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Des lycéens protestent devant une annexe du ministère de l'éducation, à Alger, le 19 janvier 2012
Des lycéens protestent devant une annexe du ministère de l'éducation, à Alger, le 19 janvier 2012

Algérie: fin de la trêve électorale, retour de la grogne sociale

Les élections législatives algériennes ont conforté la vieille génération au pouvoir. Mais le régime, à bout de souffle, doit faire face à une fronde sociale grandissante.

«Ce système obsolète et bancal ne donne rien, à aucun moment, il a tout pris à son peuple», soutient tristement le site algérien Le Matin au lendemain d’élections législatives algériennes, saluées par les uns et critiquées par les autres.

A la veille du vote, de nombreux journalistes et chercheurs voyaient dans l’abstention une arme susceptible d’imposer le changement et de délégitimer un régime de vieux. Il faut dire que beaucoup d’Algériens s’attendaient à un taux d’abstention frôlant les 80%. Ce qui aurait été perçu comme un rejet du régime du président Bouteflika.

Or, les abstentionnistes furent certes nombreux (57%), mais pas assez pour mettre le pouvoir algérien au pied du mur. Au contraire, les résultats confortent le parti d'Abdelaziz Bouteflika et celui de son Premier ministre Ahmed Ouyahia. L’alliance présidentielle formée depuis 2004 par le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND) obtient 291 sièges (221 pour le FLN, 70 pour le RND), donc la majorité absolue.

Les résultats confortent si bien le régime que le ministre de l’Intérieur se risque même à expliquer pourquoi les Algériens du sud votent plus que ceux du nord.

«La population du sud du pays, avec celle de l'intérieur, est une population connue pour son patriotisme, explique-t-il. La population issue du nord du pays a profité des trois jours de congé qu'octroyait ce référendum pour aller à la plage!». Une nouvelle illumination du ministre de l’Intérieur, ironise le site Dernières Nouvelles d’Algérie.

Un plébiscite pour le pouvoir?

Leur confrère d’El watan ne manque pas de souligner que ces élections se sont apparentées à un référendum pour ou contre Abdelaziz Bouteflika.

«On met sur la table le plan B qui consiste à imputer la paternité du triomphe du FLN au président Bouteflika. Le FLN, en tant que parti majoritaire, et encore moins son secrétaire général, M. Belkhadem, n’auraient aucun mérite dans le raz-de-marée électoral du FLN, à en croire les déclarations faites désormais publiquement par des personnalités proches du sérail».

Les électeurs ont-ils plébiscité Bouteflika comme le déclare le ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia dans les colonnes du quotidien algérien Liberté?

«D’abord en votant FLN, les électeurs ont plébiscité le président de la République, incarnation de la légitimité historique, garant de la sécurité actuelle et source des futures réformes et du changement»,

affirme le ministre algérien.

A l’étranger, le sentiment de victoire est bien évidemment partagé. L’Algérie n’a pas pris le même chemin que Tunis ou Rabat, deux pays où les islamistes sont sortis vainqueurs des élections législatives.

«Grâce à Dieu, la percée très importante des courants islamistes» n’a pas eu lieu contrairement à ce qui avait été annoncé, s’est réjouit le ministre espagnol des Affaires étrangère, lundi 14 mai, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, rapporte l’agence EuropaPress

«Pétrole, Sahel, Mali, Azawad et gaz ont fait voter l’Occident pour la stabilité du régime plutôt que pour l’incertitude d’un changement ou d’une révolution de plus. On l’a compris», renchérit un chroniqueur du Quotidien d’Oran.

Les jeunes au pied du mur

Mais pour les tenants du changement, ce scrutin sonne davantage la victoire du monolithisme et pérennise un système à bout de souffle, profondément sclérosé et en quête de légitimité, analyse le quotidien d’Oran et El Watan. Pourtant, quelques jours auparavant c’est le président lui-même qui avait déclaré que sa génération avait fait son temps :

«Je m’adresse aux jeunes qui doivent prendre le témoin car ma génération a fait son temps …  L’heure de la retraite a sonné pour les anciens (…) Nous n’avons plus  les forces pour  continuer (…) Le pays est entre vos mains (…) prenez en soin (…)» Voilà ce qu’a déclaré (…) le Président algérien Bouteflika à l'occasion de la commémoration des massacres du 8 mai 1945 à Sétif .

Au final, les jeunes continuent de tenir les murs et la résidence des pins, le quartier où vivent nombres de proches du pouvoirs, fête ce nouveau succès. Pour ces derniers, aucun doute, des gages de démocratie ont été donnés: outre le bon déroulement du scrutin validé par les observateurs étrangers, la présence de 145 femmes au Parlement. «Serait-ce alors un gage de démocratie ? Pas si sûr, loin s’en faut», réagit le quotidien el Watan.

«Le marketing politique est à ce point recherché pour mettre en avant la percée féminine et l’ériger, tel un indice de développement, presque comme un instrument de mesure de l’avancée démocratique en Algérie. Inutile de feindre de comprendre qu’il est question ici de mettre «plein les yeux» sur la représentativité des femmes députées à la prochaine Assemblée», explicite le quotidien.

«Où va l’Algérie?», se demandent de nombreux Algériens sur Twitter et Facebook au lendemain des résultats. Les urnes ont parlé et pourtant la donne politique n’est pas très claire. L’Algérie serait-il le seul pays à sauter une saison, le printemps? Plusieurs partis politiques, islamistes en tête, ont certes contesté les résultats des élections législatives, évoquant des «fraudes» ou une «mascarade». Mais cette indignation pourra-t-elle se transformer en révolte?

Marionnettes et grosses ficelles

Des indignés, l’Algérie n’en manque pas. D’où ce titre du quotidien algérien L’Expression: «la trêve électorale passée, la grogne sociale». Le quotidien arabophone El Khabar revient également sur cette fronde qui touche le secteur de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la justice et de la santé. Aux dirigeants inamovibles répond une grogne sociale quasi permanente dans le pays.

Mais rassurons-nous, «tout a une fin. Nous l'avons appris, puis compris, dès le jeune âge, affirme un chroniqueur du quotidien d'Oran 

«Tout a une fin signifie qu'aucun état des choses n'est éternel et que, sous la pression du temps, ce qui est usé cède la place à moins obsolète et ce qui est déphasé se retire devant ce qui ne l'est pas ou l'est moins. Ainsi va le monde. Et ainsi va la vie!»

Le chroniqueur tente de comprendre les ficelles universelles de l’homo politicus, notamment sa difficulté à se retirer du pouvoir par excès d’amour propre. Pourquoi partir si l’on domine et gouverne un peuple tout entier? Pourquoi céder sa place à un autre?

«L'homme s'est mis à réfléchir et, au bout de quelques générations, il a fini par trouver la parade contre la loi universelle qui l'obligerait au départ. Il a inventé la marionnette!»

Nadéra Bouazza

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Nadéra Bouazza. Journaliste à Slate Afrique

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