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Alassane Ouattara entouré de ses pairs ouest-africains, mars 2012. ©REUTERS/Thierry Gouegnon
Alassane Ouattara entouré de ses pairs ouest-africains, mars 2012. ©REUTERS/Thierry Gouegnon

Côte d’Ivoire: le grand retour sur la scène internationale

Pour le politologue Christian Bouquet, la Côte d’Ivoire amorce un retour prometteur sur la scène internationale, un an après la chute de Laurent Gbagbo.

L’agitation chronique qui caractérise la géographie politique africaine ramène inévitablement au premier plan des cas de figure déjà vus il n’y a pas si longtemps. Ainsi, les sanctions prises par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour faire plier la junte malienne étaient-elles directement inspirées de celles qui avaient fini par vaincre Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, pour permettre à Alassane Ouattara d’occuper enfin la fonction pour laquelle il avait été élu. Le chef de l’Etat ivoirien étant devenu depuis président de la Cédéao, on mesure mieux sa bonne connaissance du processus de médiation, et son attachement à une résolution rapide du conflit. Il n’est pas sûr, néanmoins, qu’il obtienne satisfaction. Car, la situation est autrement plus complexe. Et il devra se souvenir que la partition de son propre pays avait duré cinq ans.

Mais, chez lui en Côte d’Ivoire, justement, toutes les plaies nées de la crise postélectorale sont-elles cicatrisées? Pour qui a encore en mémoire les images violentes et meurtrières de ce mois d’avril 2011 —beaucoup d’Ivoiriens ne les ont pas oubliées— on a l’impression que tout est rentré dans l’ordre, voire qu’il ne s’est rien passé. Abidjan et les principales villes du pays ont été nettoyées, parfois au bulldozer, et elles restent propres; la «Sorbonne» et la rue Princesse ont été rasées, de même que la plupart des constructions illégales; le campus de Cocody a été débarrassé de tout ce qui n’était pas universitaire, au sens architectural et intellectuel du terme; et la capitale économique s’est parée de milliers d’ampoules lors des illuminations de Noël, offrant pendant plusieurs semaines aux Ivoiriens un spectacle digne des Champs-Elysées, censé leur faire oublier les heures sombres de l’année 2011.

Respect du calendrier électoral

En douze mois à peine (car il n’a été réellement investi que le 21 mai 2011), Alassane Ouattara semble donc être allé vite pour remettre le pays sur les rails. Politiquement, il a respecté le calendrier des élections législatives, qui se sont tenues dans le calme le 11 décembre 2011. Certes, le Front populaire ivoirien (FPI, parti de l’ancien chef de l’Etat) s’est obstiné dans sa décision de les boycotter, en exigeant rien moins qu’une sorte d’amnistie pour les responsables des exactions, y compris pour Laurent Gbagbo, ce qui inscrivait de facto l’impunité dans son programme. Au moment où la Côte d’Ivoire tentait de reconstruire un Etat de droit, la posture était pour le moins maladroite, et les deux partis vainqueurs de la présidentielle (le RDR de Ouattara et le PDCI de Bédié) en ont profité pour se partager les circonscriptions «gbagbistes». Largement majoritaire, le RDR risque d’être tenté par un hégémonisme qu’aucune opposition ne viendrait contester, mais le climat politique général s’est apaisé.

Une autre promesse du nouveau chef de l’Etat a été —tardivement— tenue: la Primature a été confiée à un membre du PDCI. A l’issue d’une période transitoire justifiée par son autorité, réelle ou supposée, sur les chefs de l’ex-rébellion, Guillaume Soro a quitté son poste de Premier ministre au profit de l’ex-Garde des Sceaux Jeannot Ahoussou Kouadio. Nul n’a osé évoquer la symbolique du «guerrier» remplacé par le «juge», sans doute parce que l’image serait prématurée, mais il n’est pas interdit d’y voir un signe positif. Les Ivoiriens aimeraient beaucoup…

Grâce à une interprétation habile de l’Accord de Pretoria (qui rendait éligibles tous les signataires de l’Accord de Marcoussis), Guillaume Soro a pu accéder à la présidence de la nouvelle Assemblée nationale sans avoir les quarante ans requis. Il va devoir entreprendre l’énorme chantier législatif laissé à l’abandon depuis dix ans, en inventant un mode de dialogue extra-parlementaire rendu nécessaire par l’absence du principal parti d’opposition. Mais, celui-ci va avoir l’occasion de renaître lors des prochaines élections régionales, qui vont d’ailleurs constituer un test intéressant, dans la mesure où le territoire ivoirien a été sérieusement redécoupé: on ne votera plus qu’au niveau des 30 régions (et deux districts) au lieu des 95 départements du précédent découpage, et dans 197 communes au lieu des 1323 de la période Gbagbo. La démocratie prébendière aurait-elle vécu?

