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Algérie: Recette pour des fraudes électorales réussies
La victoire du FLN aux législatives de mai dernier a été assurée, selon un rapport de la Cnisel, par de massives mais subtiles fraudes électorales. Une pincée de dopage de la participation et beaucoup de soutien de la part des militaires.
Faut-il être au préalable une démocratie pour pouvoir voter réellement, ou voter pour, justement, construire la démocratie? Ces questions sont algériennes, mais pas uniquement.
Les dernières élections législatives algériennes ont été «techniquement» propres et bureaucratiquement «honnêtes». On n’y a pas fraudé en masse, à l’ancienne, en bourrant les urnes, mais avec intelligence, souvent et ruse, toujours. Un vrai travail de labos, d’officines et d’experts.
En Algérie, la classe politique et les électeurs découvrent, peu à peu, la méthode du «comment faire croire à un peuple qu’il a voté alors qu’il dormait». Si le réveil est difficile; c’est que la recette utilisée pour frauder a bien fonctionnée.
L’«arnaque» des 5%
Première recette, évoquée par tous, le système de la proportionnelle avec la fameuse clause des 5%. L’objet de cette clause? Les partis se doivent de réaliser un score électoral supérieur à 5%, sous peine d’être recalés et de voir leur voix être versées directement dans la colonne des bénéfices du parti le plus fort. En Algérie, le parti fort c’est le parti du régime, le FLN (Front de Libération national), ou le RND (Le Rassemblement national démocratique), son clone administratif crée dans les années 1990 pour faire barrage aux islamistes.
Le parti unique algérien désigné est connu : il s’appelle le FLN. Son côté populiste et populaire est destiné à satisfaire l’Algérie rurale, vaste et conservatrice. Le FLN, joue sur la mémoire de la révolution, la légitimité de l’Histoire nationale, la haine de la France et le souvenir des années 1970 - à l’époque où l’Algérie n’était pas seulement un jerrican de pétrole.
Le leader du FLN, Abdelaziz Belkhadem porte le burnous, prie en public et a sur le front cette marque des islamistes, «le tampon». Appelé ainsi par les algériens, c’est le stigmate du bon musulman qui frotte son front sur le tapis de la soumission.
L’autre visage du parti unique, c’est le RND, mené par l’actuel Premier ministre Ahmed Ouyahia. Il recrute au sein de l’administration algérienne c’est-à-dire une armée des bureaucrates affidés et salariés du régime. C’est le parti de la ville, des centres urbains, des guichets, des cadres de l’Etat et des rentiers du régime. Les deux dirigeants des deux partis sont chefs de gouvernement à tour de rôle depuis des années.
Pour les dernières élections donc, le régime a fait tourner les labos à fond afin de trouver la solution à sa survie. Pour émietter les électeurs algériens et faire profiter son parti «unique» de l’arnaque des 5%, il a agréé 40 partis en six mois en présentant la pléthore comme la preuve de son «ouverture» et du pluralisme. Ce mécanisme a permis au FLN-RDN de rafler la quasi-totalité des sièges.
Une commission de façade pour des élections factices
Pour la forme, une commission nationale indépendante de surveillance des élections (CNISEL) avait été mise en place depuis des mois. Son slogan, l’indépendance totale. Sa tête d’affiche? Un homme connu pour sa propension aux formules directes et aux déclarations peu diplomatiques.[Mohamed Seddiki ndlr]
Dans la réalité, cette commission faisait partie du show et accrédité l’illusion démocratique. La CNISEL a été «doublée» par son acolyte, la vraie commission des juges et magistrats (Commission de supervision des élections), tous dépendants de la chancellerie et donc payés par le régime. Ce club occulte avait tous les pouvoirs, tous les moyens, toutes les prérogatives; il décidait des résultats et avait autorité pour les valider.
Pendant des mois, le président de la CNISEL (Commission fiction) multipliera les déclarations les plus tonitruantes, les bilans négatifs, les dépôts de plainte contre des ministres, mais dans le vide. On l’a laissé faire car l’illusion de la démocratie algérienne n’en était que plus forte.
Le rapport de cette commission, a finalement été rendu public le 29 mai, par le biais d’un journal électronique algérien, en attendant sa large médiatisation.
A quoi va servir le rapport? A rien, sauf à la pédagogie. Les résultats des élections sont désormais définitifs: le FLN est parti majoritaire. Le vent du printemps arabe ne s’est pas levé en Algérie et la communauté internationale a salué, approuvé et validé les élections. Il n’y a donc guère que pour un horizon pédagogique et pour la postérité que le rapport démontre son utilité. La Cnisel explique comment le régime a fraudé, en douce, discrètement et avec cette intelligence reconnu au «système». Peut-être qu’ainsi les Algériens ne s’y laisseront pas prendre deux fois.
L’armée et l’urne: une romance qui perdure en Algérie
L’armée, l’urne et la caserne. On a cru un moment à l’illusion de neutralité de l’armée et à celle de son retour -maintes fois annoncé- aux casernes, surtout après la guerre civile des années 1990. Ce n’était qu’une chimère. Pour les dernières législatives, l’armée a voté, dans le sens du régime, en masse, en vrac et en force. L’enjeu était de «sauver» le taux de participation, véritable pari ouvert du dernier scrutin algérien.
Selon les dires de certains, si le peuple votait en masse, cela signifiait une adhésion des algériens aux «réformes» du régime et à sa solution face au printemps arabe. Dans le cas contraire, c’était un désaveu. Du coup, il fallait gonfler ce taux grâce aux plus fidèles du régime: les militaires.
Selon le rapport, repris par TSA, les militaires ont opté pour «le recours abusif aux procurations, estimées à des milliers, délivrées par les autorités militaires sans le respect des dispositions prévues dans la loi électorale».
