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Sacha Baron Cohen lors d'un photocall à Cannes pour la promotion de son film, le 16 mai 2012. Jean-Paul Pelissier / Reuters
Sacha Baron Cohen lors d'un photocall à Cannes pour la promotion de son film, le 16 mai 2012. Jean-Paul Pelissier / Reuters

Le Dictateur, un film raciste?

Le dernier film de Sacha Baron Cohen, le Dictateur, dont le personnage principal est inspiré par Mouammar Kadhafi, a des relents racistes - et n’est pas si drôle que ça.

Dans son nouveau film Le Dictateur, Sacha Baron Cohen emprunte librement au canon du «dictateur loufoque» établi par certains grands humoristes d’Hollywood.

On y trouve un échange d’identité involontaire tout droit sorti du Dictateur de Charlie Chaplin, une parodie de fervents gauchistes américains qui auraient pu être pompés dans le Bananas de Woody Allen, et un fil narratif «jeune aristocrate étranger prenant d’importantes leçons de vie dans les faubourgs extérieurs de New York» digne du Prince à New York d’Eddie Murphy.

Mais en remettant au goût du jour le genre du dictateur loufoque à la sauce printemps arabe, Cohen finit par obtenir un produit fini plutôt confus dans lequel on ne voit pas très clairement de qui on se moque.

Au départ il a été question, sans doute pour induire volontairement en erreur, que le film soit une adaptation libre de Zenobie et le roi—œuvre facile qui aurait été écrite par Saddam Hussein—et un carton affiché au début du film le dédie à la mémoire de Kim Jong Il, mais le personnage de Cohen, l’amiral général Aladeen, s’inspire de toute évidence de feu l’homme fort libyen Mouammar al-Kadhafi, des costumes aux amazones-gardes du corps en passant par la situation nord-africaine ambiguë de son pays, le Wadiya.

Cohen joue davantage Aladeen en bouffon puéril et gâté qu’en tyran calculateur.

L’étranger et les Américains

Quand il ne travaille pas sur le programme d’armes nucléaires cachées de son pays ou qu’il n’ordonne pas l’exécution de ses subalternes pour des broutilles, il s’amuse à rejouer le massacre des Jeux olympiques de Munich de 1972 sur sa Wii et à monnayer des relations sexuelles avec des starlettes de Hollywood (l’un des meilleurs gags récurrents du film est l’image de célébrités se prostituant littéralement pour les autocrates du monde—Megan Fox et Edward Norton font une apparition sous leur propre identité—parodiant des artistes comme Beyonce et Sting qui se sont produits lors d’événements privés devant des dictateurs qui y avaient mis le prix).

Comme dans les Borat et Brüno de Cohen, le principal ressort comique du film repose sur le parachutage d’un «étranger» caricatural aux États-Unis et sur l’observation de ses interactions avec les Américains ordinaires.

Quand Aladeen se rend à New York pour parler aux Nations unies du programme d’armement nucléaire de son pays, il est victime d’un complot fomenté par son oncle (joué par Ben Kingsley) qui le fait kidnapper, puis il est remplacé par sa doublure avant d’être lâché dans les rues de New York, où personne ne le reconnaît sans la barbe qui le caractérise.

Il est recueilli par une gérante de coopérative alimentaire de Brooklyn passionnée jouée par Anna Farris, qui le prend pour un dissident en exil et tombe amoureuse de lui tandis qu’il intrigue pour reprendre le pouvoir.

Une figure stéréotypée de l’Arabe?

Cohen sait clairement où il met les pieds (combien de comédies comprennent à la fois de longues blagues masturbatoires et des références à Gazprom?), mais il est difficile de passer outre le fait que la majeure partie du ressort comique du film repose sur un acteur britannique interprétant un grossier stéréotype arabe.

Certes, à un moment, quand il se fait insulter par un agent raciste des Services secrets interprété par John C. Reilly, Aladeen se défend d’être arabe mais vu que la langue «wadiyan» est clairement un arabe pour de faux et étant donné les innombrables blagues sur al Qaeda, il a du mal à convaincre.

