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Le Français Hervé Renard (de dos) a remporté la CAN 2012 avec la Zambie, face à la Côte d'Ivoire
Le Français Hervé Renard (de dos) a remporté la CAN 2012 avec la Zambie, face à la Côte d'Ivoire

Les sorciers blancs du ballon rond ont la peau dure

Les Fédérations africaines continuent de confier leurs sélections à des techniciens étrangers, souvent français, aux dépends de sélectionneurs locaux. Avancée ou recul?

Mise à jour du 3 août 2012: Eric Gerets, le sélectionneur belge de l'équipe nationale marocaine est à l'origine d'une nouvelle polémique. Des députés marocains se demandent s'il s'acquitte bien de ses impôts dans le royaume. Une commission parlementaire doit s'ouvrir le 9 août 2012 pour enquêter sur le sujet.

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La dernière Coupe d'Afrique s'annonçait prometteuse.

Outre une hiérarchie bousculée, les éliminatoires de la CAN 2012 avaient semblé marquer un tournant: désormais, les techniciens africains ont leur chance.

Et ils savent la saisir, à l’image de sept coaches issus du continent, qualifiés pour le Gabon et la Guinée équatoriale.

Amara Traoré (Sénégal), François Zahoui (Côte d’Ivoire), Mohamed "Mazda" Abdulla (Soudan), Sami Trabelsi (Tunisie), Harouna Doulla (Niger), Lito Vidigal (Angola) et Stan Tshosane (Botswana) avaient ainsi la lourde tâche de démontrer à ceux qui en douteraient encore, que les fédérations africaines ont eu raison de leur confier les rênes du pouvoir.

Raté. Hormis Zahoui à la tête des Eléphants, les techniciens locaux sont passés à côté de la compétition.

Et la Zambie du Français Hervé Renard s'est imposée face aux grands favoris ivoiriens.

Du coup, les sélections africaines ont repris une mode qu'elles n'avaient jamais vraiment arrêté: celle du «sorcier blanc».

A l'image de Pierre Lechantre, qui a succédé à Amara Traoré sur le banc des Lions du Sénégal après une CAN décevante dont les séquelles tardent toujours à cicatriser.

Le technicien français, âgé de 62 ans, est un fin connaisseur du continent après avoir dirigé le Cameroun (1999-2001), le Mali (2004-2005), le Maghreb de Fès (2007-2008), le Club Africain (2009-2010) ou le Club Sportif Sfaxien (2010). Un joli CV africain qui lui a permis de prendre le meilleur sur Bruno Metsu, coach de la génération dorée, quart de finaliste de la Coupe du monde 2002 et grand favori pour succéder à Traoré.

Les entraîneurs européens plus compétents que les Africains?

Sans remettre en cause ni le talent ni l'expérience de Lechantre, on peut s'étonner du choix de la FSF.

En optant pour un technicien étranger, au détriment d'un Sénégalais, la Fédération a lancé un signal fort: pour la première fois depuis 2008, le banc des Lions sera occupé par un Européen. Et tant pis pour les locaux, visiblement pas à même d'emmener les Niang, Diawara, Mangane, Cissé et autres Ba vers les sommets.

En faisant ce choix, la Fédé s'est sans doute tirée une balle dans le pied.

«Nous avons accueilli l’information avec beaucoup d’interrogations parce que nous pensions que la Fédération allait faire confiance aux entraineurs locaux. Je répète et je signe: nous n’avons rien à envier aux entraineurs étrangers», s’offusque Abdou Karim Mané, entraineur du Dakar Université Club, dans les colonnes du Soleil.

Une position largement partagée par son collègue de l’USO, Abdou Salam Lam, qui pense que «Pierre Lechantre ne peut régler qu'un problème ponctuel, pas celui du football sénégalais dans son ensemble. Et je ne pense pas que nous manquions des compétences nécessaires pour ça.»

