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Maliens originaires du nord, lors d'un meeting au Palais des Congrès à Bamako, 4 avril 2012REUTERS/Luc Gnago
Maliens originaires du nord, lors d'un meeting au Palais des Congrès à Bamako, 4 avril 2012REUTERS/Luc Gnago

Bamako rêve d'en découdre avec l'ennemi

Dans la capitale, la junte s’attarde au pouvoir tandis que la jeunesse malienne s’impatiente. Elle veut en découdre avec l’ennemi et réclame de l’aide, toute aide. S’il le faut, ce sera celle de la France. Reportage

Mise à jour du 7 avril 2012:  La junte militaire au Mali s'est engagée le 6 avril soir à remettre le pouvoir aux civils dans le cadre d'un accord avec la Cédao, qui a menacé de recourir à la force pour préserver "l'intégrité territoriale" du pays après la déclaration d'indépendance du territoire de l'"Azawad", au Nord, par un mouvement de la rebellion touareg.

"Nous sommes parvenus à un accord, accord qui permettra dans les heures et les jours à venir de mettre effectivement en place les organes prévus par la Constitution et qui fonctionneront de manière régulière", a annoncé à la télévision publique ORTM le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibrill Bassolè, au nom de la la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao).

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Le Mali est au bord de la partition, mis au ban de la communauté internationale. Mais au camp militaire Soundiata Keïta de Kati, à 15km de Bamako, l'ambiance est on ne peut plus détendue.

Les journalistes qui étaient menacés de mort et malmenés dans les rues de la capitale les jours précédents sont accueillis avec le sourire. On peut entendre des blagues graveleuses et des questions de relations internationales simplifiées à l'extrême telles que: «Les Français sont-ils bons?» Toute distance prise avec le président français est fortement appréciée.

Autour du bâtiment où reçoit le capitaine Amadou Aya Sanogo, président autoproclamé du Comité National pour le redressement de la Démocratie et la restauration de l'Etat (CNRDRE), on fume, on se tape dans la main, on plaisante et l'on porte fièrement l'uniforme que d'autres militaires, en pleine débandade dans le Nord, ont dû cacher pour s'enfuir. Certains arborent sur la poitrine un badge à l'effigie du capitaine Sanogo. A l'étage, son portrait encadré décore un mur de son bureau: «SEE le capitaine Amadou Aya Sanogo. Président du CNRDRE. Chef de l'Etat.»

Une alliance entre junte et société civile?

Quelques journalistes patientent en espérant obtenir une interview du chef la junte. «Comment épelez-vous "Cédéao"?», demande en anglais à des collègues un reporter chinois pendant qu'un militaire lui fait signe de s'éloigner de la mitrailleuse posée au sol.

L'emploi du temps du capitaine Sanogo semble chargé. On voit passer dans le bâtiment le président du Haut Conseil Islamique accompagné de l'archevêque de Bamako. Puis le visage fermé de l'ancienne ministre de la Culture Aminata Dramane Traoré, qui n'en est pas à sa première visite aux putschistes.

Jeudi devait se tenir une Convention nationale. Le CNRDRE annoncera finalement dans la journée son «report». «Les différentes parties souhaitent une meilleure préparation matérielle de la rencontre dans une démarche participative qui puisse rassembler l’ensemble des forces vives du Mali», annonce le communiqué de la junte.

«C'est faux», réagit Mohamed Diallo, chargé de communication de l'Union pour la démocratie et le développement, parti membre du Front uni pour la sauvegarde de la Démocratie et de la République (FDR), qui rassemble les principales formations politiques, opposées à la junte. «Nous ne participerons à aucune convention nationale. Nous voulons l'application simple du retour à l'ordre constitutionnel.»

Pendant que la junte cherche des marges de manœuvre de plus en plus minces, la situation au nord empire. Le 3 avril le CNRDRE s'est fait l'écho «de graves violations des droits de l’homme après l’invasion des combattants MNLA, Ansar Dine et Aqmi» en évoquant des viols à Gao.

En fin d'après-midi au Centre international de conférence de Bamako (CICB) des centaines de personnes se sont réunies à l'appel du Collectif des ressortissants du Nord. Majoritairement des noirs, à l'image de la démographie de ces régions.

Des jeunes, impuissants, incapables de venir en aide à leurs familles, sont à bout de nerfs.  

«Cette réunion n'a pas d'importance, ce ne sont que des idéaux et des plans de sortie qui ne vont pas avancer!, s'époumone un jeune à l'entrée du CICB, attirant l'attention de la foule. On est fatigué de marcher! On a tout fait! Si nous ne sommes pas protégés nous allons nous protéger nous-même c'est tout! Nous demandons des armes pour aller combattre même si nous devons mourir là-bas! On est prêt à mourir! On ne va pas laisser notre terre. Qui va venir à notre secours? La jeunesse du Mali levez-vous pour libérer notre pays!»

Ressentiment anti-français

Au milieu de ces SOS la France n'est jamais loin. Le pays qui a fait la guerre à Kadhafi, adoré au Mali, déçoit, énerve.

«J'ai l'impression que seuls les gens du MNLA ont la parole dans les médias français. Je ne sais pas pourquoi. Si c'est fait exprès par les Français ou bien si c'est parce que nous n'avons pas des gens là-bas qui nous représentent et qui peuvent les contredire», s'interroge poliment Dicko, étudiant.

D'autres expriment leurs sentiments à l'égard de l'ancienne colonie de façon plus radicale, quoique confuse. «A bas la France», lit-on sur la pancarte d'Amadou Maïga.  

«Je juge que c'est la France qui est derrière tout ça. La France a demandé à ce que tous les Français quittent notre territoire, ça montre qu'on ne peut pas faire confiance en la France. Ce n'est pas le moment de nous laisser. Aujourd'hui on a besoin de leur soutien. Mais si c'est dans le malheur qu'ils nous abandonnent... je ne sais même pas comment m'exprimer. A tous les hommes de bonne volonté venez à notre aide», termine-t-il sous les hourras des visiteurs.

Le Quai d'Orsay a demandé le 30 mars à ses ressortissants de quitter le pays et a fermé le lycée français de la capitale. Coopérants et travailleurs humanitaires européens quittent le pays au fur et à mesure. Certains rentrent en France, d'autres vont patienter dans les pays africains voisins, sans être certains de pouvoir revoir le Mali prochainement.

Tout le monde veut parler. Au tour de Youssouf Guindo, commerçant à Gao et musulman comme l'écrasante majorité des Maliens. L'application de la charia voulue par Ansar Dine a peu d'avenir au Mali, estime-t-il. «Nous sommes un pays laïc, on n'a pas besoin de la charia. On est libre de nos esprits, de nos prières. S'ils veulent la charia ils n'ont qu'à appliquer ça là où ils veulent mais pas au Mali»

Même des Maliens du Sud se sont joints au rassemblement. «Aujourd'hui tout le Mali est de Gao, de Tombouctou, de Tessalit», témoigne un habitant de Kayes. «Ils sont venus nous trouver sur notre terre», explique-t-il en parlant des Touaregs. «Qu'ils aillent chercher leur indépendance d'où ils sont venus!».

Fabien Offner

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Fabien Offner

Fabien Offner. Journaliste français, spécialiste de l'Afrique de l'ouest. Il est basé à Bamako.

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