Et le fait que les autres principaux personnages wadiyans soient interprétés par les acteurs non-arabes Kingsley, Fred Armisen et Jason Mantzoukas n’aide pas beaucoup.

Cohen a déjà été à la limite entre se moquer des clichés et se rouler dedans, mais il s’en est toujours largement sorti grâce au format de faux documentaire de ses films précédents.

Si Borat a pu incarner une caricature de Slave traitant les noirs de «face de chocolat» et convaincu que les juifs portaient des cornes, et Brüno représenter le pire cauchemar des homophobes, la moquerie était toujours aux dépens des vraies personnes que ces personnages rencontraient.

La logique voulait que Cohen ne fasse pas montre de racisme ou d’homophobie—il forçait les Américains à révéler leurs propres préjugés (bien qu’on ne voie pas bien comment l'humiliation d'un village roumain tout entier ait pu servir ce but).

Il est plus difficile d’accorder cette excuse à Cohen dans un film scénarisé.

C’est vrai, le film se moque de l’hypocrisie américaine dans la guerre contre le terrorisme—notamment dans une très bonne scène où Aladeen regarde de haut les instruments de torture désuets de son ravisseur américain, notamment celui qui a été «interdit en Arabie Saoudite, parce qu’il était trop sécurisé»—et la plupart des personnages américains sont soit des péquenauds islamophobes, soit des libéraux politiquement corrects et condescendants, mais ce n’est pas comme si aucun d’entre eux avait une fausse perception d’Aladeen.

C’est un ignare violent, misogyne et antisémite qui planque le vrai Oussama ben Laden dans la suite réservée aux invités de son palais.

Le seul citoyen wadiyan ordinaire du film, la doublure également interprétée par Cohen, est un paysan idiot qui boit sa propre urine et a du mal à faire la différence entre une femme et une chèvre.

À qui sont les préjugés dont nous nous moquons ici? Cohen y colle même quelques caricatures chinoises et africaines pour faire bonne mesure.

Le film culmine sur un discours qui se moque de l’hypocrisie américaine consistant à donner des leçons de démocratie au reste du monde.

Si l’Amérique était une dictature, suggère obligeamment Aladeen, 1% de la population pourrait contrôler 90% des richesses, on pourrait emprisonner un maximum de membres d’une minorité particulière et le gouvernement pourrait torturer des étrangers sans autre forme de procès.

Quand l’humour va trop loin

Tout cela serait un peu plus mordant si le reste du film ne semblait pas faire tout son possible pour renforcer une vision chauvine et limite raciste des cultures non-occidentales.

L’humour a toujours été une arme puissante contre les dictateurs, aussi indicibles qu’aient pu être leurs crimes. Comme l'a dit Mel Brooks, autre ancien maître ès-dictateur loufoque :

«Grâce à la comédie, nous pouvons priver Hitler de son pouvoir posthume».

En 1940, alors qu’Hitler était encore très actif et que les États-Unis étaient encore techniquement en paix avec lui, Chaplin a utilisé l’humour pour se moquer méchamment de la mégalomanie du chef nazi.

L’humour a aussi naturellement été une arme puissante pendant tout le Printemps arabe, des blagues sur Moubarak à la chanson Zenga Zenga de Kadhafi qui a fait sensation sur YouTube. Mais il est difficile d’échapper à l’impression que Cohen se moque moins des dictateurs arabes que des cultures et des pays qui les ont engendrés.

Au final, le film suggère que malgré une volte-face provoquée par sa relation avec la gérante de coopérative passionnée jouée par Farris, Aladeen—et le Wadiya—sont en fin de compte irrécupérables.

Les meilleures satires visent les puissants, les abaissent de quelques degrés et dégonflent un tantinet leur bulle de suffisance.

Mais dans le premier film de Hollywood à aborder les soulèvements arabes de l’année dernière, Cohen semble moins vouloir rire avec les gens qui ont vécu sous la férule des Kadhafi et des Moubarak du monde que vouloir rire d’eux.

Joshua E. Keating

Foreign Policy

Traduit par Bérengère Viennot

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