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L'ONU, ce «machin» qui n'a pas changé
Les crises ivoiriennes et libyennes ont encore donné la preuve de l’incapacité de la communauté internationale à mettre en pratique la fameuse «responsabilité de protéger» les populations.
Il semble qu’on ne s’y attende même plus. Voir les Nations Unies agir pour limiter les dégâts dans un pays en crise n’est plus que le fantasme de quelques idéalistes. Ces derniers temps, la Côte d’Ivoire et la Libye ont encore donné les preuves de l’incapacité de la communauté internationale à mettre en pratique la fameuse «responsabilité de protéger» les populations. Retour sur les derniers échecs en date de la diplomatie internationale.
Les derniers échecs de la communauté internationale
Côte d’Ivoire, Libye; à l’ONU, même combat: on discute, on pinaille, on se réunit, et surtout on se déclare préoccupé, voire «très inquiet».
Des sanctions sur Kadhafi et ses proches, un possible renforcement des sanctions, un accueil «favorable» des décisions, des demandes et des déclarations des groupes régionaux, des discussions sur une zone d’exclusion aérienne...
Aux Nations Unies, on dialogue, on réunit le Conseil de Sécurité, on envoie un émissaire du secrétaire général à Tripoli pour «transmettre, dans des termes clairs les inquiétudes des Nations Unies» et on espère que cela fera flancher le Guide.
Lundi, le Conseil s’est à nouveau montré poli. La Ligue arabe l’a demandé; ils l’ont fait. Non pas prendre une décision sur la zone d’exclusion aérienne évidemment, mais au moins en discuter.
Côté Afrique sub-saharienne, après avoir presque trop parlé, l’ONU rechigne ces dernières semaines à s’exprimer sur une situation ivoirienne qui s’enlise et empire. Quand le Conseil parle, c’est pour ne rien dire. Un simple rappel des déclarations précédentes et un accueil favorable des décisions de l’Union africaine (UA), tel est le contenu du dernier texte de l’organe décisionnaire onusien alors que des milliers d’Ivoiriens fuyaient leur pays, qu’Abobo était à feu et à sang et que le président Ouattara n’était pas sûr de pouvoir rentrer après son séjour à Addis-Abeba (capitale de l’Ethiopie).
Une déclaration faite uniquement parce que l’UA s’était exprimée la veille et que les quinze se devaient de répondre.
L’angoisse de l’interventionnisme
L’inaction du Conseil n’irrite pas seulement des responsables d’ONG ou d’autres organismes de protection des droits de l’Homme. Certains diplomates s’agacent eux aussi de voir que l’organe exécutif des Nations Unies est incapable de prendre des décisions pouvant protéger des populations.
«Il n’est pas question de jouer le jeu politique au moment où des gens sont en train d’être tués», s’est indigné l’ambassadeur ivoirien aux Nations Unies, Youssouf Bamba. «Nous ne comprenons pas que certains membres du conseil fassent des réserves, des résistances», a-t-il ajouté.
«Il faut que les Nations Unies prennent leur responsabilité. On ne peut plus continuer ce jeu qui consiste à faire des résolutions qui changent les virgules des résolutions précédentes alors que les Ivoiriens meurent.»
Le fait est que ces derniers temps, le Conseil ne dit rien sans l’approbation des organismes régionaux. Parmi les cinq membres permanents, les Français et les Britanniques ne veulent pas être accusés d’interventionnisme, les Américains non plus, quant aux Chinois et aux Russes ils se veulent les grands «protecteurs» de la souveraineté des Etats.
Dans ces circonstances, aucune décision ne peut être prise sans que l’UA, la Ligue arabe, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et d’autres ne se soient prononcés. Et toutes ces procédures ont tendance à traîner. Elles offrent le temps à Gbagbo de se maintenir et d’organiser ses attaques, à Kadhafi la capacité de reprendre ses positions stratégiques.
Le Conseil de Sécurité a les moyens d’agir. Les quinze peuvent braver les principes de souveraineté des Etats et d’intégrité territoriale, s’il s’agit de protéger des vies humaines. Les règles de droit international existent, la charte des Nations Unies le permet et une telle décision a déjà été prise, notamment en Bosnie en 1993.
Dans le cas de la Libye, la résolution qui impose des sanctions à Kadhafi et ses proches et réfère le cas à la Cour pénale internationale a été une véritable prouesse diplomatique. Mais tous les membres du Conseil savent pertinemment que cela n’est pas suffisant pour arrêter le dictateur. On sait qu’aucune sanction n’a pu arrêter Gbagbo jusqu’à présent.
Qui est à blâmer?
Est-ce par manque de moyens, de ressources ou de volonté? Quelle qu’en soit la cause, «l’effet ONU» sur les crises mondiales et particulièrement africaines a souvent été le même.
Rwanda: présence onusienne, 800.000 morts. Soudan, Darfour: 300.000 morts. Sud-Soudan: 2 millions de morts. République Démocratique du Congo pratiquement dans l’oubli; quant à la Somalie, les quinze se réunissent sur la question aussi souvent que pour le conflit israélo-palestinien, c’est-à-dire à dose homéopathique une fois par mois. Et le résultat, on le connaît.
Pourtant, s’il est facile de blâmer l’ONU il faut reconnaître que l’institution elle-même n’est pas responsable, par exemple, des réticences de certains Etats à agir —réticences qui ne sont pas toujours sans fondement. Après tout, dans le cas présent de la Libye, rien n’assure qu’une intervention militaire pourra mettre fin au massacre, comme l’a admis Nawaf Salam, le représentant Libanais à l’ONU. Même chose pour la Côte d’Ivoire.
L’ONU n’a pas changé ses règles depuis sa création, et le Conseil de sécurité agit toujours selon des principes arrêtés en 1945, quand la communauté internationale voulait empêcher l’apparition d’un nouvel Hitler.
Aujourd’hui, on parle d’intervenir au sein même de pays, dans leurs affaires intérieures. On parle d’utiliser le principe de responsabilité de protéger, le principe d’ingérence humanitaire. Mais ce principe ne peut pas passer devant les intérêts nationaux. C’est un cercle vicieux. Les échecs onusiens ne sont en fait que le reflet des intérêts de chacun. Le manque d’action et de décision est à mettre sur le compte des Etats, pas sur le compte d’une institution qui, tant qu’elle ne se sera pas réformée, ne pourra de toute manière pas gérer le monde actuel. La Libye et la Côte d’Ivoire ne sont que les derniers exemples des multiples remises en cause des Nations Unies.
En 1960, le président français de l'époque, Charles de Gaulle, avait appelé l’ONU «ce machin». Le «machin» n’a pas changé, et ses compétences restent toujours à prouver.
Camille Biet