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Une journaliste chez les salafistes
Le 20 mai, le mouvement salafiste radical Ansar Al Charia a tenu son meeting annuel à Kairouan, quatrième ville sainte de l'Islam. Sur place, la presse était tolérée...
Autour de la mosquée de Kairouan, quatrième ville sainte de l'Islam située au centre de la Tunisie, un homme distribue des tracts. Les fidèles venus en nombre au deuxième meeting du mouvement salafiste Ansar al Charia (supporter de la charia) lisent attentivement les consignes pour le bon déroulé de la journée:
«Suivre les instructions du comité d'organisation», «restez calme», «ne pas lancer de slogans et suivre ceux des organisateurs», ou encore «ne jamais parler à la presse».
Vêtus de blanc ou de noir, des hommes crient, sourire aux lèvres, des «Allah akbar» dans les ruelles de la médina. Certains portent le qamis (tenue afghane), d'autres sont en jean ou treillis. Calotte sur la tête pour les uns, casquette ou bandeau sur lequel il est inscrit «Il n'y a de Dieu que Dieu» pour les seconds.
Ils sont venus de tout le pays pour assister au second meeting de ce mouvement radical salafiste créé en avril 2011.
«Ce n'est pas la barbe qui fait le bon musulman»
Assis sur un muret, deux habitants de cette ville du centre de la Tunisie regardent, perplexes, le spectacle. «Je n'aime pas, ce n'est pas la Tunisie. C'est la première fois que je vois ça», soupire l'un d'eux. Les cheveux grisonnant, une veste rouge cuivrée et un jean usé, il n'a «pas envie» de donner son prénom.
«On veut la démocratie, ils ne sont pas la démocratie, mais vous savez, la majorité des Tunisiens n'aiment pas ça. Ils croient qu'ils sont la majorité mais ce n'est pas vrai», chuchote-t-il alors qu'à ses côtés, Ezzedine préfère rester muet.
Caché par la visière de sa casquette bleue, ses yeux passent d'homme en homme, son regard est triste, il finit par lâcher:
«Ils sont très durs eux. On ne peut pas discuter avec ces gens.»
«Ils veulent seulement imposer leur point de vue. Ce n'est pas la barbe qui fait le bon musulman», note son ami.
Un jeune salafiste, un drapeau à la main intervient: «que racontez-vous?» Les deux hommes s'emmurent dans leur silence. Un keffieh palestinien noir et blanc sur la tête, une barbe bien taillée et un qamis blanc, le jeune homme aux grands yeux en amande debout devant eux, prévient: «il ne faut pas parler à la presse». Il refuse de répondre à nos questions et s'en va.
Outre le tract, Seif Allah Ben Hassine, alias Cheikh Abu Yiadh, un ancien djihadiste, inscrit en 2002 sur une liste de l'ONU des personnes ou groupes liés à Al-Qaïda, amnistié après la chute de Ben Ali, avait prévenu mercredi 16 mai alors qu'il intervenait au sein de la mosquée El Fateh, dans le centre de Tunis: «La presse est la bienvenue, mais n'accordez jamais d'interview». Il n'en fallait pas plus pour que ses disciples s'exécutent.
Sur son vélo, Taïeb, un autre villageois, arrive avec son petit garçon. Lui, défend le rassemblement: «ils ont une doctrine comme tout le monde, ils ont leurs idées, ils ne sont pas extrémistes. C'est normal qu'ils se rassemblent...» Il est interrompu par un fidèle qui lui explique qu'il ne doit pas parler aux journalistes et explique avec véhémence: «Il est musulman, il n'est pas autorisé à parler à la presse. Les journalistes déforment. Il ne faut pas leur parler». Après plusieurs minutes de tractations, Taïeb préfère partir en levant la main en signe d'au revoir.
Chaises en plastique et chauffeur de salle
Un petit autocollant posé sur les vêtements spécifiant «journaliste» rend l'accès aisé aux différentes parties de l'esplanade surveillée par le service d'ordre, organisé par les partisans d'Ansar Al Charia.
