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Bénin: la colère des «squatteurs» de la lagune de Cotonou refoulés vers l'océan
Le quartier historique de Placodji, sur les berges de la lagune de Cotonou transformées en bidonville, a été rasé aux deux-tiers. Les habitants attendent toujours d'être relogés.
Mise à jour du 31 mai: Les protestations persistent à Cotonou selon RFI. Les habitants et les pêcheurs de la lagune parlent d’«expropriation sauvage».
«Rien ne devrait entraver les travaux d'assainissement de la lagune...» déclare le directeur de l’Environnement, responsable des travaux.
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On dirait un champ de ruines après un bombardement.
Des bulldozers ramassent les gravas et les entassent dans des camions-bennes.
Des familles vivent encore là, dans des abris de fortune qui ne protègent pas de la pluie de saison.
Certains, qui ont quitté le quartier, fouillent à la recherche d’affaires. Comme Benoît Anani, solide gaillard à la barbe poivre et sel, venu avec sa femme en voiture récupérer ce qui peut encore l’être.
«Voilà comment on nous traite. Je suis né ici, comme mon père et mon grand-père. Maintenant je suis comme un réfugié.»
Placodji est un quartier populeux de Cotonou, qui compte aujourd’hui plus de 7.000 sans-abri.
Une lagune devenue poubelle
La capitale économique du Bénin s’est développée autour d’une vaste lagune reliant le lac Nokoué à l’océan Atlantique et Placodji se trouve juste à l’embouchure, sur la rive ouest, sur 9 hectares.
Mais l’espace n’étant pas extensible, quand le quartier a grandi, les habitants ont pris la place où elle était, y compris sur les berges et les digues de protection de la côte.
Afficher Plakodji-Kpodji sur une carte plus grande
Début mai, dans une grande tension et à grands renforts de policiers, les bulldozers sont venus dégager la zone. C’est Blaise Ahanhanzo Glélé, le ministre de l’Environnement lui-même, qui a lancé l’opération, en déclarant:
«Je ne veux plus voir personne sur les berges, je veux que ce soit propre».
Le nettoyage a commencé à Placodji et doit s’étendre sur toutes les rives occupées par des habitants, des teinturiers et des marchés. Dans la plupart des cas, en toute illégalité et dans une grande insalubrité.
La lagune de Cotonou est une poubelle. Voici la description qu’en fait Imorou Ouro-Djeri, Directeur Général Adjoint au ministère de l’Environnement:
«Il y a une prolifération de dépotoirs sauvages qui crée une insalubrité indescriptible. La défécation sur les berges et dans la lagune à cause des toilettes sur pilotis entraîne un péril fécal. Il y a les animaux domestiques qui divaguent. Les teinturiers déversent leurs produits dans la lagune.»
A certains endroits, les berges ont même gagnées sur l’eau, comblées par les détritus. Mahutin et Thomas, amateurs de pêche, témoignent aussi de l’insalubrité qui règne à Placodji:
«On ne peut pas aller sur les digues, il y a du caca partout. Et quand on attrape du poisson, on le relâche.»
Les autorités se jettent à l'eau
En fait, la décision d’assainir les berges a été prise en 2003 en Conseil des Ministres à la suite d'une mission de l’Office Alimentaire et Vétérinaire de l’Union Européenne. Elle avait conclu que les conditions de production des ressources halieutiques (surtout les crevettes) ne répondaient pas aux normes européennes. Si rien n’était fait, les produits béninois seraient suspendus pour dix ans.
Rien n’a été fait. Les unités de production ont fermé mais la population présente sur les berges a augmenté et la pollution aussi.
Imorou Ouro-Djeri a suivi le dossier depuis le début.
«En 2003, il y a eu les premières réunions avec la population de Placodji pour qu’elle quitte les lieux. Ils ne sont pas partis, on n’a rien fait. Nouvelles discussions en mai-juin 2006, mais les habitants ont dit que c’était la saison des pluies et la période des examens. Même statu quo.»
Et ça a traîné jusqu’à cette année pour plusieurs raisons: changements de ministres, négociations sans fin avec les habitants, pression sociale et électorale.
Fin février 2012, l’Etat a décidé d’agir. La population a été informée, mais sans savoir quand l’opération aurait lieu. C’est lors d’une réunion le 24 avril que la date a été fixée et tenue secrète. Deux jours après, le marquage des sites à détruire commençait. Mais l’histoire avait tellement duré que beaucoup n’ont pas cru que la menace serait mise à exécution.
