mis à jour le

Pourquoi les Asiatiques doivent se battre contre le racisme anti-noir
S’il ne nie pas l’existence d’une discrimination contre les autres groupes raciaux, le militant Scot Nakagawa dénonce un racisme, qui tout au long de l’histoire des Etats-Unis a principalement ciblé les africains américains.
On me demande souvent pourquoi, au fil des années, je me suis bien plus concentré sur le racisme anti-noirs que sur celui dont sont victimes les Asiatiques. Certains suggèrent que je souffre de racisme intériorisé.
Cela pourrait bien être vrai, car qui ne souffre pas de racisme intériorisé? Je veux dire, même les blancs intériorisent leur racisme. La différence est que le racisme intériorisé des blancs est dirigé contre les gens de couleur, et qu’il est avalisé par ceux qui contrôlent les institutions sociales et le capital.
Le racisme anti-noir est le pivot de la suprématie blanche
Mais certains ont une autre idée en tête. Pour eux, se concentrer sur les noirs et les blancs conforte un faux système binaire qui marginalise les expériences vécues par des gens de couleur non-noirs. Je n’ai rien à y redire. Mais je pense aussi qu’essayer de tout mélanger en mettant les gens de couleurs non-noirs au milieu est problématique, simplement parce que le «milieu» n’existe pas.
Donc voilà, en grande partie, ma réponse. Je suis sûr de souffrir de racisme intériorisé, mais je ne crois pas que le racisme se définisse uniquement en termes de noir et de blanc. Je ne crois pas non plus que la suprématie blanche se résume à une simple hiérarchie verticale avec les blancs tout en haut, les noirs tout en bas et le reste d’entre nous au milieu.
Alors pourquoi déploie-je tant d’énergie pour soulager les noirs de l’oppression qu’ils subissent? Parce que le racisme anti-noir est le pivot de la suprématie blanche.
Le Merriam-Webster (encyclopédie britannique) définit le pivot comme étant «le support autour duquel tourne un levier» ou, sinon, «qui fournit une capacité d’action.» En d’autres termes, si vous voulez faire bouger quelque chose, il vous faut un levier et une bonne prise, et ce qui vous permet d’initier le mouvement, c’est le pivot—cette chose que vous utilisez pour que le levier fonctionne comme une bascule.
L’agencement racial aux États-Unis est en constante évolution. Il n’y a pas de «fond.» Les différents groupes sont plus aptes à en affecter d’autres selon les moments, car nos rôles ne sont pas fixés.
La nation américaine s’est construite sur l’idéologie raciste
Mais, s’il n’y a pas de fond, il existe un système quelque peu binaire puisque les blancs sont tous d’un côté de cette dynamique —celui de la force et de l’intention. Et pour faire respecter cette force et cette intention, ils se servent principalement du pivot du racisme anti-noirs.
Restez avec moi encore un instant et réfléchissez sur la chose suivante. Notre économie a pour base historique l’esclavage raciste. Certes, il y a eu/il y a toujours une campagne de «déplacement des Indiens» visant à s’approprier les ressources naturelles et c’est un élément qui ne peut être éludé. Mais la structure de l’économie est enracinée dans l’esclavage.
Notre constitution a été rédigée par des propriétaires d’esclaves. Ils ont réussi à élaborer un très joli texte fourmillant d’égalité, de justice et de liberté pour les «hommes,» car pour eux, les Africains étaient moins qu’humains. Notre système fédéral est fondé sur un compromis visant à s’adapter à l’esclavage.
Notre notion des droits de propriété, la structure de notre système d’élections fédérales, la ségrégation dans notre société, l'appât du gain en politique, notre culture politique conservatrice, nos lois pénales et les pénitenciers fédéraux ont tous soit évolué autour du racisme anti-noirs, soit ont été facilités par ce racisme, et le sont encore.
Et il ne s’agit pas seulement d’histoire. C’est la peur du noir qui guide notre politique nationale, de la bataille autour des (lois ségrégationnistes) Jim Crow dans les années 1950 et 1960 à Willie Horton (homme noir condamné pour meurtre qui, lors d’une permission de sortie, commit un viol et une attaque à main armée) en passant par la Chicago Welfare Queen des années 1980 (caricature par Ronald Reagan des femmes pauvres qui abuseraient des prestations sociales), sans oublier la guerre contre la drogue, commencée en 1982, et qui se poursuit de nos jours.
Les noirs surreprésentés dans la politique anti criminalité
Depuis 2001, la guerre a coûté environ 1 300 milliards de dollars aux États-Unis. Depuis 1982, la guerre contre la drogue nous a coûté plus de 1 000 milliards de dollars.
Environ 82% des arrestations liées à la drogue sont pour possession, 18% pour trafic. Cela vous semble-t-il une manière irrationnelle de faire la guerre à la drogue? Pas si c’est une guerre contre les noirs.
Selon Human Rights Watch, le taux d’incarcération des hommes noirs est plus de six fois supérieur à celui des hommes blancs. Conséquence, en 2009 un homme noir entre 25 et 29 ans sur dix était incarcéré. Selon le même rapport:
«Les noirs comptent pour 33,6% des arrestations liées à la drogue, 44% des personnes condamnées pour crimes liés à la drogue dans un tribunal d’état, et 37% des personnes envoyées dans des prisons d’état pour affaire de drogue, alors qu’ils ne constituent que 13% de la population américaine et que des pourcentages équivalents de noirs et de blancs sont impliqués dans des délits liés à la drogue.»
Pourquoi une guerre contre des personnes? La guerre contre la drogue est la pierre angulaire de la campagne «tough on crime» (dur envers le crime) qui est la clé de la stratégie républicaine sudiste. Elle sous-entend que la vague de crime des années 1970 a pour origine l’octroi des droits civiques aux Afro-américains (et non le baby-boom, comme le suggèrent les sociologues), afin de mieux pousser les sudistes blancs dans les bras du parti républicain.
Et cette idée d’être «dur envers le crime» n’est pas seulement dirigée contre les noirs. C’est une guerre de propagande qui affaiblit les droits et les libertés civiques de tous.
En ce qui concerne les races, il n’existe pas de hiérarchie dans l’oppression, mais le racisme anti-noirs est bien le pivot de la suprématie blanche.
Scot Nakagawa tient le blog Race Files, dédié aux questions de race et de racisme aux États-Unis. Il travaille depuis plus de 30 ans sur des questions de justice sociale.
Traduit par
Bérengère Viennot The Root
A lire aussi
Etats-Unis: plus de noirs en prison en 2011 que d'esclaves en 1850
Le «planking», une pratique raciste?
Noirs très noirs, il n'y a plus d'espoir?
Le Liberia, entre oncle Tom et oncle Sam