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Soldat Sud Africain de la force conjointe Nations Unies/Union Africaine (Minuad), 12 juillet 2008 REUTERS/Handout
Soldat Sud Africain de la force conjointe Nations Unies/Union Africaine (Minuad), 12 juillet 2008 REUTERS/Handout

Pourquoi ne parle-t-on plus du Darfour? (2/2)

Pourquoi les Nations unies ne rendent-elles plus compte des atrocités commises au Darfour?

Responsables américains, défenseurs des droits de l’homme, diplomates européens et chercheurs indépendants des Nations unies affirment que les tentatives d’évaluer les conditions au Darfour sont compliquées par l’échec de l’Onu de produire un compte rendu plus sûr ou digne de foi permettant d’évaluer la situation. Mais ils affirment récolter régulièrement des rapports directement du terrain, montrant que les violences soutenues par l’État se poursuivent.

«Nous recevons pourtant des rapports de sources venues de l’intérieur du Darfour, indiquant que l’architecture de la guerre et que les outils de répression sont tout à fait intacts» explique Jehanne Henry, chercheuse sur le Darfour pour Human Rights Watch (HRW).

«Cette semaine, par exemple, des gens de Jebel Marra nous ont raconté que des bombardements par le gouvernement à Jebel Marra avaient tué des civils et fait fuir de nombreuses personnes de chez elles.»

Le rapport de la discorde

Henry a expliqué que le gouvernement soudanais avait fait pression sur les Nations unies et sur d’autres pour limiter les rapports sur les violations des droits humains, et que ses démarches «avaient en effet réduit la mission de l’UA/Onu au silence

Elle a ajouté que «les agences d’aide humanitaire, traditionnellement une source fiable d’informations sur les violations des droits humains, ne parlent pas non plus de peur de se faire expulser du Darfour.»

Trois anciens membres d’un comité d’experts de l’Onu enquêtant sur les violations de l’embargo [sur les armes] au Darfour ont rédigé un rapport, d’abord divulgué par Africa Confidential, selon lequel la mission de l’Onu aurait minimisé ou ignoré volontairement les preuves des violences exercées par des milices soutenues par le gouvernement.

L’équipe, qui a démissionné en fin d’année dernière à la suite d’un désaccord avec le président du comité, a produit un rapport non-officiel qui accuse les responsables de la Minuad de n’avoir pas décrit correctement un vaste massacre commis par les forces soudanaises et des milices soutenues par le gouvernement dans l’est du Darfour, alors même que le gouvernement soudanais lui-même évoquait les meurtres dans un de ses propres rapports.

Les chercheurs, Jérôme Tubiana de France, Michael Kelly de Grande-Bretagne et Claudio Gramizzi d’Italie, ont examiné les événements qui se sont déroulés dans la zone de Shangal Tobay, où les forces soudanaises et les milices soutenues par le gouvernement ont chassé des dizaines de milliers de membres de l’ethnie zaghawa de chez eux, tuant un grand nombre de civils, en 2010 et 2011.

Les Zaghawas, une ethnie au centre d’un cycle de violence

 La situation critique des Zaghawas, qui ont joué à la fois les rôles de victimes et de bourreaux, souligne la complexité de la violence au Darfour. Les Zaghawas ont commencé à s’installer dans la région de Shangal Tobay à la fin des années 1940, avant de venir en plus grand nombre dans les années 1970 après une grave sécheresse dans leurs terres natales du nord, selon l’histoire de la région telle qu’elle est présentée dans le rapport des experts de l’Onu.

Beaucoup des hommes rejoignirent les rangs d’une faction-clé de l’Armée de libération du Soudan (ALS) —dirigée par le chef rebelle zaghawa Minni Minawi— qui prit les armes contre le gouvernement en 2003. Ils ne tardèrent pas à s’imposer en puissance dominante de Shangal Tobay, communauté qui compte jusqu’à 30 groupes ethniques.

Un accord de paix de 2006 avec le gouvernement renforça leur contrôle de la région. Sous leur férule, les Zaghwawas prospérèrent tandis que d’autres ethnies «subissaient de mauvais traitements (notamment des taxes, des arrestations et des meurtres) aux mains des rebelles» à en croire le rapport.

Mais l’accord de paix s’est effondré en 2010, poussant les combattants de l’ALS à se cacher en abandonnant Shangal Tobay, exposant ainsi la communauté zaghawa de la région à des représailles. Les forces gouvernementales soudanaises, pendant ce temps, recrutaient un groupe de miliciens non-arabes qui s’étaient rebiffés sous le joug des Zaghawas et les utilisaient pour mettre en œuvre une série d’attaques systématiques contre les Zaghawas entre décembre 2010 et juin 2011. La mission de l’Onu, stationnée à Shangal Tobay, fut incapable de fournir une protection aux milliers de civils zaghawas venus la lui demander, les forçant à fuir la ville.

