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Discours du président algérien Abdelaziz Bouteflika le 8 mai 2012 à Sétif. Reuters/Louafi Larbi
Discours du président algérien Abdelaziz Bouteflika le 8 mai 2012 à Sétif. Reuters/Louafi Larbi

Ces jeunes Algériens qui défient le vieux président

Histoire d'une jeunesse algérienne qui ne croit plus en la chose politique.

Mise à jour du 11 mai 2012:D'après les résultats officiels, le FLN obtient 220 sièges, le Rassemblement National Démocratique (RND) 68, l'Alliance verte 48, le Front des forces socialistes (FFS) 21, le Parti des travailleurs (PT) 20 sièges, les Indépendants 19 sièges, le Front national algérien (FNA) 9 sièges, Adala 7, MPA 6.

***

 C’est une vidéo qui en a ému plus d’un en Algérie et dans l’espace virtuel. Une vidéo d’un jeune homme, filmé avec un téléphone portable, assis devant des rochers, fumant une cigarette, un rap en fond sonore. S’arrêtant de temps à autre, l’air triste et usé, il reprend son souffle et continue. Par moment, le grand gaillard a du mal à retenir ses larmes. La vidéo s’appelle «Un message à Bouteflika», et Hichem y raconte la galère d’une certaine jeunesse, la hogra (le mépris)… En cette période électorale, où il est bien difficile d'identifier les citoyens qui vont aller voter, Hichem interpelle dès la première minute:

«Pourquoi les gens sont mal? Celui qui dit que tout va bien, qu’il sorte dans la rue et qu’il constate par lui-même».

Postée mi-avril sur Youtube, sa vidéo comptabilisait plus de 156 500 vues dix jours plus tard. Son message raconte les difficultés de l’Algérie contemporaine: problèmes de logement – loyers inaccessibles pour beaucoup et qu’il faut payer un an à l’avance – et, par conséquent, problème pour se marier, être indépendant: «Les jeunes souffrent. Si tu veux te marier, pas moyen. Tu veux habiter seul, pas moyen»… énumère-t-il.

«J’ai jeté l’éponge au bout de deux mois»

Hichem a 31 ans, c’est un enfant de Bab El Oued, quartier populaire d’Alger. Il vit avec sa mère dans la maison de ses grands-parents, décédés aujourd’hui. Avec ses deux oncles et ses six cousins, ils s'entassent à onze dans un F4. La sœur d’Hichem, mariée, vit de son côté. «Mon père s’est barré quand j’avais dix ans », dit-il, parlant du divorce de ses parents comme d’un abandon. Il va à l’école jusqu’à l’âge de 16 ans. «Premier de la classe», assure-t-il.

A la sortie de l’école, avec les copains, ils vont vendre des sacs plastique aux clients sur les marchés du quartier pour se faire un peu d’argent de poche. Puis, c’est la rue…  « Y’a que du béton, de la drogue… Pas de sécurité… On voit des gamins se faire tuer lors de matchs de foot ! A 16 ans, j’ai été envoyé à la prison des mineurs d’El Harrach (quartier populaire de la banlieue est d’Alger, ndlr) pour un petit vol», avoue-t-il. Sans formation, Hichem trouve de temps en temps des petits boulots, tels que serveur dans une cafétéria : «J’ai jeté l’éponge au bout de deux mois, j’étais payé 300 dinars par jour…»

Son casier judiciaire le rattrape aujourd’hui…

Hichem rappe avec ses amis. Dans ces moments, son sourire est immense. Ses journées, il les passe souvent à SOS Bab El Oued, association créée en pleine décennie du terrorisme pour empêcher les gamins du quartier de monter au maquis. Pour qu’ils sachent quoi faire de leur vie. Ici, les plus petits sont encadrés par les plus grands pour du soutien scolaire.

Les jeunes peuvent prendre des cours de musique, assister à des ciné-clubs, réaliser des films sur leur quartier. En sous-sol, un studio de répétition accueille des groupes de musique en tous genre. Les nouveaux y côtoient de vieux musiciens chaabi qui enseignent leur art à ceux qui veulent prendre la relève. Hichem y répète avec Brahim et Omar, avec qui il forme le groupe de rap Gèneoxy (le verlan d’Oxygène).

