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Taxi moto à Cotonou, la capitale économique du Bénin. AFP / ERICK-CHRISTIAN AHOUNOU
Taxi moto à Cotonou, la capitale économique du Bénin. AFP / ERICK-CHRISTIAN AHOUNOU

Ces taxi motos qui règnent sur le Bénin

Depuis le 1er avril, le port du casque est obligatoire au Bénin. La mesure vise d’abord les zemidjan, les taxi-motos, qu’on trouve partout dans le pays.

 Les 6 préfets du Bénin ont dépoussiéré un décret de 1972 qui instituait le port du casque pour les conducteurs et les passagers. Mais il n’avait jamais été appliqué. Or la situation sur les routes est alarmante: selon la Sécurité Routière, au 1er semestre 2011, les deux roues ont été impliqués dans 380 accidents mortels, soit 66% des chocs. Il y a eu plus de 400 décès, souvent dûs à des traumatismes crâniens. 

« C’est un problème de santé publique», constate Placide Azande, préfet de l’Atlantique et du Littoral, départements les plus peuplés au sud du pays. Et de volonté politique. Tout le monde s’accorde pour dire que la mesure sera suivie si la police et la gendarmerie la font respecter. Si dans les premiers jours, ça l’a été, les motocyclistes roulent de nouveau comme avant, la tête au vent.

Une exception: les conducteurs de taxi-moto, qu’on appelle « zemidjan », ou « zem ». En fon, la principale langue locale, cela signifie « emmène-moi vite ». Ils sont les premiers visés par l’obligation, car ils représentent une grande part des deux roues.

Ils sont 150 000 inscrits à Cotonou, la capitale économique peuplée d’un million d’habitants, et dans ses environs (le chiffre inclut ceux qui ont arrêté). Et depuis le 1er avril, ils sont effectivement plus nombreux à porter un casque.

Ils « zem » le casque mais ça pose problème

Au parc central de Camp Marié, un de leurs QG, où les zem se reposent et se restaurent, la discussion s’enflamme vite. Ils sont favorables au port du casque, car ils ont tous perdu des amis, mais expriment en même temps des objections. « Je le porte le matin mais pas l’après-midi, explique François Houessouvo, taxi-moto depuis 1989. Il fait trop chaud, ça donne des maux de tête ».

« Il faut faire un casque d’Afrique, bien aéré, surenchérit Paul Djomanou, qui fait semblant de percer des trous dans le sien. Et que le gouvernement subventionne des casques de qualité ».

Pour le moment, vendus dans la rue ou en boutique, ils viennent de Chine, sans garantie de solidité. Pourtant leur prix a doublé, passant de 5000 FCFA à 10-12 000, voire plus. Et ils ne sont pas toujours à la bonne taille. Autre problème posé par les zem: les clients. « C’est notre vie qui est en jeu. Mais malheureusement, les gens n’aiment pas choisir un zem avec casque parce qu’il n’entend pas les instructions. Il faut les sensibiliser aussi », témoigne Tanguy Dossou Yovo.

« J’ai seulement un casque pour moi, ajoute Donatien Houadjeto, qui sillonne Cotonou depuis 17 ans. Si je trouve un client, casque ou pas, je le prends ». Or il est fréquent que les zem transportent plus d’un passager…

Même pas besoin de permis

Les zem existent dans toutes les villes, reconnaissables à leur chasuble (jaune à Cotonou, bleue à Porto-Novo) estampillée de leur matricule. Ils roulent pour trouver des clients qui les hèlent si besoin.

A l’origine, c’était des vélos qui transportaient les marchandises des bonnes dames aux marchés. Aujourd’hui, le véhicule a changé mais les chargements sont toujours volumineux. Le phénomène a explosé dans les années 90. En l’absence de transports en commun, c’est un système rapide, économique mais dangereux. Les zem sont impliqués dans beaucoup d’accidents, comme responsables et victimes. Dans le trafic dense et chaotique de Cotonou, ils se faufilent, doublent, roulent à contresens. La majorité n’a pas le permis! Il n’est même pas obligatoire pour être enregistré en mairie. Pour démarrer ce métier, il faut avoir une pièce d’identité, les papiers de la moto, payer une patente de 5100 FCFA puis 1500 FCFA pour la chasuble numérotée.

