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Aminata, le roman évènement sur l'esclavage
Publiée pour la première fois en France, la formidable saga du Canadien Lawrence Hill éclaire un pan méconnu de l’histoire des noirs au Canada.
La grande Madame Diop a dit son émotion, lors du lancement en France du roman Aminata au Quai Branly, d’accueillir au catalogue de sa maison d’édition, Présence africaine, le livre du canadien Lawrence Hill.
Publié au Canada, aux Etats-Unis puis au Québec, primé plusieurs fois (il a notamment reçu le «Commonwealth Writer’s prize for the best book), le lecteur français va enfin pouvoir découvrir ce livre.
Enfin? Oui, parce qu’il s’agit d’un événement dans l’histoire de la littérature de l’esclavage que ce pavé qui ne pèse que le plaisir et l’intérêt d’en dévorer les 565 pages.
Le romancier Alain Mabanckou peut être fier d’avoir conduit ce livre, signé du fils d’un couple américain mixte (père noir, mère blanche) émigré des Etats-Unis au Canada dans les années cinquante, jusqu’au foyer éditorial historique de la rue des Ecoles à Paris où il trouve si bien sa place.
L'incarnation d'un parcours d'esclave
Aminata, d’abord paru sous le titre Books of negroes (Le Registre des noirs ), est devenu Someone knows my name en référence au Personne ne sait mon nom de James Baldwin, pour des raisons «politiquement correctes» autour du terme «negroes» en Amérique explique Lawrence Hill.
Et enfin, Aminata, du nom de son personnage principal et narratrice. Elle est la superbe incarnation d’un parcours d’esclave aussi éprouvant qu’éclairant sur l’Histoire des noirs au Canada.
L’auteur fait naître Aminata Diallo au Mali actuel, à Bayo, près de Ségou, au début du XVIIIème siècle… A l’époque aucune carte ne peut la renseigner sur le lieu de sa naissance et il lui faudra sortir du continent pour apprendre déjà qu’elle est originaire d’un lieu nommé l’Afrique…
Elle est la fille d’un joaillier et d’une sage-femme qui, dès son plus jeune âge, l’initie à sa pratique. Enlevée par des marchands d’esclave à l’âge de 11 ans, après avoir vu ses parents mourir sous ses yeux, Aminata se retrouve sur un bateau négrier dans des conditions effrayantes.
Elle les décrit avec une précision telle qu’on s’y croirait, car la vieille femme qu’elle est devenue rédige son autobiographie, à Londres, où les abolitionnistes l’ont fait venir en lui demandant de témoigner, pour faire avancer leur cause.
Avec la distance juste de celle qui a tout connu, tout souffert, et qui demeure encore vaillante, Aminata Diallo, au soir de sa vie, la raconte: le marché des esclaves de Guinée où elle est vendue pour travailler d’abord sur une plantation d’indigo en Caroline du Sud. Son rachat par un marchand juif chez lequel elle va connaître des hauts et des bas, dans la ville de Charleston (Charles Town à l’époque), ville de cet Etat américain.
La Nouvelle-Ecosse ou la Sierra Léone
Dès le départ, l'enfant a pour elle le savoir de sa mère accoucheuse, les valeurs fondamentales d’humanité et d’ouverture inculquées par ses parents, et un tempérament de battante, ce qui lui permet notamment d’apprendre à lire et écrire très rapidement.
Tout au long de sa vie, cette compétence rare parmi les esclaves lui ouvrira des portes, faute encore du chemin vers la liberté…
C’est seulement au moment de la Révolution américaine (1775-1783), au terme de laquelle la Grande Bretagne reconnaitra l’indépendance des Etats Unis, que son sort est en passe de changer: les Britanniques loyalistes offrent en effet aux esclaves noirs de s’engager à leurs côtés moyennant l’assurance de gagner leur liberté en partant en 1783 pour la Nouvelle Ecosse —actuelle province du Canada sur la côte atlantique—, où, leur dit-on, les attendent des terres. Leurs noms sont alors consignés sur un registre: «The book of negroes»
Devant la réalité économique misérable pour ces Nouveaux-Ecossais, et le racisme que connaissent parmi eux les Noirs, les abolitionnistes britanniques donnent aux loyalistes une autre chance: celle de revenir en Afrique où la plupart ont été capturés.
Plus d’un millier d’entre eux embarquent alors pour la colonie britannique en Sierra Léone, au cours de l’année 1792.
Ce retour en Afrique, c’est ce qu’Aminata Diallo souhaite le plus au monde. Mais une fois encore, la réalité sur place sera bien différente des espérances décidément trompeuses…
Kounta Kinté au féminin
Sur cette trame historique aux rebondissements haletants, il faut dire à quel point l’héroïne, depuis la petite enfance jusqu’à la vieillesse est une réussite littéraire: sa vie amoureuse, ses maternités malheureuses, son tempérament, son courage et ses abattements sont admirablement contés par Lawrence Hill qui a dosé avec subtilité ce qui relève de l’Histoire et ce qui appartient à la création romanesque.
Il donne d’ailleurs en fin de livre des précisions sur ce qui est «vrai» ou «faux» et fournit une mine de sources bibliographiques en annexes.
Pour ce grand livre, l’écrivain, ancien journaliste, installé en Ontario au Canada, n’a pas ménagé son temps ni sa peine, il a confié en avoir le projet depuis vingt ans, et mis cinq ans à l’écrire, en se rendant un peu partout où l’enquête minutieuse le nécessitait.
Au cœur de son travail se trouve bien sûr ce «Registre des noirs» qui recense les quelques 3.000 loyalistes noirs, mais aussi la consultation de récits d’esclaves, des témoignages de médecins ou autres participants à la traite etc.
Si le 10 mai est, plus que jamais en 2012 en France, une date qu’on célèbre, elle marque, en dehors de la vie politique hexagonale, celle de la commémoration de l’abolition de l’esclavage (Loi Taubira).
On ne saurait conseiller à tous ceux qui voudraient en savoir plus, ou transmettre cette histoire aux plus jeunes générations, la lecture de ce roman. Aminata, dans un contexte bien sûr différent, n’est pas loin de rappeller le célèbre Roots (Racines) de Alex Haley tant il donne à voir, sentir et comprendre les réalités de l’esclavage au grand public.
On se demande à chaque page pourquoi cette histoire ne fait pas déjà l'objet d'un film. Mais la réponse vient aussitôt: l’auteur travaille à la scénarisation. Vers le succès d’un Kounta Kinté au féminin?
Valérie Marin La Meslée
Aminata, de Laurence Hill, traduit de l’anglais par Carole Noël, ed. Présence africaine, 565 pages, 20 euros.
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