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Un hélicoptère de l'armée  égyptienne, Le Caire, 6 octobre 2011. REUTERS/Amr Dalsh
Un hélicoptère de l'armée égyptienne, Le Caire, 6 octobre 2011. REUTERS/Amr Dalsh

Ces mercenaires venus de l’Est

De la Libye à la RDC, l'Europe de l'est s'est fait une spécialité de «l'exportation» de chiens de guerre en Afrique.

Mise à jour du 4 juin: un tribunal militaire libyen a condamné dix-neuf mercenaires Ukrainiens et trois Biélorusses et un Russe à dix ans de prison avec travaux forcés. Ils étaient accusés d’avoir aidé le régime de l’ancien président libyen Mouhammar Kadhafi à combattre les rebelles et l’Otan, pendant la révolution de 2011. Qualifié de «coordinateur du groupe», un autre Russe a, lui, écopé de la prison à perpétuité. Les 24 condamnés ont réfuté toutes les charges qui pesaient sur eux, justifiant qu'ils étaient venus en Libye pour travailler dans le secteur pétrolier. Les ambassadeurs ukrainiens et biélorusses, présents lors de l’audience, ont indiqué qu’il sera fait appel de ce jugement.

***

Le 9 avril dernier, deux Russes, deux Biélorusses et vingt Ukrainiens comparaissaient devant un tribunal militaire de Tripoli, en Libye.

C’est en septembre 2011 que ces hommes auraient été interpellés par les forces du Conseil national de transition. Si eux-mêmes se présentent comme des spécialistes venus travailler dans l’industrie pétrolière, le nouveau pouvoir libyen, lui, les accuse d’avoir été des mercenaires à la solde du colonel Kadhafi.

Nul ne sait ce qui va advenir de ces hommes, mais ils peuvent déjà s’estimer heureux d’être encore en vie. En effet, à l’époque où ils étaient arrêtés, plusieurs autres auraient été tués, soit dans les combats, soit exécutés.

Dans les affrontements dans et autour de Misrata en septembre 2011, les rebelles libyens auraient ainsi abattus des dizaines de ces «mercenaires», pour beaucoup originaires de Serbie, de Croatie ou d’Ukraine.

L’Afrique a toujours été un terrain de chasse idéal pour les « Affreux », ces mercenaires souvent issus d’unités d’élite occidentales comme la Légion étrangère, représentants des anciennes puissances coloniales comme la France et la Grande-Bretagne ou de puissances régionales comme l’Afrique du Sud.

Des Serbes recrutés par les Mobutistes

Nous l’avons déjà évoqué dans une précédente chronique, aussi nous contenterons-nous de rappeler que ces combattants, généralement expérimentés et vendant leurs services douteux au plus offrant, ont été vus dans nombre des conflits qui ont ensanglanté le continent, en particulier dans l’ex-Zaïre, en Angola et au Mozambique.

Et depuis la disparition de l’Union Soviétique et l’explosion de la Yougoslavie, beaucoup de militaires de l’Est de l’Europe semblent s’en être fait une spécialité. Des Serbes auraient ainsi été recrutés par les Mobutistes au Zaïre dans le vain espoir de redresser leur situation sur le terrain dans les années 90.

Des pilotes d’hélicoptère ukrainiens auraient appuyé les forces de Pascal Lissouba lors de la guerre civile au Congo-Brazzaville en 1997. Sans oublier d’autres pilotes, biélorusses cette fois, qui, à bord d’avions d’attaque au sol Sukhoï Su-25 de l’aviation ivoirienne, auraient frappé le camp des forces françaises à Bouaké en 2004, faisant neuf morts et plus d’une trentaine de blessés.

Un nouveau type de chiens de guerre a donc fait son apparition en Afrique. Pourtant, le métier en lui-même n’a rien d’exceptionnel dans cette région d’Europe.

Comme les Suisses, les Wallons ou les Flamands, il était autrefois courant de voir des guerriers de l’Est servir jusque dans les armées occidentales. Des cosaques zaporogues, venus de leur lointaine Ukraine, prirent ainsi part au siège de Dunkerque en 1646.

Les Croates furent présents dans bien des batailles de la terrible Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui ravagea l’Allemagne. Ils eurent même leur régiment au sein de l’armée du roi de France, le « Royal Cravate », et laissèrent d’ailleurs leur nom à ce bout de tissu qu’ils avaient coutume de porter noué autour du cou, mode qui ne s’est jamais démentie depuis!

La Yougoslavie a régulièrement fourni des conseillers

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces combattants, souvent des spécialistes (pilotes d’hélicoptères, d’avions de transport ou d’attaque, missiliers, radaristes, mais aussi commandos), venus d’Europe de l’Est ne sont pas dépaysés en Afrique.

A partir des années 60, en effet, l’Union Soviétique et ses alliés du Pacte de Varsovie s’impliquèrent de plus en plus dans les pays qui s’étaient affranchis de la tutelle coloniale. Tandis que la jeunesse angolaise, mozambicaine, mais aussi éthiopienne ou congolaise, partait étudier en URSS, des conseillers militaires soviétiques venaient encadrer les forces armées des jeunes Etats aux prises avec des rébellions ou des tentatives d’infiltration de la part d’adversaires soutenus par l’Ouest. Ils furent par exemple très actifs en Angola.

Si ces liens se sont distendus avec la chute du communisme, certaines filières restent actives. La Yougoslavie avait régulièrement fourni des conseillers et un soutien à Kadhafi, surtout lors de la guerre contre le Tchad dans les années 80, et on a logiquement retrouvé d’anciens officiers croates et serbes aux côtés du colonel avant sa défaite.

Ukrainiens et Biélorusses profitent de certains des anciens canaux établis du temps de l’URSS. À cela s’ajoutent les réseaux du nouveau mercenariat plus «mercantile», des sociétés dites de sécurité recrutant beaucoup d’anciens militaires de l’Est pour leurs marchés en Afrique, mais aussi en Irak, entre autres.

Ex-Soviétiques et Sud-Africains, qui s’étaient affrontés, pas uniquement par procuration, en Angola et au Mozambique, se retrouvent alors parfois côte à côte, comme ce fut justement le cas en Libye avant que les mercenaires ne plient massivement bagages avec l’intervention de l’OTAN.

Théoriquement, les Nations unies se sont dotées d’une convention qui interdit cette activité ô combien répréhensible.

Il est toutefois bon de rappeler qu’elle a fait l’objet de longues et âpres négociations qui ont débuté en 1989, mais qu’elle n’est entrée en vigueur qu’en 2001. 32 Etats seulement l’ont ratifiée, dont la Serbie et l’Ukraine.

Quand leurs ressortissants sont capturés ou dénoncés comme des mercenaires, ces deux pays affirment qu’il s’agit en réalité de contractants spécialisés dans des domaines techniques, ce qui ne trompe généralement pas grand monde.

Quant aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, à la France et à l’Afrique du Sud, qui abritent les principales sociétés qui interviennent dans ce secteur hautement lucratif, ils ne l’ont pas signée.

Roman Rijka

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Roman Rijka. Journaliste. Spécialiste de l'histoire militaire.

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