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Mauritanie - La prison pour des militants anti-esclavagistes
Biram Ould Dah Ould Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une ONG anti esclavagiste, et six autres militants de l’organisation ont été placés en détention préventive, à l’issue de plusieurs semaines de garde à vue dans les locaux de la Direction de la sûreté de l’Etat (DES) en Mauritanie.
«Ces militants anti esclavagistes sont poursuivis pour des autodafés portant sur des écrits de jurisconsultes du rite Malékite, qu’ils perçoivent comme une apologie de la pratique de l’esclavage», rapporte l’agence panafricaine PANA.
Après le placement en détention provisoire, le mouvement abolitionniste dénonce «le mutisme du procureur de la République qui refuse de communiquer la moindre information sur le dossier, et même les chefs d’inculpation sur la base desquels le leader de l’IRA et ses compagnons ont été placés en détention comme une violation flagrante des règles du Code de procédure pénale (CPP)», dans une déclaration diffusée à la presse.
Ces autodafés ont suscité de vives réactions en Mauritanie à travers de nombreuses manifestations de rue pour condamner le geste et réclamer «un châtiment exemplaire contre ses auteurs».
«En s’attaquant au dogme de manière aussi spectaculaire, Biram Ould Dah et ses compagnons ont agi comme un extraordinaire révélateur de l’anomie de la société mauritanienne. Leur geste a provoqué un tumulte passionnel sans précédent: lynchage médiatique, furie des sphères religieuses, vitupération ou lâchage de la classe politique, désaveu ou reniement de la société civile, manifestations de rue et meetings -spontanés ou pas-, et jusqu’à un Conseil des ministres dédié» analyse Roger Botte, anthropologue au Centre d’études africaines EHESS - IRD dans une tribune publiée par Libération.
Toutefois, une partie de l’opinion rejette «son instrumentalisation» par le pouvoir, et fait remarquer que les écrits dénoncés ne sont ni le Coran, ni la Charia, qui bénéficient d’une vénération et d’une protection absolue en Mauritanie, pays à dominance musulmane.
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz avait alors pris l'engagement de «sanctionner sévèrement les auteurs de cet acte d'hérésie».
De nombreuses organisations de défense des Droits de l’Homme se sont mobilisées pour exiger la libération de Biram et de ses compagnons «détenus de façon arbitraire», selon ces organisations soutenues par des partis d'opposition.
En Mauritanie, où l'esclavage est officiellement interdit depuis 31 ans et criminalisé depuis 2007 -les personnes reconnues coupables de cette pratique sont passibles de dix ans de prison ferme-, cette pratique «existe bien» et le nier «nuirait à son éradication», a affirmé récemment à Nouakchott l'opposant Messaoud Ould Boulkheir, également chef du Parlement.
Ceci-dit, Ould Boulkheir a condamné l'autodafé de livres du rite malékite début mai à Nouakchott par des dirigeants d'une ONG anti-esclavagiste «parce qu'ils justifient l'esclavage». L’opposant a estimé que la lutte contre ce phénomène doit être menée «pacifiquement par toutes les couches sociales».
Dans une interview au journal algérien El Watan, Biram Ould Dah Abeid a estimé que «les noirs de Mauritanie sont victimes d’un racisme orchestré par l’Etat».
Selon l’activiste mauritanien, «5% de la population en Mauritanie sont des esclaves domestiques. Ces derniers n’ont pas accès à l’éducation et n’ont pas le droit de posséder des pièces d’état civil. Ce qui fait qu’ils n’ont pas le droit à la propriété et ne peuvent pas voyager. Il faut ajouter que ces personnes ne bénéficient pas de repos, encore moins d’un salaire. Ils subissent régulièrement des châtiments corporels. Pis encore, ils n’ont aucun droit sur leurs enfants et n’ont pas le droit au mariage. Et je vous informe que le phénomène s’est aggravé».
Lu sur Libération, El Watan
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