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Un migrant africain fume une cigarette devant le parc où il a passé sa nuit, le 26 mai à Tel-Aviv. REUTERS/Ronen Zvulen
Un migrant africain fume une cigarette devant le parc où il a passé sa nuit, le 26 mai à Tel-Aviv. REUTERS/Ronen Zvulen

Israël n'est plus la Terre promise des Africains

Depuis plusieurs semaines, la communauté africaine de Tel-Aviv est victime d’attaques racistes. Les amalgames se multiplient entre migrants clandestins et insécurité. Le débat fait rage et la communauté africaine d'Israël n’en peut plus.

Mise à jour du 16 juillet: Les 2.000 immigrés ivoiriens vivant en Israël ont jusqu’à aujourd’hui dernier délai pour quitter le territoire. Cet ultimatum a été fixé par le ministre de l’Intérieur Elie Yishaï.

***

Du haut de ses 12 ans, Djamila ne connaît qu’Israël, et c’est en hébreu qu’elle répond spontanément aux questions posées en anglais.

Comme beaucoup de personnes noires, elle est appelée Sudanese en pleine rue, l'appellation est donnée à ceux qui sont appelés les infiltrés (les demandeurs d’asile, ndlr) en Israël. 

«Je ne suis pas Sudanese! Mes parents sont originaires de Sierra Leone moi, c’est quoi ton problème?», rétorque Djamila.

La jeune fille ressemble fortement à ses parents. De son père, elle porte la tête haute et le regard percutant. Son sourire disperse la même lumière que celui de sa mère.

Sous ses airs angéliques, l’adolescente sait également renvoyer la foudre quand on l’agresse. Elle rétorque: «Je suis d’Israël si tu es trop ignorant pour le comprendre tant pis».

Il y a quelques jours, un groupe d’Israéliens d’une vingtaine d’années l’ont prise à partie alors qu’elle rentrait chez elle. «Ils m’ont dit de retourner dans mon pays», explique-t-elle.

L’adolescente répond alors, sans être impressionnée: 

«C’est toi qui devrait rentrer dans ton pays si tu n’es pas heureux en Israël, moi je vais grandir ici, si tu n’es pas content je peux appeler mon père pour qu’il te dise deux mots».

Alusine, son père, s’est installé en Terre promise avec sa femme pour fuir l’instabilité de son pays il y a déjà 17 ans. 

«Ma fille fera l’armée. Avec ma femme nous sommes d’honnêtes gens, et nous voulons également bâtir Israël. Je veux qu’on arrête de nous agresser», confie le père, blessé. 

Multiplication des actes d’intimidations 

Olga, elle, n’a pas réussi à se défendre lorsque devant ses jumelles de 5 ans, un homme pressé par la lâcheté lui a envoyé un crachat en plein visage. D’ordinaire très combative, elle a préféré battre en retraite. Aveuglée, elle a à peine eu le temps de monter dans son bus alors que ses deux filles pleuraient à chaudes larmes.

«Ça s’est passé très vite. Il m’a dit «Couchy go home» avant de disparaître. Aucun témoin n’a réagi, pire encore, certains criaient de plus belle «go home» quand d’autres souriaient en nous voyant désemparées».

Alors que les go home (rentre chez toi, en anglais, ndlr) résonnaient comme un refrain en canon dans le bus 17 qui la conduit à son domicile de Kyriat Shalom en périphérie de Tel-Aviv, le cauchemar pour cette famille congolaise ne touche pas à sa fin.

«Le chauffeur a augmenté le volume de la radio qui diffusait une émission où les auditeurs prennent la parole en direct. Des Israéliens appelaient pour exprimer leur rage contre la présence des Africains à Tel-Aviv avec des propos racistes et xénophobes», explique la trentenaire révoltée.

À demi-mot l'animateur incitait lui aussi la population à passer à l'acte selon Olga: «J'avais si peur qu’on nous fasse du mal». La mère de famille bouche alors les oreilles de ses deux filles toujours en larmes et se met à prier pour que Dieu la protège.

Emeutes raciales

Dans la communauté africaine, chacun déplore l’animosité ambiante à leur égard.

Cette situation a atteint son paroxysme dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 mai lorsque dans le quartier défavorisé de HaTikva, situé dans le sud de Tel-Aviv, un millier d'Israéliens ont défilé en scandant «Les Soudanais au Soudan» et autres slogans xénophobes, en vilipendant «Les belles âmes gauchistes» qui défendent les réfugiés africains.

Certains manifestants ont attaqué et pillé des magasins tenus par des Africains et caillassé plusieurs voitures transportant des immigrés, comme le montre la vidéo ci-dessous.

Si dans le passé tous les Africains se connaissaient de vue, et affichaient la volonté de se réunir pour se soutenir et former une sorte de diaspora, aujourd’hui beaucoup pointent du doigt les derniers arrivants.

16.000 demandeurs d'asiles soudanais

Sur les 60.000 demandeurs d’asiles que compte Israël 34.000 viennent d’Erythrée, 16.000 viennent du Soudan, et 2.000 du Sud-Soudan.

Depuis 2005, seuls 650 personnes ont obtenu de l’Etat d’Israël le statut légal de réfugiés selon le ministère de l’Intérieur, les autres ont des visas renouvelables tous les trois à six mois.

Alusine, le Sierra Léonais, a fondé l’association African Workers Union Israel. Chaque pays africain y est représenté et son but est d’aider les migrants à résoudre ensemble leurs difficultés (administratives, sociales…).