Dernièrement, un jeune de 17 ans a rejoint l’association. Il s’était laissé embarquer dans un trafic de drogue. Les plus grands, dont Hichem, ont tenté de lui inculquer des valeurs:

«Je lui ai dit, si tu veux rester, il faut jeter ça. Mais il a continué, il n’a pas suivi mes conseils. Un jour, il a voulu battre un petit, je me suis interposé, je lui ai mis une baffe… il est allé direct me dénoncer à la police et dire que je tentais de le racketter

Alors, quand la police le trouve dans le quartier et veut le fouiller, Hichem s’emporte:

«Je ne voulais pas qu’ils me fouillent dans la rue, devant les amis, j’ai dit allons au commissariat. Là-bas, ils m’ont collé dans les mains un sachet contenant un bout de mégot de joint en me disant que ça m’appartenait… »

«C'est pas ma faute si je suis né ici»

Après une nuit en prison, Hichem comparait devant le procureur, qui refuse d’entendre les témoins que le jeune homme veut présenter, expédiant son cas en moins de dix minutes. Depuis, il se planque chez les uns et les autres.

«Les flics sont déjà venus trois fois à la maison. La dernière fois, ils ont dit à mon oncle « on cherche le chef des terroristes

Hichem s’est présenté au tribunal mercredi 18 avril. Ses copains et le président de SOS Bab El Oued se sont démenés pour lui trouver un avocat. L’affaire a d’abord été renvoyée à la semaine d'après, sans date précise. Mais Hichem et ses soutiens ont très vite compris que rien ne bougerait d’ici aux élections législatives du 10 mai. D’ici là, il est en détention à Serkadji, à Bab-Jdid, au-dessus de Bab El Oued. Pour tenir, il pense au sourire de Sarah, sa petite amie, son « bonheur ».

Son message au président Bouteflika sonne comme une demande d'indulgence, pour lui et pour les autres :

«Pourquoi y'a des gamins en prison? Avant de les foutre là-bas, il faut comprendre pourquoi ils font des dégâts. Il faut aider ces jeunes. Je suis aussi algérien, j'ai mes droits dans ce bled, c'est pas ma faute si je suis né ici».

Essuyant quelques larmes qui coulent toutes seules, Hichem parle de la prison de son existence :

«Si je pleure c'est parque que ça me fait mal... C'est pas moi qui pleure, c'est mes sentiments (…) On va célébrer le cinquantième anniversaire de la libération, y'a des gens qui sont morts pour ça, mais on n'est pas libres».

Ce sont justement ces pleurs, inattendus chez un costaud de la trempe d'Hichem, qui ont ému ses auditeurs, comme Mehdi, 19 ans, musicien en préparation du bac, tendance plutôt privilégiée et engagée:

«Ce qui m'a touché c'est cette sensibilité qu'on lit sur son visage, sachant qu'il fait partie de cette souche très virile… Ces larmes qui coulent malgré lui, comme si on lui arrachait une partie de lui, c'est énorme, une sensibilité enfouie quelque part et ressortie au moment où on disait de cette jeunesse longtemps marginalisée qu'elle en avait marre et qu'elle ne se sentait plus concernée par cette Algérie».

Sur Youtube, au milieu de commentaires qui veulent l'assimiler à une "fillette", une majorité croit en la sincérité d'Hichem, qui dit aussi l’amour de son pays:

«J'aime mon pays et je ne suis pas entrain de renier mon pays, c'est faux. Malgré tout,  je voulais faire passer le message à Monsieur le président».

Ce message qu’un autre jeune, Tarek Mameri, a lui aussi tenté de faire passer par internet, via Youtube également, filmant son appel au boycott des élections législatives. Arrêté par la police le 1er mai, il a été relâché deux jours plus tard. Son procès pour «destruction de documents administratifs, incitation à attroupement et outrage à corps constitué» aura lieu le 30 mai.

Louisa Benzaken

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