mis à jour le

Football: entraîner en Afrique, mode d'emploi
Ils sont beaucoup d'entraîneurs européens à tenter leur chance en Afrique, parfois sans succès. Quelques conseils de professionnels, pour surmonter la pression, les politiques et la malchance sur un continent où le football est érigé au rang de religion.
Les entraîneurs ont une durée de vie assez courte en Afrique. C’est autant valable pour les locaux que les étrangers.
L'Ivoirien François Zahoui, l'ancien coach des Éléphants de Côte d’Ivoire, limogé le 28 mai l’a appris à ses dépens. Après la défaite finale de la CAN 2012 contre la Zambie, il se savait sur un siège éjectable. L’ancien international Français d’origine tunisienne, Sabri Lamouchi le remplacera, mais pour combien de temps?
Les vieux briscards du continent africain en savent quelque chose. Pour faire son trou en Afrique, et obtenir des résultats, il faut de la détermination, de l’entêtement, de la patience, une bonne connaissance du terrain, et de la chance aussi parfois.
«Le football, c’est l’école de l’humilité» témoigne Claude Le Roy. Et l'entraîneur français en sait quelque chose. Sur son CV sont gravées en lettres d’or les sélections de République Démocratique du Congo, du Ghana, du Cameroun à deux reprises, ainsi que du Sénégal.
Pour un entraineur européen, la chose est peut-être encore plus compliquée. Et l’habitude du faste, des salaires à rallonge et des pouvoirs illimités que l’on trouve dans certains clubs anglais ou espagnols est à oublier.
Un vent mauvais, et c'est la fin
Première chose à faire pour bien commencer son parcours africain: «Tout mettre sur la table.» Car la question du contrat, qui se pose aussi bien en Europe qu’en Afrique, peut vite être problématique. L’actualité du mois de mai 2012 l’a encore prouvé.
Annoncé à la tête de la sélection du Cameroun, le Français Pierre Lechantre s’est finalement rétracté pour des questions de rémunération. L'autre Français Alain Giresse, sélectionneur du Mali depuis 2010 a également rencontré quelques écueils. Si bien que l’homme a dû renoncer à une prolongation de contrat, et ce en dépit de sa volonté de rester. Mais surtout, malgré ses résultats plutôt encourageants: troisième à la CAN 2012.
«On me demandait un droit de regard sur les joueurs que je sélectionnais, et de ne plus choisir mon staff médical», regrette l’ancien bordelais dans un accent chantant.
Un mauvais vent souffle, on ne se sent plus le bienvenu, et c’est la fin d’une aventure pourtant bien entamée. Claude Le Roy n’hésite pas:
«Pour éviter les mauvaises surprises, il faut essayer de tout régler en amont»
L’avenir nous dira si Sabri Lamouchi a fait les bons choix. Mais avant cela, se posera à lui une question bien plus urgente: l’obligation de résultats. Entré en fonction le 28 mai, sa première échéance se situait…le 2 juin, pour un match des phases qualificatives à la Coupe du Monde 2014, lors duquel les Éléphants ont battu la Tanzanie (2-0).
Foot et politique ne font pas bon ménage
Cette culture de l’urgence, Claude Le Roy s’en agace un peu:
«On est parfois obligés de pousser des coups de gueule, parce que les billets d’avion ne sont pas pris à temps, ou bien les réservations ne sont pas faites. Mais c’est la culture locale, il faut faire avec.»
La culture locale mélange un peu le foot à la politique, aussi. Car en Afrique, les fédérations sont majoritairement financées par les gouvernements. Non pas que l’ingérence soit criante, mais elle est présente.
«La Fédération internationale de football association (Fifa) impose bien des limitations, rappelle cependant le journaliste et écrivain Hervé Penot. Elle n’hésite pas à suspendre des fédérations et des joueurs.»
Elle a par exemple suspendu la fédération du Nigeria, en 2010, pour des ingérences gouvernementales dans ses affaires. Mais ces limitations et sanctions a posteriori, ne résolvent pas le paradoxe: le foot africain est financé par des politiques auxquels la Fifa interdit un droit de regard.
«Si on t’impose quoi que ce soit, il faut partir» lancent catégoriquement tous les intéressés. La réalité n'est pas toujours si facile.
«Confier notre équipe à un blanc-bec?»
En Afrique plus qu’en Europe, le football est un baromètre de la société. Et la pression médiatique et populaire peut vite avoir la tête d’un coach.
«On a 10, 20, 30, 40 milles personnes à l’entraînement parfois. À moins de créer une émeute, je ne peux jamais déclarer un huis clos», s’amuse Claude Le Roy.
Pour s’imposer, il faut donc savoir se mettre le public dans la poche:
«Quand je suis arrivé au Cameroun, ils ne voulaient pas de moi. Ils se disaient, “comment peut-on donner notre équipe nationale si prestigieuse à un blanc bec qui démarre quasiment dans sa carrière d’entraîneur?” Et il a fallu que je m’impose. Ou je m’imposais, ou je rentrais chez moi. Je n’ai rien lâché. Et au final je suis resté 4 ans.»
Mais tout peut aussi se jouer sur un coup de chance. Un bon résultat, une qualification, et le nouveau venu n’est plus persona non grata. Comme l’explique Joachim Barbier, spécialiste de l’Afrique au magazine So Foot, et auteur de nombreux reportages réalisés au sud du Sahara, le public comme la presse fonctionnent surtout à l’affectif.