A titre d’exemples, dans la wilaya de Mila (350km à l’est d’Alger) le «centre El Orfane, a fermé exceptionnellement à vingt et une heure pour permettre à ce corps de voter». Dans le sud algérien, les militaires, par dizaines de milliers ont été inscrits dans les fichiers électoraux, hors des délais.
Doté d’un sens surréaliste de l’humour, le premier ministre algérien, a répondu vertement et comiquement aux partis politiques qui ont dénoncé le dopage du fichier électoral dans le sud algérien.
«Je regrette cette manière de faire de la propagande par des chefs de partis politiques. Cela touche en premier lieu la crédibilité de l’État et de son armée populaire», a-t-il déploré à la presse.
Ahmed Ouyahia a par la suite rappelé aux partis concernés qu’au moment de la révision des listes électorales et des recours, ces «militaires, la Kalachnikov et la bonbonne de gaz sur le dos, partaient au secours des villageois piégés par la neige». Un détail: il ne neige pas au Sahara. De plus, les intempéries de février et mars ont touché le nord et la Kabylie, pas Tamanrasset -où des dizaines de milliers de militaires ont été inscrits sur les listes électorales comme dans beaucoup d’autres localités.
Des maires dociles pour des fraudes discrètes
Généralement FLN, les maires ont voté et fait voter les électeurs pour le parti au pouvoir que ce soit FLN ou RND -son frère jumeau. Selon le rapport de la Cnisel, les maires «sont intervenus directement dans la gestion et l‘orientation de l‘opération du vote».
Un exemple? «Le procès‑verbal établi après le dépouillement des bulletins dans la commune d’Oum Ali, à Mila, donne les résultats suivants: nombre d’électeurs inscrits, 3 071 personnes; nombre de votants, 1 900; nombre de voix gagnées par le FLN, 3 848».
Les autres recettes pour une fraude massive réussie? La liste est longue. Des rapports différents ont été remis aux deux commissions celle de la CNISEL (de façade) avait ses chiffres, les magistrats (commission réelle) avaient les leur. On peut ajouter à cela les classiques du genre: des PV signés à blanc, le vote des morts, celui des électeurs dans plusieurs wilayas à la fois, les procurations non conformes….etc.
Afin de s’assurer que les preuves de la fraude ne seront pas trouvées, et ce malgré les promesses du gouvernement, les résultats par préfecture (wilayas) ne sont toujours pas publics. Les observateurs étrangers n’ont pas eu accès au fichier central des électeurs, sous prétexte d’informations du domaine de la sécurité nationale d’après le ministre de l’Intérieur Dahou Ould Kablia. En attendant les ministres contre lesquels des plaintes en pénal ont été déposées par la CNISEL, se pavanent à Alger un sourire moqueur aux lèvres.
Une mise en scène parfaitement orchestrée
Les législatives du 10 Mai 2102, apparaissent de plus en plus comme une illusion exécutée de main de maître.
D’un côté les apparences, avec une commission de surveillance libre de ton et d’actes mais sans pouvoirs ni moyen à laquelle s’ajoute 40 partis en vrac, 500 observateurs étrangers et pas de favori officiel.
De l’autre, la réalité des fraudes électorales: la vraie commission composée de magistrats qui dépendent étroitement du régime et de ses indemnités, les militaires, le mode de scrutin à la proportionnelle et ses 5% éliminatoires, les maires et les walis affidés ou encore les consuls FLN à l’étrange.
Le coup de grâce de cette mise en scène est donné le 08 mai dernier, avec le fameux discours d’Abdelaziz Bouteflika. A cette occasion, le président appelle franchement à voter FLN, des jours après la clôture de la campagne.
Sorti de son devoir de réserve, Bouteflika «décide de prolonger la campagne électorale, clôturée quelques jours auparavant, en faveur de son parti» explique le rapport de la commission. Pour la CNISEL, il n’y a nul doute, «ce discours a constitué, en fait, un feu vert à l’adresse de l’administration afin d’œuvrer par tous les moyens à la victoire de son parti».
«Vous connaissez tous mon parti», a lancé Bouteflika, président d’honneur du FLN, à deux jours du scrutin.
Retremper le régime essoufflé à la légitimité des élections permet-il d’éliminer toute menace de révolution populaire? Passé le KO des premières semaines, les analystes abondent dans le sens de la mise en garde tant le climat de tension est fort dans le pays. Une tension qui ne trouve pas de représentants pour s’exprimer.
Le régime semble d’autant moins légitime que le parti «unique» est loin d’avoir suscité l’engouement. 57% des 21 millions d’électeurs algériens n’ont pas voté. Sur les 43% restants, on compte plus d’un million et demi de votes blancs. Le FLN n’a raflé, en réalité, que 3 millions de voix. C’est donc au nom de cette minorité électorale que le FLN et son allié de droite le RND, vont gouverner-encore une fois-le pays, ainsi que sa rente, son pétrole et ses 75% de population de moins de 30 ans.
Dans cette arnaque, tout le monde a marché et pourtant l’évidence était là: c’est l’armée, surtout, qui a voté pour le régime et pour assurer sa propre survie. L’Algérie n’a pas changé, elle a simplement prolongé son drame. Un caricaturiste algérien l’a bien résumé dans un dessin sur lequel apparait Bouteflika, vieux et grincheux, surmonté de l’inscription : «la prolongation, c’est maintenant»
Les résultats controversés du 10 mai soulèvent des questions de fond pour l’Algérie et tous les systèmes étrangers qui lui ressemblent: les élections démocratiques servent-elles à quelque chose quand on n’est pas encore une démocratie?
Kamel Daoud
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