mis à jour le

La Fesci, un syndicat étudiant qui fait peur
En Côte d'Ivoire, le principal syndicat étudiant s'est transformé en bras armé du régime de Laurent Gbagbo. Au point de faire régner la terreur.
«Mafia», «bandits», «casseurs»... La Fédération des étudiants et scolaires de Côte d'Ivoire (Fesci) est citée depuis plusieurs années, en ces termes peu flatteurs, par les rapports d'organisation de défense des droits de l'Homme. Ce syndicat étudiant, né au début des années 1990, est historiquement proche du Front populaire ivoirien (FPI), le parti d'opposition fondé par Laurent Gbagbo.
La Fesci, bras armé de Gbagbo
Aujourd'hui, la Fesci est accusée d'opérer comme une véritable milice, plus portée sur les règlements de compte politiques à la machette ou au gourdin que sur les négociations pacifiques au nom des étudiants.
Ses membres, les «fescistes», se sont illustrés par bien des faits d'armes, parmi lesquels le saccage des bureaux de la Ligue des droits de l'homme en mai 2007. C'est aujourd'hui l'une des forces paramilitaires en présence, opérant clairement pour le camp Gbagbo.
La Fesci, qui recrute à tour de bras dans les collèges et lycées depuis janvier 2011, offrirait depuis quelques mois aux jeunes un entraînement militaire. Elle ne s'en cache pas: des reporters de France 24 ont ainsi pu les filmer à la mi-janvier à Abidjan. Selon des sources proches des renseignements français, le syndicat opère en cheville avec les Forces de sécurité (FDS) loyales au président sortant.
Dans chaque quartier, ses militants sont accusés d'épier les moindres faits et gestes des partisans réels ou supposés d'Alassane Ouattara, et de donner l'alerte aux FDS par téléphone portable dès qu'un rassemblement de plus de dix personnes est observé.
Dans son dernier rapport publié le 26 janvier sur les violences en Côte d'Ivoire, l’ONG Human Rights Watch rapporte le témoignage d'une femme ayant assisté au meurtre d'un jeune par des membres de la Fesci, dans le quartier de Riviera II, à Abidjan.
«Dans l'après-midi du 16 décembre (…), un groupe d'une vingtaine de jeunes de la Fesci étaient rassemblés devant leurs logements universitaires. Alors qu'un jeune passait par là, les Fesci lui ont crié d'approcher, mais il avait manifestement peur et il s'est mis à courir. Les Fesci l'ont pourchassé et l'ont rattrapé au bout d'une trentaine de mètres, et se sont mis immédiatement à le rouer de coups, le frappant à coups de bâton et avec des pierres jusqu'à ce qu'il tombe (…). Un autre groupe de la Fesci est arrivé depuis leurs logements et l'un d'eux lui a tiré dans la jambe avec un pistolet.
Quelques minutes plus tard, un camion des Cecos [Centre de commandement des opérations de sécurité, rebaptisé «les escadrons de la mort» par certains Ivoiriens, ndlr] est arrivé sur les lieux. J'ai entendu le jeune de la Fesci qui disait: "C'était un manifestant, un rebelle". Entendant cela, un policier de la Cecos est descendu de son véhicule et il a tiré quatre fois sur le jeune à la tête avec un long fusil.»
L'actuel secrétaire général de la Fesci, Augustin Mian, 33 ans, nie tout en bloc:
«La Fesci n'est pas forcément pro-Gbagbo. On regroupe tous les élèves de Côte d'Ivoire, de tous les bords. Nous sommes contre la guerre. On ne va pas vers un affrontement, on n'a pas besoin de ça. Il faut une solution politique à cette crise post-électorale.»
Augustin Mian vient pour un rendez-vous au siège de son organisation, accompagné par un colosse aux gros bras. Le siège de la Fesci, situé au sommet d'une colline, derrière des immeubles de résidences universitaires, sur l'immense campus de l'université de Cocody, est surnommé le «Pentagone».
Ce n'est qu'un petit pavillon peint en rose, dont la porte s'ouvre sur un alignement de bureaux modestes. Dans le couloir, des photos sont accrochées au mur: les portraits des secrétaires généraux qui se sont succédés à la tête du syndicat étudiant. Des noms célèbres, parmi lesquels figurent les principaux protagonistes de la crise actuelle: Charles Blé Goudé, chef des Jeunes patriotes et ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, mais aussi Guillaume Soro, devenu chef de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), puis Premier ministre dans un gouvernement Gbagbo après les accords de paix de Ouagadougou en 2007. Aujourd'hui, Guillaume Soro est Premier ministre et ministre de la Défense d'Alassane Ouattara, un poste depuis lequel il mène l'offensive actuelle, dans l'ouest du pays et à Abidjan.