«Il n’y a pas d’analyse technique. Une victoire au mauvais moment, et un responsable est pointé du doigt, sans que pour autant, on examine vraiment les raisons de l’échec.»
Il est vrai que s'il en a été désigné comme le premier responsable, François Zahoui ne pouvait rien au fait que ses joueurs aient manqué les pénaltys de la séance de tirs au but, contre la Zambie en finale de la CAN 2012. Mais si Sabri Lamouchi parvient à remporter ses premiers matchs, malgré les conditions, «les Ivoiriens auront vite oublié Zahoui…», s’amuse le journaliste.
«Toujours au moins la moitié de mes joueurs évolue en Afrique»
Encore faut-il que le sélectionneur tout fraîchement débarqué respecte les locaux, ne donne pas de leçon. «On n’arrive pas chez soi, il faut respecter les gens, c’est la moindre des choses», continue le coach de RDC. C’est la moindre des choses, mais certains ont tendance à l’oublier.
Composer avec les locaux est l’élément qui revient finalement le plus souvent dans la bouche des intéressés.
«Pour être un bon entraineur en Afrique, il faut plonger dans la culture, s’immerger dans le football du pays dans lequel on débarque», estime ainsi Alain Giresse.
Deux règles d’or: bien choisir son staff, et dénicher des talents locaux.
Parce qu’il évolue dans un club européen, un joueur n’est pas nécessairement meilleur qu'un autre, qui jouerait au TP Mazembe (le grand club de Kinshasa) par exemple. Trésor MPutu, leur attaquant vedette de 26 ans, en est l’illustration vivante.
«Il faut rechercher les joueurs ici, s’enthousiasme Claude Le Roy, c’est ça qui est passionnant! Dans mes sélections, je me débrouille toujours pour que la moitié de l’effectif au moins soit composé de joueurs évoluant en Afrique.»
«Contrairement aux préjugés, il y a de l'argent»
Il applique la même philosophie au choix de son staff technique:
«Je pense que quand on travaille en Afrique, il faut des techniciens africains dans le staff. On est là pour les préparer à prendre le relais.»
Querelles d’hommes, egos frustrés, Européens donneurs de leçon, tout porte en effet à croire qu’il a raison:
«Parfois le staff médical européen arrive en donneur de leçons, face à des docteurs africains qui ont été formés dans des universités françaises. Et ça crée des tensions.»
«Il ne faut pas s’éloigner de la réalité du pays où l'on va, résume pour sa part Alain Giresse. Il est obligé d’en connaître le fonctionnement.»
Lorsque cette réalité est celle de sélections comme le Maroc, ou de clubs comme Al Ahly Le Caire et le FAR de Rabat (où a entrainé Alain Giresse), la question des moyens ne se pose pas. En témoigne le salaire pharaonique d'Eric Gerets, à la tête de la sélection marocaine.
«Contrairement aux préjugés, il y a beaucoup de pays africains où le football est riche, complète Hervé Penot. En Afrique du Sud, au Soudan, en Côte d’Ivoire et au Maghreb, il y a beaucoup d'argent. Il faut des moyens pour faire venir des entraîneurs comme le Suédois Eriksson [qui a fait un court passage chez les Éléphants].»
Mieux vaut des idées que de gros cachets
Dans une sélection comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou tout autre pays africain qui compterait des stars évoluant à l’étranger, il faut un homme à poigne. Un homme qui a un palmarès.
«Je ne peux recruter un homme qui n’a pas de CV, confiait notamment à Joachim Barbier le président de la fédération camerounaise. Sans quoi il ne pourrait pas cadrer des joueurs comme Samuel Eto’o…»
C’est pourtant un parfait inconnu qui a emmené la Zambie au bout de la CAN 2012. Lorsqu’Hervé Renard a débarqué à Lusaka, il n’avait été que l’assistant de Claude Leroy. Mais Hervé Renard n’avait de pas de «stars» à gérer...
«La Zambie a préféré choisir un mec qui avait des idées, plutôt que quelqu’un venu pour faire du cachet, et ça a payé, analyse Joachim Barbier. Il y a des entraîneurs qui sont sûrement bons, et à qui on ne donne pas leur chance.»
Gageons que Sabri Lamouchi, qui arrive aux commandes d’une machine bien huilée, pourra saisir cette chance.
Dans beaucoup d’autres cas, tout est à construire. Et les moyens du bord imposent parfois d’inventer un système de poulies accrochées aux portes pour faire de la musculation, se souvient avec amusement Le Roy.
«Quand je suis arrivé au Gabon, il n’y avait rien. L’équipe était au 36e dessous. J’ai tout mis en place, lui fait écho Alain Giresse. Mais sur le plan humain, le Gabon fut une expérience extraordinaire et unique. C’est rare de retrouver ce que j’ai vécu là bas.»
Avis aux amateurs.
Antoine Galindo
À lire aussi
Les sorciers blancs du ballon rond ont la peau dure
Pourquoi l'entraîneur est toujours blanc (ou presque)
Les joueurs africains sont-ils discriminés par leurs clubs européens?
Mali : Giresse fait son nid chez les aigles
Le football africain fait rêver le Qatar