mis à jour le
Rwanda - Des missiles français ont-ils abattu l'avion du président Habyarimana?
Qui a tué le président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, à Kigali?
Une question qui se pose depuis près de 20 ans, et à laquelle personne n'a jamais apporté de réponse définitive. C'est pourtant cet attentat qui fut déclencheur du génocide des Tutsis, causant, entre le 6 avril et le 4 juillet 1994, la mort de près de 800.000 personnes.
Un document de l'Organisation des Nations Unies (ONU), longtemps enfoui dans la masse des archives de l'époque, et subitement resurgi, vient un peu éclairer la question: les missiles ayant abattu l'avion présidentiel, alors qu'il allait se poser à l'aéroport de Kigali, pourraient bien être français, révèle le quotidien français Libération dans son édition du 1er juin.
«C'est presque par hasard, dans le cadre d'une recherche historique, que Linda Melvern, journaliste britannique, tombe sur la fameuse liste évoquant la présence de missiles Mistral, dans les archives de l'ONU. (...) C'est une simple liste qui énumère des stocks d'armes, sans aucun commentaire», écrit Libération.
Cette révélation vient renforcer une des deux thèses qui s'imposent:
Première thèse: les rebelles Tutsi du FPR (Front patriotique rwandais) et de Paul Kagamé (actuellement au pouvoir) seraient les auteurs de l'attentat. Hostiles au clan Habyarimana et aux Hutus, qui détenaient le pouvoir à Kigali, le FPR était cependant entré dans un processus de partage du pouvoir, que souhaitait le président Habyarimana.
Seconde thèse: c'est l'entourage du président Juvénal Habyarimana qui aurait commandité l'attentat, pour freiner le processus de partage du pouvoir avec la rébellion Tutsi.
La première thèse a depuis 18 ans ans été majoritairement accréditée par le fait que le FPR était supposément le seul à détenir des missiles. Tandis que la seconde était renforcée par le lieu hypothétique de l'attentat, déduit des rapports d'experts: le camp militaire proche du palais présidentiel et de l'aéroport de Kigali.
Mais voilà que la première thèse de la responsabilité des Tutsi du FPR est très largement mise à mal par cette révélation.
Et la France dans tout ça?
A l'époque des faits, le président François Mitterrand cohabitait avec le gouvernement d'Edouard Balladur (mars 1993-mai1995). Le quotidien Libération revient longuement sur la place de la France dans le conflit, et sur l'instruction, ouverte en 1998, du juge français Jean-Louis Bruguière.
Sans jamais se rendre sur les lieux de l'attentat, il a toujours eu «du mal (ou peu d'intérêt) à admettre que les proches du président rwandais ont pu assassiner leur chef, soupçonné de céder au partage du pouvoir avec les rebelles Tutsis.»
L'enquête a été reprise en 2007 par les juges anti-terroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux, et la liste de l'ONU a été reversée au dossier de l'instruction.
Le quotidien fait encore état des entraves de l'Hexagone au bon déroulement de l'enquête:
«Depuis 1994, l'affaire (...) a donné lieu à une série de manipulations rocambolesques»
Avant de suggérer, par la voix d'un avocat d'officiers rwandais, que «cet enfumage est toujours venu de Paris».
Citant un rapport de l'armée belge (qui participait à la Minuar, la force de l'ONU au Rwanda, en 1994), Libération conclut finalement:
«Si jamais l'utilisation [des missiles Mistral] dans l'attentat du 6 avril 1994 était finalement avérée, une telle information "impliquerait la complicité des autorités d'une nation qui en possède ou produit"»
Fait aggravant, les missiles Mistral n'avaient à l'époque pas encore fait l'objet d'une AEMG (autorisation d'exportation de matériel de guerre), et leur présence au Rwanda était tout à fait illégale au regard de la loi française...
Lu su Libération
À lire aussi
France: à quand une loi sur le génocide Rwandais?
La France au Rwanda, une seconde guerre d’Algérie?
Les journalistes ont-ils le droit d'enquêter sur les accusations de génocide?
La France et le Rwanda se réconcilient (ou pas)
Rwanda: la paix des juges entre Paris et Kigali