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Béjaïa est le deuxième port algérien. Bejaïa/Bougie / Tonton Jaja via Flickr CC License by
Béjaïa est le deuxième port algérien. Bejaïa/Bougie / Tonton Jaja via Flickr CC License by

«Printemps arabe ou berbère, je m'en fous royalement, je suis bien ici»

En Kabylie, on trouve encore des cabarets et des filles de joie, des zones désertées et d'autres surpeuplées. Alger semble bien loin, la politique aussi. Même le mouvement pour l'autonomie de Kabylie est peu suivi. Deuxième partie du reportage de Chawki Amari en Kabylie.

Une vue imprenable. A Béjaïa, coincée entre mer et montagne, entre la montée du Cap Carbon et la vieille ville qui surplombe la rive, Sidi Touati est l'une des premières universités du Maghreb et du monde. Fondée au 12ème siècle, elle rassemblait à l'époque des savants du monde entier et il n'était pas rare d'y voir des femmes y soutenir une thèse en astronomie.

Délabrée aujourd'hui, l'établissement n'accueille plus qu'un mausolée où la tombe du Saint recueille quelques fidèles. Mais Béjaïa est devenue une grosse ville, la plus grosse sur cette côte, terminus de la Nationale 24. Béjaïa, Vgayet pour les Berbères, est la cité la plus riche de Kabylie et s'impose comme le deuxième port du pays. Elle a une longue histoire, romaine, vandale, arabe et turque, et a donné son nom aux bougies puisque la ville fournissait une grande quantité de cire destinée la fabrication des chandelles..

Sur le front de mer, baptisé Fibonacci, du nom du mathématicien italien qui vécu à Béjaïa de longues années et travailla sur les chiffres arabes (indiens à l'origine) pour les transmettre à l'Europe, Madjid, nouvellement agent immobilier, a flairé la bonne affaire:

«Il n'y a aucun problème de sécurité ici. D'ailleurs, les prix ont grimpé, parce que beaucoup veulent y vivre, Algériens et mêmes des émigrés d'Europe.» Pourquoi? «Parce qu'on y respire mieux, les islamistes sont invisibles, même si l'on s'y ennuie ferme», explique-t-il en concluant par un «même ceux qui ne sont pas Kabyles veulent y vivre», comme s'il était impensable pour un non Kabyle de vivre en Kabylie.

Mais Béjaïa, de part sa longue histoire, sait mélanger les genres, même si les puristes kabyles lui reprochent ses alliances de vieille cité avec les autres populations, son parler contenant d'ailleurs beaucoup de mots arabes.

Ce qui fait réagir Sonia, 20 ans, qui n'est pas d'ici mais vient tout juste d'y terminer son Master en Tamazight, la langue berbère Une filière où il n'y a pas vraiment de débouchés, à part l'enseignement. Pourquoi avoir choisi cette branche? A son jeune âge, elle est formelle, «si je n'enseigne pas le Tamazight (Berbère), qui va le faire?»

Les pieds dans le vide

En quittant la grosse Béjaïa vert l'Est, toujours sur la côte, on tombe sur un étrange village, Tichy, qui ferait croire au voyageur de passage qu'il n'est pas en Algérie. Repaire de bars, cabarets et filles de joie, elle attire aussi bien les Kabyles que les autres, dépourvus en ce genre de plaisirs, et fait la joie des noceurs et le drame des habitants de ce village balnéaire. «Printemps arabe ou berbère, je m'en fous royalement, je suis bien ici», explique un jeune de Sétif (en terres arabophones, à 100 kilomètres au sud). 

Sur cette côte nue, il y a très peu de villages, si peu que le même voyageur de passage penserait que la région est inhabitée. Aokas ou Melbou sont les derniers villages jusqu'à l'autre frontière avec le pays arabophone, sur la route de Jijel. Pourtant, il suffit de franchir la première barre rocheuse et de contourner la montagne qui plonge ici directement dans la mer pour trouver des centaines de villages accrochés aux crêtes, nichés sur des aplombs, au bord de falaises vertigineuses, les pieds dans le vide.

Boukhlifa, Aguemoun (le village d'origine de Zinedine Zidane), Ait Noual, avec ses gendarmes établis sur une plate-forme en hauteur pour dominer les villages, Feraoun, Ath Maouche, Ath Ouartilane, les villages se suivent et se ressemblent, collés les uns aux autres, vieilles maisons aux tuiles romaines ou habitations récentes, blocs peu esthétiques de plusieurs étages avec, en bas, les fameux «igaragen», ces garages qui peuvent accueillir des magasins ou être loués.