« Les zem ne connaissent pas le code de la route, déplore Mesmer J-M Yeou, chef service gares et parkings à la mairie de Cotonou. S’ils voient le clignotant d’une voiture, c’est là qu’ils s’engagent ! ».

Alors la Sécurité Routière organise régulièrement des formations. Pour Nestor Vitodégni, du service Informatique et Statistiques, « il s’agit de les sensibiliser. Nous essayons aussi de leur faire comprendre que c’est un métier qui tue. ».

Une vie au jour le jour

Depuis des années, poussés par l’exode rural et la crise, des paysans, des artisans, des mécaniciens, des maçons, des étudiants « font zem », selon une expression locale. Il y aurait par ailleurs des milliers de taxi-motos clandestins à Cotonou. Des fonctionnaires qui arrondissent leurs fins de mois, de jeunes diplômés au chômage.

« Des jeunes quittent régulièrement leurs villages où ils louent une moto. La semaine, ils travaillent à Cotonou et rentrent chez eux le dimanche », raconte Donatien. Sans abri en ville, ils dorment sur leurs engins sous les ponts ou aux abords des stations services.

« Le zem, c’est celui qui n’a rien, affirme Jérôme Guedegbe, zem depuis 4 ans. Ça doit être temporaire, le temps de gagner de l’argent pour faire autre chose». C’est une vie au jour le jour, à la recherche de clients, 30 à 40 au quotidien. Pas d’assurance. Pas de protection sociale, alors que les taxi-motos sont sujets à des douleurs articulaires, et compte-tenu de leur exposition à la pollution, à des maladies respiratoires, cardio-vasculaires. C’est un travail difficile mais rémunérateur: un zem peut gagner 150 à 200 000 FCFA par mois, s’il est propriétaire de son deux roue. Une fortune quand le salaire minimum est à 30 000 FCFA et qu’un fonctionnaire gagne 50 000 FCFA par mois!

« J’ai 2 frères qui viennent d’entrer dans le zem, raconte François. Ça me fait mal. Moi si on m’aide à rentrer au village, je dis oui ».

La reconversion, beaucoup en parlent.

«En 1998, le président Mathieu Kérékou avait lancé le projet Manioc pour qu’on retourne aux champs, rappelle Tanguy. Ça n’a rien donné ». « Parce qu’en réalité, c’est que la majorité d’entre nous ne veut pas quitter », soutient Donatien.

Ils roulent aussi pour les partis

Les anciens dans la profession demandent des règles pour l’assainir. A la mairie de Cotonou, on explique que réglementer est délicat.

« C’est une telle force politique qu’aucun responsable n’ose l’affronter », explique Mesmer J-M Yeou.

Effectivement les taxi-motos constituent un lobby puissant. Ils sont organisés en syndicats, dont certains sont affiliés à des partis. Ainsi l’Union des Conducteurs de Taxi-Motos de Cotonou (UCOTAC) soutient le président Boni Yayi. Le Syndicat des Conducteurs de Taxi-Motos du Littoral (SYCOTAMOL) est proche de l’opposition.

Son secrétaire général Alphonse Aïdji est suppléant à l’Assemblée Nationale. Les zem sont très courtisés, surtout en période électorale quand ils défilent ou participent à des meetings, contre rémunération.

« Personne ne veut les faire disparaître s’il veut être réélu », continue Mesmer J-M Yeou. Un service de bus privé devrait voir le jour prochainement. « En complément des zem, pas en concurrent », assure Thiburce Montcho, le promoteur béninois du projet. La mairie veut un système intégré, des taxi-motos seraient recrutés pour attendre les usagers aux arrêts. Il n’y aura pas de place pour tous.

Delphine Bousquet

A suivre: Blog Echos du Benin par Marcus Boni Teiga

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Delphine Bousquet

Delphine Bousquet. Journaliste française, installée au Bénin.

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