Un tissu économique prometteur

Mais, c’est surtout le redécollage rapide de l’économie qui a permis à la Côte d’Ivoire de ne pas balbutier et d'opérer son retour à la normale. S’il est vrai que les ressources du pays (cacao, pétrole) bénéficient d’une force d’inertie qui résiste aux crises, le tissu économique était également suffisamment solide, notamment du fait de la présence de quelques grandes multinationales, pour faire le dos rond et attendre des jours meilleurs. Ceux-ci se profilent aujourd’hui: après avoir été particulièrement réactive dans les semaines qui ont suivi la chute de Gbagbo, la communauté internationale s’apprête à valider l’achèvement du processus Pays pauvres très endettés (PPTE) qui rapportera plus de 5 milliards de dollars au titre de la remise de dettes. Concernée pour près de 2,6 milliards d’euros, la France travaille déjà activement au fameux C2D (Contrat Désendettement Développement) qui devrait, sur quinze ans, trouver des applications concrètes dans le pays.

Mais ces douze mois n’ont pas suffi pour régler tous les problèmes, notamment ceux qui préoccupent lourdement l’ensemble de la population ivoirienne, c’est-à-dire d’abord le retour de la sécurité dans les villes et dans les campagnes. Le mélange des genres, qui s’est installé au moment où des hommes armés favorables à Alassane Ouattara ont commencé à descendre vers le sud en mars 2011 pour lui permettre d’accéder au pouvoir, a perduré et il est difficile de distinguer  les vrais soldats des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) des faux, car l’uniforme n’a jamais si bien porté son nom. Petits délits et exactions graves entretiennent un climat d’insécurité qui peut très vite (re)tourner à la stigmatisation ethnique, dans la mesure où les «faux FRCI» sont généralement catalogués comme originaires du nord. Remettre l’armée d’équerre reste donc en tête de l’ordre du jour.

Et, tout naturellement, les yeux se tournent vers les anciens chefs rebelles, les fameux «comzones» (commandants de zone), qui ont tenu le nord du pays pendant cinq ans et ont conservé de cette période de non-droit quelques habitudes dont il est difficile de se déprendre. Et qui ont aussi quelques dossiers plus ou moins noirs sur les étagères de la justice internationale. Or, depuis un an, seul Laurent Gbagbo a été transféré à La Haye et ses partisans, particulièrement véhéments surtout au sein des diasporas, ne cessent d’interpeller les nouvelles autorités ivoiriennes en agitant ostensiblement le slogan de la «justice des vainqueurs». Certes, ils ont parfois tendance à faire prendre les bourreaux d’hier pour les victimes d’aujourd’hui, mais Alassane Ouattara ne pourra éternellement laisser ce problème en suspens.

L'urgence de la réconciliation

Pour l’heure, il dispose d’un parapluie appelé «réconciliation nationale», au nom duquel on peut temporiser et, dans ce registre, Charles Konan Banny qui préside la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation, dispose du savoir-faire et de la rondeur appropriés. Mais donner du temps au temps est une méthode qui a des limites, et qui ne convient pas forcément aux jeunes générations, notamment parce que celles-ci ont du mal à trouver leur place, non seulement sur le marché de l’emploi —ce sera l’enjeu majeur de la mandature— mais aussi dans le renouvellement de la classe politique.

Douze mois, c’est effectivement un peu court pour reconstruire la «cohésion nationale». Car, celle-ci a été fortement démembrée par l’«ivoirité» et l’instrumentalisation des différences. La ligne politique d’Alassane Ouattara va donc devoir se caler sur cet objectif, et s’attacher à traiter les problèmes en ne le perdant jamais de vue. Dans ce domaine, la réforme foncière demeure potentiellement la principale pierre d’achoppement. Le statut de la terre sur laquelle vivent et travaillent les Ivoiriens n’a pas été clarifié, alors que des centaines (des milliers?) de personnes ont été tuées depuis près de vingt ans à cause de ce vide juridique. Une partie importante de l’équilibre social du pays se jouera ici.

Quelques chantiers déterminants vont donc occuper les années qui restent avant la prochaine élection présidentielle (octobre 2015). Autant dire que le temps est compté. Il reste à savoir si Alassane Ouattara disposera non seulement de ce temps mais également des moyens (matériels, humains et surtout politiques) de les conduire à terme, sachant que la situation de ses voisins ouest-africains requiert de plus en plus ses compétences et son énergie.

Car, ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir, un an après, l’homme qui était reclus à l’hôtel du Golf d’Abidjan, protégé par les chars de l’Onuci et de la Force Licorne, apparaître aujourd’hui comme le médiateur respecté de l’une des plus graves crises traversées par le continent africain. Le retour de la Côte d’Ivoire sur la scène internationale est une bonne nouvelle. Est-elle —déjà— assez  solide pour jouer le rôle qu’on attend d’elle?

Christian Bouquet

Professeur de géographie politique à l’Université Bordeaux 3. Auteur de Géopolitique de la Côte d’Ivoire, Armand Colin, 2008.

 

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Christian Bouquet

Professeur de géographie politique à l’Université Bordeaux 3. Auteur de Géopolitique de la Côte d’Ivoire, Armand Colin, 2008.

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