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Le début de la fin pour Gbagbo
Le régime de Laurent Gbagbo est en train de s'écrouler. Au président sortant de Côte d'Ivoire, il ne reste que l'énergie du désespoir.
Depuis quelques semaines, il n’échappe pas aux analystes que le chef de l’Etat sortant de Côte d’Ivoire perd progressivement la maîtrise de la situation.
C’est ainsi que, lâché par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et menacé de manquer rapidement de liquidités, il a annoncé qu’il allait créer sa propre monnaie, la MIR (pour Monnaie ivoirienne de la Résistance) et s’est mis en quête d’un pays ami capable d’en imprimer les billets. En vain.
Puis, confronté à la raréfaction des recettes d’exportation, il a décidé de nationaliser la filière cacao afin d’en faire entrer les bénéfices dans les caisses de l’Etat, qu’il contrôle encore.
Dans les deux cas, il a paré ses décisions du vernis idéologique dont il fait depuis longtemps son fonds de commerce: le nationalisme ombrageux.
Le franc CFA ayant un trop fort parfum de colonialisme et le commerce du cacao étant entièrement entre les mains de compagnies étrangères, il était temps pour lui de revenir aux fondamentaux du socialisme —dont il se prétend pourtant «non-pratiquant»— et de montrer au reste de l’Afrique que Laurent Gabgbo est l’héritier authentique des grands leaders mythiques, comme Lumumba ou N’Krumah, voire Nelson Mandela.
Hélas, créer une monnaie reconnue par personne ne conduit nulle part. Et, s’il est parfaitement légal de nationaliser des entreprises privées, encore faut-il en payer le prix et non pas spolier le partenaire. Le département d'Etat américain a parlé de «vol». En outre, même s’il a montré son savoir-faire pour détourner les royalties du cacao (et du pétrole), avec quelle monnaie allait-il acheter le précieux produit? Et surtout, à qui allait-il vendre les fèves plus ou moins avariées, car stockées depuis le début de l’embargo, sachant justement que les acheteurs habituels respectaient plutôt bien cette sanction?
Et, jour après jour, la spirale négative s’est accélérée. Non contents d’avoir forcé à l’exil les meilleures plumes de la presse ivoirienne (Venance Konan et Tiburce Koffi), les partisans de Gbagbo ont imposé aux journaux d’opposition un régime de terreur, allant jusqu’à faire bloquer la sortie des quotidiens par l’armée. Pendant ce temps, la radio-télévision d’Etat passe en boucle des discours appelant à la haine intercommunautaire. Reporters sans frontières a condamné.
Par ailleurs, dès les premiers jours de décembre 2010, le tristement célèbre Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), surnommé les escadrons de la mort, ont repris du service dans les quartiers réputés favorables à Alassane Ouattara. Certains matins, on a ramassé jusqu’à dix cadavres de civils, parfois abattus de sang-froid sans raison apparente, sinon pour délit de faciès ou de patronyme.
Puis, en janvier, le camp de Laurent Gbagbo s’en est pris verbalement aux forces de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire avec une telle véhémence que les miliciens (les «Jeunes Patriotes» issus du syndicat étudiant Fesci, pour Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) en ont été galvanisés et ont frontalement attaqué les Casques Bleus, tirant à balles réelles (car on les avait armés) et brûlant plusieurs véhicules portant le sigle «UN» des Nations Unies. L'ONG Human Rights Watch a pointé du doigt toutes ces exactions.
Si la rhétorique contre toute ingérence étrangère fait toujours quelques adeptes dans la communauté africaine et chez quelques intellectuels occidentaux, le recours systématique à la violence aboutit à des dérapages hautement dommageables et difficilement justifiables. Cela a été le cas lors des manifestations de femmes des 3 et 8 mars 2011. Défilant derrière une grande banderole sur laquelle on pouvait lire «Ne tirez pas!», et confiantes dans le fait que jamais personne, fût-il le colonisateur, n’avait osé réprimer les marches féminines, elles ont été dispersées à la mitrailleuse lourde, et une quinzaine d’entre elles y ont laissé la vie. La Cour pénale internationale a pris acte, et le dossier commence à être lourd.
C’est dans ce contexte que les «médiateurs» de l’Union africaine ont organisé une énième tentative de conciliation à Addis-Abeba le 10 mars, où Laurent Gbagbo n’a pas osé se rendre, de peur de ne pouvoir en revenir, laissant ainsi le champ libre à la légitimation de son adversaire Alassane Ouattara, définitivement reconnu comme seul président de la République ivoirienne.
Ces jours-ci, il ne reste donc plus au candidat perdant de la présidentielle du 28 novembre 2010 que l’énergie du désespoir, violente et contre-productive. C’est ainsi que poussé par les faucons de son entourage à «nettoyer» le quartier populaire d’Abobo (dans le nord d’Abidjan), qui lui est hostile, il y a envoyé, le 11 mars, des chars mais aussi des hélicoptères, en violation flagrante de l’embargo sur les armes.
Il y a eu encore des morts, trop de morts, et pourtant les «insurgés» ne reculent pas. Pire: ils ont attaqué Yopougon le 14 mars et ont fait entendre leurs armes lourdes autour de la résidence du chef d’état-major.
Le pouvoir de Laurent Gbagbo vacille. Dans le même temps, on apprend qu’une quatrième localité de l’ouest du pays a été abandonnée par les troupes dites «loyalistes», dont les soldats désertent en grand nombre.
Et, dans cette course à l’abîme, le symbole le plus fort est venu, 13 mars, de cette manifestation organisée par les partisans de Gbagbo en soutien du colonel Kadhafi… Au cas où l’on ne l’aurait pas compris, le chef de l’Etat sortant affiche donc désormais son camp: celui des tyrans. A l’évidence, il a perdu la maîtrise de la situation. Ne vient-il pas de franchir le seuil critique, celui au-delà duquel tout bascule dans l’autre sens?
Christian Bouquet