«Ce cycle de violence a provoqué l’un des déplacements de population les plus importants que le Darfour ait connu depuis l’apogée du conflit entre 2003 et 2005, avec le signalement d’environ 70 000 déplacés internes», selon le rapport.

«Les membres du comité d’experts estiment que le cycle de violence dans l’est du Darfour dans la première moitié de 2011 a été caractérisé par une épuration ethnique visant un groupe en particulier

Comptes rendus amnésiques et empreints de partialité

«Les membres du comité ont aussi constaté que de violents incidents dirigés contre des civils zaghawas n’avaient à l’occasion pas été relayés dans la chaîne de rapports de la Minuad de la même façon que les violences commises par les rebelles et les milices zaghawas», regrette le rapport.

«Des membres du comité ont également trouvé que des événements dont ils avaient eux-mêmes été témoins aux côté de personnel de la Minuad n’avaient pas été entièrement rapportés dans des comptes rendus de patrouille ou des rapports de situation de la Minuad.»

Le comité d’experts avait accompagné une patrouille de la Minuad le 22 mai 2011, alors qu’elle arrivait dans le petit village zaghawa de Nyortik en flammes. Pour les membres du comité, le village avait été incendié en représailles par une milice pro-gouvernementale après le meurtre d’un chauffeur de camion qui avait des liens avec la milice.

Mais ils racontent que les représentants de la Minuad se contentèrent de croire sur parole les chefs de la milice affirmant que les Zaghawas avaient réduit leur propre village en cendres —puis n’avaient même pas fait état de l’incident dans un «rapport de patrouille d’équipe sur site» partagé avec un cercle élargi de personnel en mission.

Les experts du panel avancent que la gestion de l’événement par la Minuad a été marquée par une série de distorsions dans les comptes rendus, qui avaient tendance à passer outre les violences du gouvernement tout en mettant en avant celles des rebelles.

Elle a également réduit la capacité de l’Onu et des décideurs de l’Union africaine de se faire une image claire de ce qui se passait sur place. Au final, le meurtre du chauffeur de camion a fini par déclencher l’un des pires accès de violence au Darfour depuis des années.

Peut-être en représailles, des miliciens pro-gouvernementaux ont attaqué la place forte zaghawa d’Abu Zerega le 31 mai 2011, dévastant le bétail avant d’appeler le gouvernement soudanais en renfort. Celui-ci et les milices qui le soutenaient ont exécuté quelque 18 civils zaghawas. Le 17 juin, des rebelles zaghawas ont mené un raid de représailles sur Shangal Tobay, avançant en voiture et en chameau, tuant 19 personnes, dont 6 soldats et miliciens soudanais.

«La Minuad n’est pas suffisamment neutre»

Mais les Nations unies ont réagi lentement, attendant 12 jours pour mener une enquête sur le massacre d’Abu Zerega, qui n’était pourtant qu’à quelques kilomètres d’une antenne de l’Onu. Ce retard a permis aux auteurs des crimes de cacher ou d’ensevelir les corps.

Au final, la Minuad a conclu simplement que les 18 victimes «auraient disparu/été tuées» tandis que l’enquête du gouvernement a conclu, elle, que «un total de 18 civils zaghawas ont été exécutés sommairement

«Les membres du comité estiment qu’en sous-évaluant ou en omettant délibérément de rapporter certains incidents dans la région de Shangal Tobay, la Minuad s’empêche elle-même d’avoir une bonne compréhension de la chaîne de violences.»

Quelle que soit la raison, les conséquences sont graves. La mission de l’Onu a donné au Conseil de sécurité peu de raisons de soupçonner un rôle du gouvernement dans le massacre des Zaghawas en mai dernier.

En effet, en juillet 2011, le rapport du secrétariat général des Nations unies au Conseil de sécurité —le principal véhicule de communication des comptes rendus des développements au Darfour— ne disait rien du rôle des soldats soudanais ou des milices progouvernementales dans le massacre des Zaghawas à Abu Zerega.

En revanche, il liait bien les rebelles zaghawas à l’attaque de représailles.

La position de l’Onu, à en croire les membres du comité d’experts, «risque d’exacerber la perception déjà existante que la Minuad n’est pas suffisamment neutre: perception qui pourrait représenter une menace à la fois pour la sécurité de la Minuad et pour la paix et la sécurité de la zone de l’est du Darfour.» Pire encore, elle a servi à effacer le Darfour de la carte des points chauds qui rivalisent pour attirer l’attention du reste du monde.

Colum Lynch

Foreign Policy [Traduit par Bérengère Viennot]

Retrouvez la première partie de cette enquête

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