Les cent pas du roi
C’est une vieille histoire qui crée de nouvelles polémiques. Les habitants de Placodji ont manifesté quelques jours après le début de la casse. Il y a eu des débats à la télé entre représentants du quartier et du ministère de l’Environnement. Principal point de discorde: l’ampleur des destructions. Isaac Adossou, trentenaire né à Placodji, comme sa mère et sa grand-mère explique:
«On nous a dit 25m de la berge. Ma maison est à 250 mètres et elle a été rasée. Je suis d’accord, les 25 mètres sont pour eux. Mais le reste, c’est pour nous!»
Dans son bureau à la mairie du quartier, Séverin Agbaholou, chef du 5e arrondissement, dont la maison a elle aussi été réduite en miettes, raconte d’une voix empreinte de gravité:
«J’ai assisté aux réunions avec tous les acteurs de ce dossier. Il a toujours été question des 25 mètres réglementaires délimitant les berges lagunaires.»
Du côté du ministère de l’Environnement, Imorou Ouro-Djeri justifie l’opération:
«Les berges lagunaires, c’est 25 mètres à partir du niveau de l’eau. Il y a ensuite les cent pas du roi, où il n’est pas conseillé de construire. Et les cent pas du douanier. Nous avons choisi d’aller jusque-là car si on s’était arrêté aux 25 mètres, on n’aurait rien fait. On aurait laissé une bonne partie des déchets, des dépotoirs et autres. Nous avons tenu compte des limites des lotissements. Tous ceux qui sont au-delà ont été dégagés.»
Or seule une partie de Placodji, la plus ancienne, est lotie.
«C’est la responsabilité de l’Etat de ne l’avoir jamais fait, puis de la mairie quand elle a eu cette compétence. Il n’y a pas de voirie, pas d’infrastructures», déplore Séverin Agbaholou, qui, rappelons-le, représente la mairie de Cotonou dans son arrondissement.
Squatteurs sur leur terre
Pour lui, c’est un complot car le site, bien positionné entre lagune et océan, est convoité. Si les bulldozers ont vu large, c’est qu’il y a des projets pour cette zone: des infrastructures éco-touristiques, une zone de pêche, un port de plaisance, des restaurants, des bars, des espaces boisés.
Un recasement ou un dédommagement, c’est ce que réclament les habitants délogés. Ils l’ont dit au maire de Cotonou, Nicéphore Soglo, venu sur les lieux au bout d’une semaine. L’ancien président a versé des larmes en constatant les destructions.
Aujourd’hui considérés comme des squatters du domaine public par l’Etat, ils veulent faire valoir leurs droits sur cette terre qu’ils occupent depuis longtemps.
Car Placodji, qui signifie en langue mina, «quartier des Plas» est le premier quartier de Cotonou. Il a été créé au 19ème siècle par les Plas, aussi appelés les Popos, un peuple de pêcheurs originaires de l’ouest du Bénin.
«Les colons français, qui avaient établi des maisons de commerce à Koutonou (le nom d’alors), sont allés les chercher pour transporter les hommes et les marchandises dans des pirogues car la côte était houleuse, les bateaux devaient restés au loin. Habitués à aller en mer, ils étaient canotiers», raconte Sébastien Dossa-Sotindjo, historien spécialiste de Cotonou.
«C’est nous qui avons fait Cotonou»
Ils ont participé à la construction du wharf (appontement métallique) entre 1891 et 1999, jetée dont les restes sortent encore de l'eau, squelette métallique rongé par l’océan. Puis ils ont travaillé comme dockers au port de Cotonou. Tout en restant des pêcheurs.
Aujourd’hui, les habitants sont tous descendants des Popos.
«Le quartier est enclavé entre la ville et l’eau. Il a gardé son originalité, une vie communautaire et une grande solidarité. Même les jeunes qui veulent en sortir y reviennent toujours», explique Sébastien Dossa-Sotindjo.
Les habitants tirent une grande fierté de ce passé et le revendiquent, à l’image d’Isaac Adossou.
«On est ici depuis 200 ans, nous sommes les autochtones, c’est nous qui avons fait Cotonou. Ils veulent nous faire déguerpir. Mais on ne veut pas quitter Placodji, c’est notre héritage!»
Pour Séverin Agbaholou, «qu’on ne veuille pas reconnaître l’histoire de ce quartier et son apport économique au pays, c’est cynique. Penser le développement en détruisant, c’est briser nos valeurs culturelles et identitaires». Il raconte qu’il a reçu une délégation de chefs vaudou. Des temples et des fétiches ont été détruits et ces vodounon veulent une cérémonie de purification.
Entre lutte légitime contre l’insalubrité, méthodes musclées, projets touristiques et réalités historiques, le bras-de-fer a commencé. Avec en toile de fond, les élections locales qui auront lieu l’an prochain.
Delphine Bousquet
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