Augustin Mian dément prendre part à la guerre, de moins en moins larvée dans la capitale:
«Là où on devait s'affronter, c'est fini. La rébellion, par expérience, c'est un mauvais souvenir. Tout le monde en souffre. Quand la rébellion a commencé, il y a eu des tueries inutiles. A Bouaké, l'université n'existe plus depuis 2002. Tous les étudiants de Bouaké se sont déplacés massivement vers le sud.»
Dans la rhétorique du camp Gbagbo, on ne fait que se défendre contre une agression extérieure, au risque de se contredire sur la menace d'un conflit.
«Le fait que la France dise à Gbagbo qu'il faut quitter le pouvoir et que l'Union européenne enfonce le clou, ça veut dire que de l'autre côté Ouattara se sent très fort et se croit tout permis. L'autre camp ne va pas se laisser intimider. Quand la guerre va commencer, les 15.000 Français de Côte d'Ivoire vont prendre leur valise, comme en 2004. La guerre n'arrange rien. L'ONU va gâter la Côte d'Ivoire; vous allez tuer les trois-quarts de la population ivoirienne maintenant?»
Le syndicat nie sa proximité avec le pouvoir
Avant le scrutin, la Fesci bénéficiait des largesses du pouvoir. La présidence a donné de la peinture pour rafraîchir les bâtiments du campus, et de l'argent pour mobiliser la base, qui dépasse largement le campus de Cocody, la Fesci étant aussi implantée dans les collèges et lycées.
Le syndicat est accusé de prélever une commission sur les bourses versées aux étudiants, mais aussi sur les activités des petits commerçants de la cité universitaire. Les fescistes prélèveraient aussi les loyers de la cité U, se servant au passage.
Là encore, Augustin Mian nie tout rapport de proximité avec le pouvoir, même s'il est arrivé en héros, avec son habituelle veste vert kaki, au meeting organisé à la mi-janvier à Abidjan par Simone Gbagbo, l’épouse du président sortant.
«Laurent Gbagbo, on le rencontre si son emploi du temps le permet. Ce n'est pas notre ami, ni notre camarade. C'est une figure de proue emblématique. Un monsieur qui a commencé très tôt à mener le combat pour la libération de la Côte d'Ivoire, depuis Félix Houphouët-Boigny [premier dirigeant de la Côte d’Ivoire, il a régné de 1960 à 1993, ndlr].
Il a mené un combat politique pour une souveraineté totale. Il a été plusieurs fois prisonnier, il n'a jamais eu l'idée d'être un maquisard, un rebelle. Il a parlé, marché, parcouru tout le pays. Il connaît son pays. Il connaît le souci des populations, il n'a jamais outrepassé l'autorité du président Houphouët-Boigny.»
Un partisan approuve: «Ouattara, lui, il n'a même pas une case dans le nord!»
«Gbagbo n'est pas un dictateur»
Pour Augustin Mian, «Gbagbo n'est pas un dictateur». Et de rappeler qu'en Côte d'Ivoire, il y a une presse d'opposition et la liberté d'aller et venir:
«Les gens qui vivent enfermés à l'hôtel du Golfe [siège du gouvernement d’Alassane Ouattara, ndlr] ont peur à tort: Henri Konan Bédié [allié d'Alassane Ouattara au second tour de la présidentielle, ndlr] est le voisin de Gbagbo. S'il rentre chez lui, personne n'ira devant sa porte pour lui dire quoi que ce soit.»
Au fil de la discussion, le ton monte. Mais le discours est bien rôdé:
«Quand il y a eu la rébellion en Côte d'Ivoire, la communauté internationale n'a pas condamné. Personne n'a levé le petit doigt. Les Ivoiriens se sont battus. On ne va pas accepter que les gens viennent nous dicter leur loi! Quand le miel t'intéresse, il faut faire attention au vase! Ouattara a nommé Guillaume Soro au poste de Premier ministre et de ministre de la Défense. Cela veut dire que tout ce que les gens lui reprochaient, d'avoir financé et armé la rébellion nordiste en 2002, c'est vrai!»
Anne Khady Sé (à Abidjan)