants, de toutes les foulées, pour changer de vie.

«Jamais aucun membre de ma famille n’avait été à l’école. Mon père ne voulait pas nous y envoyer. Alors un matin, je suis partie de chez moi en courant. J’ai fait une dizaine de kilomètres pour y aller. Au total, j'ai parcouru une vingtaine de kilomètres aller retour. Je me suis inscrite toute seule, sans autorisation parentale. Chaque jour, je suis revenue à la maison en courant. Mon père a bien dû s’incliner. Pendant des années, j’ai fait ça tous les jours.»

Un marathon par jour dans un paysage verdoyant qui ressemble aux montagnes suisses. Parfait pour se forger un corps d’athlète.

D’autant que l’air est rare à ces latitudes. La respiration est plus âpre, plus difficile qu’au niveau du plancher des vaches.

Tegla n’est pas devenue championne par hasard. Le destin lui a donné un coup de pouce en la faisant naître dans cette vallée du Rift où les déplacements se font encore bien souvent en courant. Cette vallée qui reste une pépinière à champions de course à pied. Mais c’est surtout à sa volonté hors du commun que Tegla doit son destin d’exception.

Tegla n’est pas uniquement une grande athlète. La course à pied lui a rapporté des millions de dollars.

«Cet argent je l’ai consacré à l’amélioration de la vie de mon ethnie, les Pokots. J’ai fait construire dans mon village une école qui accueille plus de 600 élèves. Bien sûr, il s’agit d’accueillir les filles, mais les garçons y ont aussi leur place. Tout le monde mérite une chance, même les hommes», s’amuse Tegla qui avait mis l’accent sur l’éducation des filles pour mettre fin à un des fléaux qui menaçait les Pokots.

Reconvertir des bandits en athlètes

«Dans ma région, il y avait toujours des affrontements meurtriers du fait des vols de bétail. Les Pokots volaient du bétail afin de pouvoir payer des dots. Parfois, la dot peut être composée de centaines de têtes de bétail, quand on sait qu’une tête de bétail peut valoir des centaines de dollars, cela peut provoquer de grandes violences. Les conflits se règlent à coup de AK-47. Ces vols de bétail sont une vieille tradition, c’est aussi pour cela que les Pokots courent si vite pour pouvoir s’enfuir avec le bétail sans se faire prendre. Pour casser ce cycle infernal, il faut aussi que les filles arrêtent d’être obsédées par les dots. Il faut qu’elles comprennent qu’il vaut mieux investir dans des études. Avoir un bon travail plutôt que de courir après une dot», explique Tegla.

Forte de sa gloire de première Africaine à avoir triomphé à New York, Tegla s’est vu pousser des ailes: elle s’est rendue au fin fond du «bush» pour convaincre Robert Matanda, un célèbre bandit de grand chemin de changer de vie. Elle aurait pu y laisser la vie, mais Tegla a acquis une réputation de faiseuse de miracles. Elle l’a convaincu de lâcher les AK-47 et de revenir à la vie civile. En échange d’une immunité.

Le bandit de grand chemin s’est reconverti dans la… course à pied. Activité qui, sur le long terme, peut se révéler tout aussi lucrative que le vol de bétail et qui présente l’avantage d’être nettement moins dangereuse. Autre avantage de cette activité, la course peut se pratiquer au grand jour, sans se cacher, contrairement au brigandage.

Le bandit est devenu un champion. Il a notamment participé au marathon de Londres. Tegla ne s’est pas reposée sur ses lauriers. Elle a aussi passé le relais à un autre bandit, Julius Arile. Lui aussi converti aux joies saines de l’exercice en plein air.

Courir pour la paix

Sa réputation faite, Tegla a organisé régulièrement des courses de la paix dans toute l’Afrique de l’est. Il est vrai que de la paix, l’Afrique de l’Est en a plus que jamais grand besoin. A deux pas du Kenya, la guerre fait rage en Somalie avec les Shebab. L’Armée de la résistance du Seigneur (LRA) terrorise le nord de l’Ouganda. Le Soudan n’est pas encore pacifié. Il en va de même de l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Tegla n’a pas froid aux yeux. Pas davantage pour aller affronter les bandits dans le bush que pour aller discuter avec les gens de l’autre monde, celui qui dispose de moyens suffisants pour ne pas avoir à courir pour gagner leur vie ou attraper du bétail qui ne leur appartient pas. Tegla présente ses projets aux quatre coins du monde: devant le Rotary de Nairobi ou à Monaco devant le prince Albert ou devant les participants au New York Forum de Libreville.

Tegla est à l’aise à la tribune, défend ses projets avec conviction. Mais elle a su rester «enfant du Rift», «une foulée aérienne». Dans quelques heures, elle sera de retour dans sa vallée du Rift. Elle dormira à même le sol, près de sa mère et de ses sœurs, comme elle l’a toujours fait. Tegla est issue d’une famille polygame. Son père avait trois femmes et quarante-huit enfants.

Une femme toujours libre

Malgré sa «richesse», Tegla veut rester une enfant simple des hauts plateaux. Si des villageois veulent monter dans son 4x4, elle les accueille à bras ouverts. Si le 4x4 est plein, Tegla grimpe dans le coffre avec ses sœurs. Les lits de la maison familiale sont, eux aussi, «donnés» en priorité aux visiteurs. Rien de tel qu’une nuit passée sur la terre battue.

A son arrivée à la maison, Tegla a une priorité: aller voir ses vaches pour lesquelles elle garde un attachement viscéral. Ici, Tegla est heureuse. Elle n’a qu’un regret: ne pas avoir trouvé de mari.

«Mais ici, explique-t-elle, les hommes n’acceptent pas les femmes qui ont réussi. Ils ne veulent pas épouser une femme plus riche qu’eux. Ou plus célèbre qu’eux», dit elle avec un sourire un peu triste.

«Au fond, j’aurais peut-être dû épouser un Européen. Il aurait accepté plus facilement la situation», imagine-t-elle.

Tegla ne participera pas aux Jeux Olympiques de Londres. Elle sait que ses plus belles années d’athlète sont derrière elle. Mais Tegla continue à s’entraîner deux fois par jour. Elle ne court pas pour l’argent. Elle ne court pas après l’argent.

«La course à pied ça a d’abord été l’apprentissage de la liberté. Quand je cours dans les montagnes. Et que j’entends le vent qui me chante dans les oreilles, je me sens libre. Alors, je continue à courir toujours. Pour toujours. C’est l’histoire de ma vie, lâche-t-elle avec un beau sourire apaisé. Comme ça, je continue à me sentir en vie. A me sentir libre».

Pierre Cherruau, Directeur de la rédaction de Slate Afrique, à Libreville

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Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

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