Papa Jacques est le porte-drapeau du Congo:

«Depuis que les Soudanais sont arrivés vers 2006 notre quotidien est bouleversé. Nos salaires ont chuté parce qu’ils acceptent des salaires en dessous du minima (22 shekels par heure soit environ 4 euros). Beaucoup d’entre eux sont particulièrement violents», déplore-t-il.

Et Alusine d’ajouter: «Les Israéliens ne font pas la différence, un noir est un noir. Nous sommes de pays différents, nous avons des mœurs différentes et même quand nous sommes du même pays, nous sommes différents alors je ne sais pas quand les Israéliens vont faire la différence ».

Emmanuel, un Ivoirien installé en Israël depuis presque douze ans va encore plus loin:

«Les Soudanais et les Erythréens sont des sauvages! Ceux que je croise je les salue de loin. Ils ne sont pas éduqués et ils nous causent trop de tort ici». 

Mohamed, 26 ans, est Soudanais, il a fait des études de langues et n’a rien d’un sauvage.

Sensible, il se met à pleurer quand on l’interroge sur son quotidien:

«J’ai perdu ma famille au Darfour. Ici on nous appelle infiltrés est-ce que c’est normal? Je souffre, je suis ici depuis deux mois et je ressens de la haine de toutes parts. Je n’ai pas de travail, heureusement que j’ai un oncle ici, sinon je serai sur la pelouse de la place Levinsky comme tous les autres. On nous rejette, on ne nous donne pas facilement de travail. On devient fou ici».

Les Africains accusés à tort

Les riverains israéliens ne reconnaissent plus leur quartier et reprochent aux Africains d’être la cause de l’insécurité.

«La vie normale n’existe plus depuis l’arrivée massive des illégaux, j’ai peur lorsqu’ils me regardent avec insistance et désir», explique Tal qui habite les quartiers défavorisés au sud de Tel-Aviv.

Vraisemblablement, il existe un amalgame entre la montée évidente de la violence ces dernières années et les vagues d’immigrations massives en Israël.

Selon les statistiques, la police a poursuivi 2,4 % des infiltrés africains en 2009. En 2010, les délits impliquant des Africains avaient baissé pour atteindre 2,04 %. Ces  chiffres témoignent donc qu’en réalité, les Africains ne sont pas la cause de la montée de la violence en Israël.

En revanche, leur présence inquiète les plus conservateurs sur la perte du caractère juif de la société israélienne.

Le ministre de l'Intérieur Elie Yishaï, chef du parti religieux Shass, a déclaré à la radio militaire: 

«la plupart des réfugiés africains en Israël se livrant à des actes criminels ou au moins répréhensibles doivent être expulsés du pays».

Une députée du Likoud, le parti de droite du Premier ministre Netanyahou, Miri Regev, qui a participé à la virulente manifestation du 23 mai, a assimilé quant à elle les clandestins à «un cancer qui prolifère».

Le ministre de la Justice Yaakov Neeman a indiqué qu’Israël était en contact avec des pays africains ainsi qu’avec «un tiers pays» en vue de l’expatriation des infiltrés. Selon lui, Israël ne leur permettra pas dans tous les cas de travailler sur son territoire. 

«Leur motivation est de travailler, et on ne va pas les y autoriser», a-t-il déclaré lors d’une conférence du barreau à Eilat (au sud du pays). 

Certaines voix s’élèvent tout de même pour dénoncer ce genre de propos. Le député Dov Hanin (membre du parti Hadash, orienté à gauche) a condamné les commentaires de Yishai, les qualifiant «d’incitation à la haine raciale et de populisme» qui ne conviennent pas à une démocratie.

De même, Ron Huldaï, le maire de gauche de Tel-Aviv, a estimé que «si le gouvernement permet aux immigrés illégaux de s'installer à Tel-Aviv, il faut leur donner les moyens de vivre en leur permettant de travailler».

La haine raciale contraire au judaïsme?

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a condamné ces violences, affirmant qu’elles n’avaient «aucune place» en Israël, tout en s’engageant à «résoudre de façon responsable» le problème de l’immigration clandestine.

Véritable conscience morale du pays, le président Shimon Pérès a jugé que la haine des étrangers était «contraire aux enseignements du judaïsme» et que la violence n’était «pas la solution» face aux difficultés des habitants des zones sud de Tel-Aviv.

Près de 300 Israéliens scandalisés ont marché pacifiquement vendredi 25 mai pour témoigner leur horreur face aux propos et aux actes hostiles contre les migrants. 

«Nous sommes les petits-enfants des réfugiés juifs qui se sont installés ici pour fuir les persécutions racistes, les pogroms et la discrimination aveugle. On ne peut s’en prendre aujourd’hui à d’autres réfugiés en raison de leur différence, de leur couleur de peau, de leur statut socio-économique»,  explique un Israélien révolté.

«Nous devrions être bien plus nombreux», rétorque un autre avec une pancarte portant l’inscription «Nous sommes tous des réfugiés».

L’identité nationale, la sécurité, l’immigration de masse, les besoins en main-d’œuvre bon marché, des problématiques qui sont liées entre elles et qui témoignent du fait que la jeune nation d’Israël est confrontée aux mêmes enjeux que les pays européens.

A cela s’ajoute le défi important d’intégrer les immigrés à la philosophie juive. Reste à savoir si cette petite nation saura le relever.

Ekia Badou

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Ekia Badou

Ekia Badou. Journaliste française.

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