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Khairat al Shater, le candidat des Frères musulmans disqualifié au Caire le 12 avril. Reuters/Mohamed Abd El Ghany
Khairat al Shater, le candidat des Frères musulmans disqualifié au Caire le 12 avril. Reuters/Mohamed Abd El Ghany

Egypte: les Frères musulmans n'ont pas dit leur dernier mot

Les Frères musulmans pourront-ils se remettre de la disqualification de leur charismatique et populaire candidat à l'élection présidentielle égyptienne?

Mise à jour du 28 avril 2012: L'opposant égyptien Mohamed ElBaradei a présenté samedi au Caire un nouveau parti avec pour objectif de «sauver la révolution» qui a renversé Hosni Moubarak et dénoncer la «tragique» période de transition dirigée par l'armée

L'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et prix Nobel de la paix 2005 a déclaré que le Parti de la Constitution voulait «sauver la grande révolution de janvier (2011, ndlr), qui s'est éloignée de ses objectifs».

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 Début avril, Khairat al-Shater, sommité des Frères musulmans, semblait encore le favori assuré de la course présidentielle égyptienne. Le soir du 12 avril, plus de 5 000 hommes, et un millier de femmes regroupées dans la section qui leur était réservée, s’étaient massés dans un enclos délimité par des murs de toile dans le quartier ouvrier de Shubra al-Kheima, bastion des Frères musulmans, pour écouter ce que leur candidat avait l’intention de faire une fois le siège présidentiel égyptien acquis.

Ce meeting, l’un des premiers de Shater depuis l’annonce de sa candidature, parvint à être à la fois extrêmement organisé et mouvementé. Des cadres des Frères musulmans de tous âges couvraient le bruit venant de l’autoroute voisine. Des supporters avaient apporté des dizaines de drapeaux blancs roulés annonçant l’avènement d’une «renaissance égyptienne» qu’ils déployèrent joyeusement au moment idoine. Pendant ce temps, des hauts responsables à la table d’honneur buvaient du café dans des tasses frappées du portrait plutôt impressionnant de Shater.

Shater, l'éminence grise des Frères musulmans

Le nom de famille de Shater signifie «intelligent» en arabe—surnom assez approprié pour ce millionnaire qui s’est fait tout seul—et on pouvait lire sur un panneau fait main arboré par une jeune femme «L’Égypte a besoin de quelqu’un d’intelligent!»

Grand homme large d’épaules qui passa des années en prison sous le régime de Moubarak, Shater dominait la pièce sans même se lever de son siège. Il parla à peine de religion, préférant se concentrer sur la reconstruction de l’économie, le pays et la fierté égyptienne.

«Mes frères, nous avons besoin de nous sentir à l’orée d’une vraie renaissance» dit-il. «Nous voulons bâtir notre pays. Nous sortons d’une période de pillages

Comme il sied à un favori, Shater évitait généralement d’attaquer ses rivaux politiques. Cependant, il fit une exception notable: il interpellait régulièrement Omar Souleiman , qui fut longtemps à la tête des services de renseignements égyptiens et le consigliere d’Hosni Moubarak, et qui s’était lui aussi récemment lancé dans la course électorale.

«Omar Souleiman et les hommes des renseignements d’Hosni Moubarak essaient de nous tirer en arrière» cria-t-il à moitié. Ils veulent «voler la révolution et falsifier les élections

Les favoris disqualifiés

À peine plus de 48 heures plus tard, Souleiman était hors-jeu. Mais Shater aussi—et le paysage de la transition postrévolutionnaire égyptienne avait de nouveau changé. Le 14 avril, la commission électorale égyptienne a disqualifié les deux plus forts candidats islamistes ainsi que Souleiman, le plus puissant symbole de l’ancien régime.

Ce dernier doit son élimination à des erreurs dans la collecte de signatures nécessaires à sa candidature; Shater au fait qu’il a récemment été emprisonné pour avoir appartenu aux Frères musulmans et pour blanchiment d’argent dans le cadre du financement de l’organisation (il fut libéré après la révolution); le salafiste Hazem Abou Ismail a quant à lui été disqualifié parce que sa mère, décédée, avait adopté la citoyenneté américaine il y a plusieurs années.

La commission a rejeté les appels des trois candidats le 17 avril au soir, ouvrant la voie à l’annonce de la liste finale des candidatures le 26 avril. Une campagne relativement courte s’ensuivra, avant les élections des 23 et 24 mai, avec un second tour qui se tiendra à la mi-juin.

Confusion et polarisation de la vie politique égyptienne

À un mois de l’échéance, la première élection présidentielle égyptienne post-Moubarak progresse à l’image de l’année post-Moubarak qui l’a précédée. Il règne un sentiment de confusion de masse et de polarisation—ainsi que la peur tenace que personne ne tient vraiment le gouvernail de l’État égyptien.

