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Prière musulmane à Zanzibar. SIMON MAINA / AFP
Prière musulmane à Zanzibar. SIMON MAINA / AFP

Tanzanie: les islamistes de Zanzibar demandent le divorce

Le Forum de la renaissance islamique appelle à un référendum pour l’indépendance de Zanzibar. Fin mai, les séparatistes ont incendié deux églises, après l'arrestation d'un imam.

«Nous voulons l’indépendance.» À Stone Town, la capitale de l’archipel de Zanzibar, les journaux, vendus sur les trottoirs dans de petits présentoirs, reprennent inlassablement la volonté des leaders du Forum de la renaissance islamique, également connu sous le nom d’Uamsho («Réveil» en kiswahili) et qui regroupe une trentaine d’organisations musulmanes.

L’un des plus éminents représentants de l’islam en Tanzanie, Issa Bin Shaaban Simba, est monté au créneau le 10 juin pour prévenir le gouvernement du pays: le point de non retour n’est plus très loin à Zanzibar, avec des risques que les musulmans s’en prennent violemment aux chrétiens.

«Ce type de situation n’existait pas avant. Si rien n’est fait, il y a de forts risques que nous entrions dans une longue période d’affrontements entre chrétiens et musulmans», a-t-il notamment averti.

Le gouvernement tanzanien, lui, n’a pas bougé d’un iota et refuse d’accepter la requête du Forum de la renaissance islamique, et de ses nombreux partisans, qui prônent l’indépendance et un referendum sur la légitimité de l’union formée depuis 1964 avec la Tanzanie continentale —l’ancien Tanganyika de l’époque coloniale.

L’avertissement de M. Bin Shaaban Simba trouve tout son sens à la suite des violences perpétrées les 27 et 28 mai à Stone Town. Une poussée de colère née de l’arrestation le vendredi 26 mai, jour traditionnel de prières, d’un imam appartenant à Uamsho.

«Je t’aime, moi non plus»

A coup de jets de pierres contre les forces de l’ordre, ils ont protesté contre cette arrestation, avant de mettre le feu à deux églises, à l’aide de chaises en plastique enflammées. Des actes qui inquiètent les chrétiens de Zanzibar, déjà malmenés dans le passé. Certains y voient aussi le signe d’une manoeuvre du Tanganyika, où la religion chrétienne domine par rapport à l’islam, pratiqué par 99% de la population à Zanzibar.  

Il faut dire qu’entre l’île natale du chanteur Freddy Mercury, et l’ancien Tanganyika de Julius Nyerere, l’équilibre a toujours été difficile à trouver sur le refrain de «Je t’aime, moi non plus». Lors de la célébration de l’anniversaire de l’Union, le 26 avril dernier, les leaders d’Uamsho avaient réclamé publiquement la fin de l’union. Il ne leur aura donc fallu qu’un mois pour passer des mots aux mains.

Le Sheikh Farid Hadi Ahmed, leader du Forum de la renaissance islamique, n’a pas manqué de répéter, depuis les incidents, que le combat pour le referendum ne s’arrêtera que lorsqu’il sera gagné:

«Nous demandons la souveraineté de Zanzibar, et nous continuerons de le demander», a-t-il martelé le 1er juin face aux journalistes, venus en nombre.

«Laissons les habitants de Zanzibar décider, s’ils veulent ou non de cette union», a-t-il ajouté.

Des soutiens financiers du Moyen-Orient?

Zanzibar, un archipel de deux îles (Unguja et Pemba), à une quarantaine de kilomètres des côtes est-africaines pour la première, dispose d’un statut semi-autonome.

Colonisé par les Portugais à partir de 1503, avant d’être repris par les Omanais qui en firent même la capitale de leur sultanat, Zanzibar, sous protectorat britannique jusqu’en 1964, possède son propre président, un parlement et des ministères pour les affaires propres à la vie de l’archipel, l'éducation et la santé par exemple.

Cela ne lui confère donc pas une indépendance totale, pour les Affaires étrangères notamment. Qui plus est, l’archipel -historiquement plus pauvre que le Tanganyika- s’estime perdant: la redistribution ne serait pas à la hauteur des taxes reversées aux autorités de Dar es-Salaam, la capitale tanzannienne.

La question de la constitution est également un des moteurs de la protestation d’Uamsho. La Tanzanie débute en effet des travaux, devant aboutir en 2014 à la rédaction d’une nouvelle constitution.

Uamsho préfère anticiper pour mieux se protéger:

«Nous avons notre propre constitution à Zanzibar, nous n’en voulons pas une autre. Nous ne voulons pas d’une constitution qui remettra en question les traditions musulmanes de Zanzibar. C’est la liberté que nous demandons.» 

Si l’indépendance revient régulièrement sur le devant de la scène depuis les années 1960, la fièvre séparatiste actuelle trouble plus qu’à l’accoutumée les ambassades occidentales à Dar es-Salaam, qui suivent de près la situation et multiplient les entretiens avec les autorités.

Uamsho inquiète, par la virulence des propos mais aussi du fait des soutiens financiers dont le mouvement disposerait, en provenance du Moyen-Orient, d’où sont originaires les nouveaux investisseurs de Zanzibar. Sans oublier l’ancien colon, le Sultanat d’Oman.

Des rumeurs rapidement écartées par le Sheikh Ahmed: «Nous ne sommes pas financés par l’étranger, ni dirigés par un parti politique».

Interdit de débattre dans les mosquées

Si le président de Zanzibar, Ali Mohamed Shein, a mis quelques jours à réagir, il a tenu à rappeler qu’«aucun groupe religieux ne sera autorisé à semer le désordre sur l’archipel». Il a pris la décision d’interdire les débats politiques dans les mosquées et sur les sites Internet.

Certains, dans la société civile zanzibarite, ont souhaité remettre les imams à leur place, leur demandant de ne pas investir le champ politique.

Les reproches formulés à l’encontre du gouvernement de Zanzibar pleuvent depuis les violences de la fin mai.

«Le problème, c’est que le gouvernement a mis beaucoup trop de temps à réagir alors que nous sommes nombreux à savoir qu’Uamsho incite depuis des mois les jeunes musulmans à aller brûler des églises», assure un commerçant de Stone Town, sous couvert de l’anonymat.

Le calme est en tout cas revenu à Zanzibar, même si l’atmosphère y est toujours pesante. Les forces de police, renforcées, patrouillent et surveillent de près les éléments d’Uamsho. Les autorités plébiscitent le dialogue aux manifestations et au risque qu’elles dégénèrent à nouveau.

Il faut dire que Zanzibar joue gros ces prochaines semaines avec le début de la haute-saison touristique et l’arrivée de centaines de touristes occidentaux. La sécurité sera l’obsession des autorités.

Arnaud Bébien

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Arnaud Bébien

Journaliste français installé en Tanzanie, spécialiste de l'Afrique de l'Est.

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