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Egypte: le mâle du bus
Les femmes du Bus 678, du réalisateur Mohammed Diab, raconte le combat, par tous les moyens, de trois Egyptiennes victimes du harcèlement sexuel et du machisme.
Un bus, trois femmes, un destin. Dans son premier long métrage Les femmes du Bus 678, Mohammed Diab raconte le harcèlement sexuel vécu et combattu à l’unisson par trois femmes de milieux différents.
Fayza (Bushra Rozza) est fonctionnaire et mère de deux enfants dont elle peine à payer les frais de scolarité. Seba (Nelly Karim) incarne plutôt la classe supérieure égyptienne. Sensible à la beauté de l’art, elle passe ses journées à créer des bijoux et figurines en fil de fer dans son atelier, situé dans le vieux Caire, en plein cœur du souk Khan al-Khalili.
Le personnage de Nelly (Nahed El Sebaï) est inspiré de Noha Rushdi, la première égyptienne à avoir intenté un procès pour harcèlement sexuel en 2008. Sorti en 2010 en Egypte, ce long métrage parle aux Egyptiens qui se reconnaissent dans les lieux, rues et personnages filmés par Mohammed Diab.
Trois femmes humiliées
Au quotidien, Fayza pâtit du mâle en mal de sexe. Elle aimerait tant prendre le taxi, mais son budget ne le permet pas. Elle doit prendre le bus si elle veut payer l’école privée de ses enfants. Sinon, ces derniers seront obligés de fréquenter les écoles dévastées du gouvernement comme 95% des écoliers égyptiens.
Voilée et habillée de vêtements larges, Fayza tente de cacher toutes formes susceptibles de provoquer un quelconque désir. Mais quand elle entre dans le bus, rien n’y fait. Le mâle prédateur cherche une proie. C’est elle. Elle esquive, en silence. Très vite elle ne peut plus se taire et laisser faire. Humiliée, elle pousse un cri et blesse son agresseur. «Elle est folle», s’exclame l’homme cherchant un soutien auprès des autres passagers.
Dans un élan de machisme généralisé, la victime devient le bourreau. Conspuée et dévisagée, Fayza quitte le bus. Elle l’a bien cherché, pensent certains. La femme tentatrice a ce qu’elle mérite.
Seule face à une société inégalitaire et machiste, Fayza décide de se défendre et d’humilier ceux qui l’humilient. Dès qu’un homme s’aventure à lui caresser les fesses, Fayza, pugnace, lui entaille le sexe.
Porter plainte malgré la pression familiale
Seba circule en 4x4. Contrairement à Fayza, elle n’est pas obligée de prendre les transports en commun pour rejoindre son atelier. Mais le harcèlement sexuel n’épargne pas les femmes aisées. En un soir, sa vie bascule. Enceinte, elle accompagne son fiancé à un match de foot. Après la victoire, scène de liesse dans les rues du Caire. La foule est compacte et décide pour vous.
Ce soir là, Seba ne maitrise plus rien. Elle se débat, en vain. Elle est emportée au loin. Au lendemain de son agression, le comportement de son fiancé est emblématique des réactions que provoquent une agression: une combinaison de honte, de culpabilité et de machisme.
Seba refuse de faire l’autruche. Elle organise plusieurs fois par semaine une réunion de «self defense» au Sawi Culture, une salle de spectacle et de rencontres à Zamalek, un quartier cossu du Caire. Au cours de chaque séance, elle encourage les femmes à verbaliser leur agression. Quand? Combien de fois? Où?
Nelly donne une représentation dans la salle annexe. Avec son fiancé, elle tente de trouver une voie dans le «One (wo)man show». Comme Seba, elle a été agressée. A l’instar de Noha Rushdi, Nelly porte plainte pour agression sexuelle malgré la pression de sa famille.
Un mâle, des maux
Le destin de ces trois femmes nous révèle avec finesse et réalisme les traits de la société égyptienne comme la difficulté de se marier, la pauvreté, l’ignorance ou même la conception du plaisir et du sexe…
Se marier en Egypte devient vite un calvaire. Le futur mari doit garantir une qualité de vie à sa future promise. Les parents de la mariée réclament souvent un appartement, de l’or et des bijoux. Ainsi le fiancé de Nelly abandonne le One Man Show pour un poste en banque…
Au-delà des complications liées au mariage, Mohammed Diab donne à voir les maux de la société égyptienne. Tout d’abord le silence.
«Pendant des années, on a mis la tête dans le sable. La victime d’un abus sexuel se cache parce que c’est la honte. Personne n’osait se défendre», confie Imane, professeur de français au Caire et militante féministe.
Vêtue d’un voile rose assorti à ses bijoux, Imane allume frénétiquement sa cigarette. Elle ne comprend pas que des agressions sexuelles puissent avoir lieu dans un pays majoritairement islamique:
«C’est contraire à notre société. L’islam interdit l’agression sexuelle. J’en conclus que la religion est avant tout une apparence en Egypte.»
Les agressions sexuelles ne datent pas d’hier, or cela ne fait pas très longtemps que ces affaires ont leur place dans les colonnes des canards égyptiens.
La loi sur le harcèlement sexuel déjà remise en cause
Le sexe demeure tabou dans une société où les clips de chanteuses sexy pullulent sur les chaînes musicales. Imane n’a jamais parlé de sexualité avec sa mère, au moins jusqu’au jour de son mariage.
«Après les noces, ma mère est sortie de son mutisme et m’a conseillée de faire plaisir à mon mari. Et mon plaisir dans tout ça?», s’interroge Imane.
Quid d’une loi contre le harcèlement sexuel? Elle existe en Egypte depuis 2009. Avant cette date, l’agression sexuelle n’était pas un délit. Mais le combat continue pour les associations féministes interloquées par la position d’une députée du parti des Frères musulmans qui a dernièrement proposé de supprimer la loi contre le harcèlement sexuel.
Nadéra Bouazza
Les femmes du Bus 678. Un film de Mohamed Diab (Egypte), avec : Nahed El Sebaï, Bushra Rozza et Nelly Karim, Omar El Saeed - 1h40 - Sortie : 30 mai 2012
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