Le véritable attrait de la candidature de Souleiman est toujours resté incertain. Il était encombré d’un énorme bagage politique; de ses relations publiques amicales avec des générations successives de responsables israéliens à ses liens étroits avec Moubarak.

Mais sa candidature portait aussi en elle aux yeux de la société l’hypothèse qu’il bénéficierait du soutien discret mais très réel du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) au pouvoir. Et certains Égyptiens voyaient en Souleiman un rempart autoritaire nécessaire à la prise du pouvoir islamiste qui, craignent les laïques, est déjà bien avancée, auraient pu voter pour lui à cause de son opposition obsessionnelle aux Frères musulmans.

Disqualification «à la fois comique et triste»

Si la popularité de Souleiman est contestable, en revanche Abou Ismail et Shater auraient assurément été de vraies forces électorales. Les affiches d’Abou Ismail sont encore omniprésentes dans tout le Caire—il était devenu le principal croque-mitaine des activistes de la laïcité égyptienne, dont beaucoup n’ont pas dissimulé leur euphorie lors de sa chute provoquée par un scandale du type «birther» inversé [référence aux adversaires d’Obama qui avaient mis en doute sa nationalité américaine].

Shater fut essentiellement le favori à partir du moment où les Frères musulmans annoncèrent qu’ils reviendraient sur leur parole pourtant souvent claironnée et présenteraient un candidat aux élections présidentielles. Lors d’une conférence de presse mercredi après-midi, Shater a déclaré que sa disqualification était «à la fois comique et triste,» mais n’a en rien laissé entendre qu’il contesterait cette décision.

Il est fort peu probable que les prétendants restant provoquent le même genre de polarisation que ceux qui ont été passés à la trappe par la commission électorale. Évaluer leurs chances électorales est encore hasardeux, mais chacun va désormais poser sa candidature dans les diverses circonscriptions vidées par la commission électorale. L’ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa et l’ancien frère musulman Abdel Moneim Aboul Fotouh retrouvent leurs statuts de favoris presque par défaut.

Des islamistes marginaux comme Mohamed Selim al-Awa vont œuvrer à attirer à eux les électeurs d’Abu Ismail et de Shater. L’ancien commandant de l’armée de l’air et dernier Premier Ministre de Moubarak, Ahmed Shafiq, va lui aussi tenter d’attirer le bloc stabilité/anti-islamiste qui aurait sinon pu voter pour Souleiman. Le seul candidat restant que l’on puisse qualifier de laïciste et qui n’ait pas de lien avec l’ancien régime est peut-être le député nassériste de longue date Hamdeen Sabahi, qui peut se targuer d’appartenir à l’opposition depuis l’époque où il était activiste et étudiant sous feu le président Anouar el-Sadate.

Il faut malgré tout compter avec les Frères

Mais les Frères musulmans sont encore dans la course, et il faut compter avec eux. Le groupe, conscient de l’éventualité d’une disqualification de Shater, a nommé un second candidat, Mohamed Morsi. Membre de longue date de l’équipe dirigeante des Frères musulmans, Morsi s’est fait connaître comme l’un des visages publics de l’organisation après la révolution en tant que président du Parti pour la liberté et la justice.

S’il est loin d’avoir la stature ou le charisme de Shater, Morsi aura pour lui l’entier et formidable soutien des Frères. Après avoir passé une bonne année à jurer publiquement que la présidence ne l’intéressait absolument pas, l’organisation islamiste tant vantée semble finalement très attachée à s’accaparer le pouvoir exécutif.

La politique égyptienne à la veille de l’élection présidentielle est de plus en plus dominée par la logique du tout ou rien—les camps rivaux n’envisagent pas du tout de partager le pouvoir au nom de la solidarité postrévolutionnaire. Pour l’instant, à en juger par les résultats des législatives et par le processus de plus en plus embrouillé de rédaction de la nouvelle constitution, tous les camps semblent se livrer à un jeu à somme nulle à un moment où le pays a désespérément besoin de construire un consensus qui rassemblerait le plus de monde possible.

Lors du meeting de Shater précédant sa disqualification à Shubra El-Kheima, un de ses supporters asséna avec passion qu’il fallait que les Frères musulmans contrôlent à la fois le législatif et l’exécutif afin de pouvoir s’opposer à une contre-révolution active et pernicieuse.

«Sans pouvoir exécutif, peu importe ce que fera le parlement (des Frères musulmans). Les lois ne seront tout simplement pas appliquées» expliqua Muhammed Aql, comptable de 27 ans vêtu d’une chemise Oxford à fines rayures. «Demander aux Frères musulmans de protéger la révolution dans ces conditions revient à lier les mains d’un homme et à lui ordonner de nager.»

ASHRAF KHALIL [Traduit par Bérengère Viennot]

Foreign Policy

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