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Les armées «arabes» sont-elles solubles dans la démocratie?
La présidentielle égyptienne, et notamment le rôle qu'y tient l'armée, sont beaucoup scrutés. Car les militaires restent un problème dans les pays arabes. Peuvent-ils aussi être une clé du bon déroulement des transitions démocratiques?
Mise à jour du 25 juin 2012: Mohamed Morsi, premier islamiste à accéder à la magistrature suprême en Egypte, a promis dimanche, 24 juin, d'être le président de «tous les Egyptiens», en appelant à l'unité nationale et en promettant de respecter les traités internationaux signés par son pays.
Morsi a obtenu 51,73% des voix contre 48,27% pour Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre du président déchu Hosni Moubarak.
Des centaines de milliers de personnes ont fêté sa victoire sur la place Tahrir, au Caire, symbole de la "révolution" qui a renversé Hosni Moubarak en 2012.
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Que fera l'armée si elle perd la
présidentielle en Egypte? La question se pose au Caire et ailleurs. La
formule de transition décidera de la suite du printemps «arabe».
Etrange profession en fin de compte que celle des armées «arabes»: après la
libération, la liberté surveillée et l'inquiétude. Aujourd'hui, il est devenu plus facile d'arracher
un dictateur que de faire rentrer les militaires dans les casernes et les faire
sortir des ministères, des entreprises et des hautes administrations:
ceux-ci ont des intérêts, des industries, une histoire propre à l'intérieur de
l'histoire nationale, des enfants, des comptes et des convictions. Difficile de
passer ainsi à la démocratie.
La présidentielle égyptienne intéresse donc vivement les états-majors. L'armée égyptienne peut jouer à la formule algérienne en cas d'échec. Elle peut aussi gagner des élections, mais «à l'algérienne», avec un faux civil en affiche. Elle ne peut pas rester en vitrine car les putschistes sont infréquentables, mais elle ne peut revenir aux casernes, car les islamistes ne sont pas fiables ni mûrs. L'armée ne pourra pas rester en spectacle, ni se retirer sans garanties.
Dans le cas algérien, la caste avait pu gagner du temps en une décennie, mais dans le cas de l'Egypte, le temps est compté justement, et la transition immédiate est obligatoire. Les autres armées «arabes» regardent elles aussi le labo cairote en se demandant si leur destin est lié au dictateur ou à la transition réussie. Devenir une petite bavarde ou une grande muette. Investir le politique ou fabriquer un personnel affidé, pour les besognes politiques et les sociétés-écrans, comme ici chez nous en Algérie.
Les armées «arabes» sont le nœud des démocraties ratées
Car les armées se surveillent: celles de la Turquie et de la Jordanie ont surveillé et suivi le cas algérien. L'algérienne s'est intéressée à l'Amérique latine et à la Russie. La syrienne regarde avec fascination celle des éradicateurs des années 90 ici chez nous [en Algérie, ndlr]. Celle de la Tunisie veut apprendre la leçon égyptienne, celle de la Libye veut être formée comme les autres.
Les armées «arabes» sont le nœud des démocraties ratées dans cet univers. Les dictateurs ne sont que le pire symptôme de cette maladie. Les armées «arabes» n'ont pas d'occupation, de vocation ou de vrais métiers: il n'y a pas de stratégie de conquête du monde ni de convictions nationales saines et partagées. Pas d'issues, pas de confiance, pas d'amour ni d'admiration mutuelle. Juste la routine de la sentinelle et ses terribles soupçons, sa paranoïa qui rebondit sur les hymnes et agite les drapeaux comme des preuves.
Les armées arabes sont-elles solubles dans la démocratie? Il y faut beaucoup de courage et d'énormes garanties. Les islamistes sont-ils solubles dans la démocratie? Il faut une armée pour les y obliger. Et le peuple? Est-il soluble dans la démocratie? On ne sait plus là aussi. Surtout après le printemps «arabe» et le vote massif pour la barbe et le tampon sur le front.
Kamel Daoud (Le Quotidien d'Oran)
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