C'est l'éternel débat. Eric Gerets (Maroc), Vahid Halilhodzic (Algérie), Gernot Rohr (Gabon), Rolland Courbis (Niger) ou Denis Lavagne (Cameroun) sont-ils plus compétents qu'Harouna Doula (ex-Niger), Sami Trabelsi (Tunisie), Lamine Ndiaye (TP Mazembe), Yeo Martial (ex-Côte d'Ivoire), Hassan Shehata (ex-Egypte) ou Kwasi Appiah (Ghana)?

«En Afrique, il n’y a pas de place pour la patience»

Les entraîneurs étrangers sont un pilier du football africain depuis les débuts de la Coupe du monde. En 1934, quand l'Egypte est devenue le premier pays d’Afrique à atteindre la phase finale, c’était sous la direction de l'Écossais James McRae. Il faudra attendre trente-six ans avant qu’une autre équipe africaine se qualifie, et, quand le Maroc a enfin eu cet honneur, en 1970, ce fut avec l’aide d’un autre Européen, le Yougoslave Blagoje Vidinic.

Le recours aux sorciers blancs, venus porter la bonne parole sur le continent noir, n'est donc pas nouveau. Les premiers Européens à débarquer durablement sur les bancs africains datent des années soixante-dix.

Si de nombreux observateurs estiment le phénomène inévitable eu égard à la «valeur limitée» des entraîneurs locaux, admettre cette «fatalité», c’est reconnaître que depuis leur accession à l’indépendance, les pays africains, dans leur écrasante majorité, ne sont pas parvenus à former des cadres techniques de haut niveau. 

Le recrutement des «sorciers blancs» constitue bien souvent une fuite en avant. Qui ne comble pas la carence en cadres techniques mais, au contraire, l’alourdit.

Mais comment expliquer la fascination durable qu’exercent les stratèges étrangers du ballon rond?

«En Afrique, il n’y a pas de place pour la patience: on perd deux matches et c’est la fin du monde», répond, dans les colonnes du quotidien L’Equipe, Stephen Keshi, l'actuel sélectionneur du Nigeria qui a encadré aussi bien le Togo que le Mali. 

«Alors les gens se disent qu'ils vont se trouver un homme blanc avec des pouvoirs magiques qui, en deux semaines, va leur faire gagner la Coupe du monde.»

Mercenaires ou amoureux de l'Afrique ?

Ce recours à l'expert étranger traduit un complexe tenace et paradoxal que l'on retrouve au sein des instances dirigeantes du football, et même dans les médias, «qui ne se préoccupent pas de valoriser l'image du technicien africain, de défendre ses droits, de l’encourager à briser ses... propres complexes», comme l'explique WeAreFootball.

Quid des footballeurs expatriés?

Ces professionnels, pour la plupart formés en Europe par des Européens, ont bien souvent du mal à s'habituer, voire à se réhabituer, aux spécificités africaines. Passer d'un José Mourinho ou un Sir Alex Ferguson à un technicien local qui n'a rien prouvé ressemble à un grand pas en arrière pour des joueurs payés des millions et qui évoluent au Barça, à l'Inter ou à l'OM.

Ne sont-ils pas les premiers à réclamer un encadrement étranger, synonyme dans leur esprit de professionnel?

Seul problème, bien souvent, sur le marché, ne restent que des seconds couteaux délaissés par les clubs européens. À ces messieurs venus du Vieux Continent, on offre souvent des contrats juteux et un poste à la tête d'une sélection nationale.

Certes, tous ne sont pas des mercenaires. Ils sont nombreux, tels Robert Nouzaret, Hervé Renard ou Claude Le Roy, à réellement aimer l'Afrique et à vouloir participer à son développement.

Mais il existe autant de personnes comme Javier Clemente. Ce dernier a échoué à la tête des Lions Indomptables pour n'avoir pas su comprendre les réalités camerounaises dans une Tanière où règnent les querelles intestines et les luttes d'egos.

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Nicholas Mc Anally. Journaliste spécialiste du football africain. Il a collaboré à Afrik-Foot.

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