A «Babors» toute

A Tamokra, un convoi militaire passe prudemment, lourdement armé, comme pour se rappeler que par tradition, les Kabyles n'intègrent jamais l'armée, même s'il y a quelques généraux originaires de Kabylie. A Ilmayen, quelques slogans du MAK, le mouvement pour l'autonomie de Kabylie (dont le leader s'est dernièrement rendu en Israël, suscitant colères et rancoeurs), font leur apparition, même si le mouvement est peu suivi.

Une dernière grimpette ardue, un col, puis une descente un peu molle. C'est la fin du territoire des Babors: Theniet Ennasr, à la frontière des territoires arabophones et berbérophones. Tout comme la Kabylie montagneuse, enclavée et dense, possède (si l'on excepte les villes) la plus grande densité de population du continent africain, les Babors sont surpeuplés. Et très peu dotés en équipements. On y compte un médecin seulement pour 5.000 habitants.

Pourtant, paradoxalement, la Kabylie se vide: les habitants font moins d'enfants et partent, à tel point que des écoles ferment, faute d'écoliers. La Kabylie, pauvre et qui fait beaucoup d'enfants, trop peuplée devient elle aussi une légende.

La politique fait grossir les plus rebelles

La descente. Mechdellah, petit village encore berbère, là où une liste de fous (des vrais, sortis de l'asile), a été montée pour être présentée aux élections législatives, en guise de gag politique. Puis la plaine jaunie par le soleil, celle que les Kabyles n'aiment pas trop parce que ouverte à l'acculturation, au régime central et aux autres. Comme Bouira, ville anciennement kabyle (Tuviret pour les intimes), où tous les bars ont fermé.

Il faut monter, grimper dans l'Adrar N'Jerjer, le Djurdjura des Français, les Monts Ferratus des Romains, pour trouver un peu de fraicheur et quelque chose à boire. Haïzer, village informe, Mimouna et Ain Allouane, localités à l'abri des vents, du monde et de la technologie, puis le Djurdjura, versant Sud, très rocailleux, où les villages sont par contre très rares, du fait de l'altitude. La station d'hiver, Tikjda, où l'on peut encore faire du ski en hiver quand on trouve des skis, puis la longue et sinueuse route qui mène vers les cols, entre immenses barres de calcaires nus qui naviguent à 2.000 et 3.000 mètres d'altitude, au milieu des cèdres et des aigles, seules créatures à vivre aussi haut, là même, contrairement au typique olivier de Kabylie.

A 1.700 mètres d'altitude, nous rencontrons Dda Hocine, avec sa veille canne en bois de cèdre, en sa qualité de gardien du Parc National du Djurdjura, parc protégé où vivent des espèces animales et végétales inconnues ailleurs, le singe magot et le pin noir pour ne citer que les plus connues. Il tient d'abord à préciser que «personne n'a voté chez nous». Il explique que les habitants avaient voté la fois précédente pour une jeune avocate toute maigrichonne et dure comme un calcaire blanc de Kabylie. «Elle a énormément grossi en 5 ans», assure-t-il. C'est la raison pour laquelle personne n'a voulu revoter pour elle. Ici, dans ces montagnes austères, l'obésité est suspecte, tout comme la politique, qui fait grossir les plus rebelles.

«Le repos du Kabyle est dans la station debout»

Quelle est la solution? Il n'y en n'a pas. Au dessus de cette sombre forêt des Aït Ouabane, forêt la plus haute d'Algérie, le col de Tizi N'Kouilal qui relie les deux versants du Djurdjura, est fermé. En ce mois de mai, il y a toujours de la neige sur les hauteurs et il est impossible de rallier le versant Nord pour redescendre vers Iboudrarène, Ath Yenni, Ain El Hammam et Tizi Ouzou et boucler la boucle en retournant vers Alger. Les Kabylies ont du mal à se joindre, les connexions sont mauvaises et les routes interminables, quand elles ne sont pas défoncées. «C'est voulu», aurait encore conclu Amar, de Tigzirt et sa côte si lointaine.

Retour vers Alger, gare routière, où le voyageur Kabyle du début de la balade a du trouver un car puisqu'il est parti vers son village d'origine. La légende dit qu'il est resté debout dans le car, pendant les cinq heures du trajet, parce que «raha ouqavaili d aveddoud», rappelons-le, «le repos du Kabyle est dans la station debout». Mais il ne faut pas croire toutes les légendes.

Chawki Amari

Retrouvez la premiere partie du reportage de Chawki Amari

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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