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«C'est bon, tu vas pas être obligé de retourner dans ton pays»
Départ de Sarkozy, victoire de Hollande, c'est aussi un soulagement pour beaucoup d'Africains. Reportage à Paris.
Mise à jour du 15 mai 2012 : l'Union pour un mouvement populaire (UMP) a décidé de répondre au Parti socialiste (PS) et à ses militants présents place de la Bastille le 6 mai, jour de le l'élection de François Hollande.
Des critiques s'étaient élevées, au lendemain du scrutin, à l'encontre des nombreux drapeaux de différentes nationalités que l'on avait pu voir place de la Bastille.
Le tract de campagne de l'UMP pour les législatives, dévoilé le 14 mai et imprimé à 8 millions d'exemplaires, présente en effet des drapeaux français et le slogan : «Ensemble, choisissons la France».
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«C’est bon, tu vas pas être obligé de retourner dans ton pays», lâche un Ivoirien dans le métro à un interlocuteur invisible qu’il vient d’appeler pour lui annoncer la victoire de François Hollande au deuxième tour de la présidentielle.
Ce soir de 6 mai, dans les rues de Paris des centaines d’Africains, Antillais, Maghrébins affichent des sourires béats.
«Nous sommes vraiment soulagés. Nous avons échappé au pire. Nous nous demandions jusqu’où la droite allait pousser sa dérive pour séduire des électeurs du Front National. Chaque jour, les immigrés étaient un peu plus stigmatisés» confie une Française d’origine Camerounaise qui marche vers la Bastille pour fêter la victoire de François Hollande.
Elle se faufile au milieu des drapeaux rouges. Sa démarche n’a rien d’idéologique. Elle n’a jamais adhéré à aucun parti. Elle est juste heureuse de fêter celui qui a «fait partir Sarkozy».
«Je me sens Française pour la première fois»
A la Bastille d’ailleurs, la foule est métissée. «On fête la victoire de la gauche bien sûr. Mais nous sommes surtout soulagés de voir partir Sarkozy» note un Antillais, qui souligne la victoire écrasante du candidat socialiste dans les départements d’outre-mer. Plus de 63% des suffrages portés sur François Hollande.
Une Franco-sénégalaise s’amuse de voir un drapeau de son pays au milieu des oriflammes qui trônent sur la Bastille. A côté de drapeau ivoirien, malien ou algérien, l’étendard du pays de la Téranga a trouvé sa place. Khady avoue son émotion:
«Je me sens Française pour la première fois. Mon vote a servi à quelque chose: à faire tomber Sarkozy qui passait son temps à nous dénigrer, à nous charger de tous les maux. En 2002, j’avais voté pour Lionel Jospin. En 2007, pour Ségolène Royal.
J’ai enfin voté pour celui qui a gagné. Mon vote a contribué à faire changer le cours de l’Histoire».
Du coup, elle n’a pu s’empêcher de marcher jusqu’à la Bastille.
«Ces grands rassemblements ne font pas partie de ma culture, mais l’élan était tellement fort que je n’ai pas pu résister. J’aime cette idée de rassemblement, de "rêve français". La grandeur, la générosité, c’est cette image de la France que nous ne voulons pas voir disparaître» explique Khady, qui n’avait pas toujours cru en Hollande.
«On nous avait tellement dit qu’il était mou et sans personnalité. Fade. Sa combativité lors du débat télévisé avec Sarkozy m’a vraiment impressionnée. J’ai suivi toute la campagne avec passion, ce que je n’ai pas l’habitude de faire.
Mais cette fois-ci, j’avais l’impression que notre avenir était en jeu. Surtout celui de nos enfants grandi en France. Et qui se sentent avant tout Français. J’ai incité tous mes amis à voter en masse. Des Sénégalais d’origine qui ne votent jamais d’habitude se sont rendus aux urnes» explique-t-elle en se félicitant de voir ses compatriotes «s’intéresser autant à l’avenir du pays où ils ont fait leur vie».
Du discours de Dakar à la viande halal
Debout à côté d’elle, Aïcha, l’une de ses compatriotes avoue qu’elle a été étonnée par le soutien des Africains, des Antillais et des Maghrébins à Hollande.
«Déjà lors de son meeting de Vincennes, les minorités ethniques étaient très présentes. C’est en les stigmatisant que la droite les a poussés dans les bras de Hollande» explique-t-elle en rappelant le discours de Dakar où Sarkozy reprochait à l’homme africain de ne pas être suffisamment rentré dans l’histoire. Musulmane elle n’a pas non plus oublié les débats sur la «viande halal».
«Au moins Hollande, nous aide à nous sentir comme des Français à part entière. Il était vraiment temps qu’il arrive au pouvoir. Avec la droite et l’extrême-droite, le racisme avait commencé à se banaliser dans la société française. Lorsqu’un ministre de l’Intérieur parle de hiérarchie entre les civilisations cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Tous les excès sont alors légitimés» explique Aïcha.
«Nous sommes soulagés. Jusqu’au dernier moment, nous avons eu peur de voir repasser Sarkozy» lâche un Ivoirien.
L’un de ses compatriotes s’emporte contre l’ancien chef de l’Etat.
«Avant d’être élu, Nicolas Sarkozy avait promis d’en finir avec la Françafrique. Mais il l’a laissée prospérer. Hollande va mettre un terme à ces pratiques d’un autre temps».
La Corrèze avant l'Afrique
A l’écoute de ces propos, un autre Ivoirien esquisse un sourire.
«Hollande ne connaît rien à l’Afrique. Et pourquoi mettrait-il un terme à cette Françafrique qui profite au pays qu’il dirige? Il va faire passer la Corrèze avant l’Afrique. Il ne faut pas que les Africains placent trop d’espoir en lui.
C’est comme lors de l’élection de Barack Obama. Les Africains étaient très contents. Mais qu’est ce qu’a fait Obama concrètement pour l’Afrique? Rien du tout. Et c’est normal. Il a été élu par les Américains pour aider les Etats-Unis. Pas pour aider l’Afrique.
Il faut que les Africains arrêtent de croire à l’homme providentiel qui va régler tous les problèmes d’un coup de baguette magique. D’ailleurs Hollande lui-même le dit. Il n’a rien d’un magicien. Il est juste un homme normal».
Hollande peut-il «tuer» la Françafrique et améliorer la vie des Africains à Paris comme à Abidjan ou Dakar? De Cotonou, à Lomé et à Montreuil, le débat est bien loin d’être tranché.
En attendant, un large sourire s’affiche sur bien des visages africains.
«Quoi qu’il arrive, on ne pourra pas oublier cette nuit de liesse à la Bastille, explique un Sénégalais. La nuit, où les Français ont dit "dégage à Sarko"».
Pierre Cherruau
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