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Claudine, 18 ans, vit cachée, dans la peur permanente des meurtres rituels. ©Matthieu Millecamps
Claudine, 18 ans, vit cachée, dans la peur permanente des meurtres rituels. ©Matthieu Millecamps

Albinos au Burundi, une vie «à l'ombre de la mort»

Chantal Ngendakumana, albinos de 15 ans, a été tuée le 6 mai dernier. Son corps a été démembré pour être utilisé dans des rituels de sorcellerie. Au Burundi, depuis 2008, c'est la 18ème victime de meurtres de ce type. Ils sont un millier, dans ce pays, à vivre dans la terreur.

Commune de Nyabitsinda, dans les collines de la province de Ruyigi, à l'est du Burundi. Une région pauvre, à l'habitat dispersé. Au centre du village, près d'un camp militaire, une maisonnette. Il faut enjamber ustensiles de cuisine et sacs de haricots pour se faire une place dans la pièce minuscule, plongée dans la pénombre. Il y a un lit, une natte sur le sol. Les murs sont noirs de suie. C'est dans ces 7m2 que les cinq albinos de la commune sont cantonnés, pour les « protéger » de ceux qui les pourchassent.

Claudine, 18 ans, la peau laiteuse, rougie par les brûlures du soleil, passe le plus clair de ses journées dans cette pièce sans âme. Avant, elle a vécu à la «Maison des Albinos» de Ruyigi.

«Nous allions à l'école encadrés par des soldats », se souvient-elle. Il n'y avait pas d'alternative :«Des gens nous cherchaient pour nous tuer ». Ils étaient 52 dans cette maison, jusqu'à ce qu'elle ferme ses portes en 2010 et qu'ouvrent des « centres d'accueil communaux», tels que celui de Nyabitsinda. 

Claudine n'a pas vu sa famille depuis des mois. Sa mère est trop vieille, ses frères l'ignorent. Les autorités locales n'aident en rien.

«Je vis avec ce que les gens me donnent», explique la jeune fille. Geneviève, maman de deux enfants albinos de trois ans et trois mois, vit là également. Elle partage avec Claudine et Wilson, un autre albinos de 13 ans, le peu que son mari lui apporte. Elle «n'imagine pas d'avenir» pour ses enfants. Claudine, qui rêve d'un petit commerce, n'y croit plus: «Parfois ça se calme, mais dès qu'un albinos est attaqué, la peur revient»

18 meurtres rituels depuis 2008

Ils sont près d'un millier, dans le pays, à partager cette terreur. «Entre 2008 et 2010, 17 albinos ont été massacrés au Burundi», explique Kassim Kasungu, président d'Albinos Sans Frontière (ASF), dans son bureau de Bujumbura. C'est dans les provinces frontalières avec la Tanzanie, «pays où les superstitions sont encore fortes», que se sont concentrés les meurtres.

Pour lui, «la peine de mort instaurée par le gouvernement tanzanien en 2007 pour les meurtriers d'albinos a déplacé les massacres au Burundi». En 2010, un groupe de tueurs a été arrêté et emprisonné à Ruyigi. Aucun albinos n'a été attaqué pendant des mois. Mais «ils se sont enfuis. Le dernier en décembre». Il soupçonne ce même groupe d'avoir tué la petite Chantal, dans la nuit du 6 au 7 mai, tout près de Bujumbura. La famille avait caché l'adolescente, en vain. Les tueurs l'ont démembrée avant de s'enfuir.

«Ils prennent les bras, les jambes, et s'en servent dans des rituels de sorcellerie. Certains gravent des versets du Coran ou de la Bible sur les os. C'est supposé apporter de la richesse, de tuer des "enfants du soleil".»

Un autre surnom traîne dans le sillage des albinos burundais: «Zgihume», «monstre» en kirundi. Car en plus de la terreur, il y a la discrimination. «Lorsqu'une mère accouche d'un albinos, on la dit maudite. D'autres pensent qu'elle a commis l'adultère avec un blanc», rapporte Kassim Kasungu. La honte est telle que «certains cachent la naissance, même à la famille. Les enfants ne sortent pas de la maison. Et pas seulement dans les campagnes». Conséquence: «Très peu d'albinos sont éduqués, beaucoup n'ont pas de revenu».

ASF tente aussi de répondre aux problèmes de santé des 863 albinos recensés dans le pays. La dépigmentation entraîne des risques accrus de cancers de la peau et des complications  ophtalmologiques. Des soins coûteux, qui exigent des spécialistes dont manque le Burundi.

L'association s'est surtout donné pour objectif de briser les croyances. Un chantier titanesque qui ne pourra se faire qu'à la condition «que le gouvernement mette fin à l'impunité des coupables», martèle Kassim Kasungu.

Entre la terreur et l'Espoir

«Nous vivons à l'ombre de la mort», glisse Nathalie Muco, albinos de 30 ans vivant à Bujumbura. Avec sa chemisette rose, ses ongles vernis et son joli sourire, elle semble pourtant aux antipodes de la vie recluse de la jeune Claudine.

«Mes parents m'ont soutenu. Quand j'étais petite, mon père est allé à l'école rencontrer les institutrices et les enfants, pour expliquer l'albinisme». Mais, première femme albinos à décrocher un diplôme universitaire au Burundi, Nathalie est sans emploi. Elle affirme vouloir «vivre le plus normalement possible, et tant pis pour ceux que cela gêne», mais elle prend des précautions.

«Je me déplace peu à pied, jamais loin de chez moi. Quand je monte dans un taxi, je connais le chauffeur.»

La jeune femme espère quitter le pays. Paradoxalement, elle a créé une association: l'Espoir. «Un groupe de femmes albinos, mais pas seulement, pour faire changer les choses.» Le  samedi, elles louent une salle pour y danser. «C'est le premier pas: s'accepter. A l'avenir, on veut développer des actions pour que ces femmes sortent de chez elles, aient un revenu.»

Résolument opposée aux centres pour albinos, «qui renforcent la discrimination», elle croit possible l'évolution des esprits. Écolière, une institutrice l'avait traitée de «maudite». «Il y a quelques temps, j'ai croisé cette femme dans un café. Elle est venue s'excuser.»

Bérangère Barret et Matthieu Millecamps

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