Autour, des stands vendent des sandwichs. D'autres proposent des livres. Debout sur une chaise, un vendeur armé d'un mégaphone crie: «Achetez "El Ouad" [la promesse], c'est mieux que "le Maghreb" [quotidien tunisien qui avait qualifié en janvier dernier la ville de Sejnane, d'"émirat salafiste"] ». En Une de la première édition de ce journal, le président Moncef Marzouki est qualifié de «président des juifs, des chrétiens et des laïques». En page 9, le mot «salafistes» qualifié de «virus» par Moncef Marzouki le 15 février dernier, a été remplacé par «musulmans».
Devant la mosquée de Kairouan, des chaises en plastiques sont installées. Les fidèles arrivent peu à peu. Une sono crache des sons de chevaux au galop et de coups de sabre. Des hommes font une démonstration d'arts martiaux. Une affiche à l'effigie du mouvement est suspendue au minaret de la mosquée. Quelques irréductibles ont grimpé en haut de l'édifice pour y accrocher l'étendard du califat.
À la tribune, un chauffeur de salle prend la parole et scande: «Soyez sûr mes frères que Dieu nous donne la victoire» en référence au conflit syrien. Près de 3.000 personnes sont réunies.
«Les gens ont peur des djihadistes parce que les ennemis ont massacré notre image. Mais par définition, un musulman est un djihadiste. Celui qui jeûne pendant le ramadan, celui qui prie, qui donne aux pauvres... il est un djihadiste. Le prophète était le plus grand des moudjahidin», lance dans le micro, le président du Front des associations islamiques en Tunisie (FTAI), Mokhtar Jebali.
Il évoque aussi bien le djihad pour «libérer la Palestine» que l'attitude à suivre pour convaincre le peuple de se tourner vers la religion:
«Soyez bons et gentils, ayez les mêmes qualités que le prophète».
«Message de fraternité»
Installé sur des fauteuils face à la foule, tout le gratin salafiste est présent: Ridha BelHaj, le porte-parole du mouvement Hezb Et-Tahrir en Tunisie, Moncef Ouerghi, le fondateur de l'art martial dénommé Zmaqtal, ou encore Abou Qetada, considéré par de nombreux pays comme le bras droit de Ben Laden. Sur scène, un ancien prisonnier de Guantanamo est présenté à la foule qui scande «Obama, Obama, nous sommes tous des Oussama [Ben Laden]» ou «Juifs, juifs, patientez, l'armée de Mohamed va revenir».
Viennent ensuite des jeunes hommes qui ont participé à la fusillade de Soliman en 2006, avant que le Cheikh Abou Yiadh ne prenne la parole pour «envoyer un message de fraternité au peuple tunisien»:
«On veut rassurer. On n'oubliera pas ce que le peuple nous a donné, mais on ne tombera jamais dans le piège que les médias veulent nous tendre. […] La bataille est entre les croyants et les non-croyants, il ne faut pas qu'elle devienne une bataille entre musulmans», a-t-il annoncé avant de fustiger une nouvelle fois les médias et d'avertir: «ce n'est pas grave si la presse nous prend comme ennemi, mais elle ne doit pas critiquer la religion. Cela ne doit pas passer.»
Des «Allah akbar» retentissent.
À la fin du meeting, durant lequel le Cheikh a présenté son modèle de société –appelant à un tourisme musulman, les investisseurs à ne pas avoir peur, mais aussi à la gratuité des soins– un salafiste ne cache pas sa joie. Vêtu de blanc, et battant un drapeau blanc, il arbore un large sourire et accepte de répondre:
«Depuis qu'on est né on vit pour ça, ce modèle, la charia...»
Un organisateur arrive pour l'interrompre et lui rappeler calmement les règles. Ils parlementent. L'homme vêtu de blanc lève ses yeux et s'excuse de ne pas pouvoir poursuivre.
Sophie Janel
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