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Le Premier ministre Hamadi Jebali et le leader d'Ennahda Rached Ghannouchi à Tunis, le 28 octobre 2011. REUTERS/Zoubeir Souissi
Le Premier ministre Hamadi Jebali et le leader d'Ennahda Rached Ghannouchi à Tunis, le 28 octobre 2011. REUTERS/Zoubeir Souissi

Pourquoi Ennahda inquiète les Tunisiens

Plus d'un an après leur révolution, les Tunisiens considèrent avec circonspection les cent jours passés au pouvoir du parti islamiste.

Mise à jour du 9 avril: La commémoration de la "journée des martyrs" en Tunisie a tourné à la violence lundi dans le centre de Tunis, les policiers chassant sous une pluie de lacrymogènes des manifestants qui voulaient défiler sur la symbolique avenue Bourguiba interdite aux rassemblements.

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Loin de l'euphorie du printemps révolutionnaire, la Tunisie regarde s'achever le premier trimestre de l'année 2012 avec plus d'inquiétude que d'espoir. Plus de trois mois après les élections démocratiques d'octobre 2011, au sein d'un gouvernement provisoire de coalition, le mouvement majoritaire et dominant, Ennahda, tire le bilan des cent premiers jours en politique.

«C'est vrai, nous avons besoin de mettre en relief le bilan des réalisations. Et la célébration des cent jours au pouvoir est une tradition dans les démocraties stables», confiait à Slate Afrique un membre du bureau politique d'Ennahda.

«De pire en pire»

Pour la population comme pour les élus, ce début d'année s'est avéré particulièrement éprouvant. Au détriment des urgences économiques et sociales, l'attention générale s'est portée sur des questions politiques et identitaires dans un climat de tension. Une réalité visible qui, une fois de plus, met en péril la saison touristique, le moteur principal de l'économie tunisienne.

«S'il s'agit d'un anniversaire politique, il faut leur annoncer qu'il n'y aura pas de gâteaux, pas de bougies, et que les Tunisiens luttent toujours pour des miettes», ironise Sofiane, Tunisois de 32 ans, sans emploi.

Car pour ses premiers pas politiques passés «dans la douleur», selon le ministre des Droits de l'homme et porte-parole du gouvernement, Samir Dilou, le parti Ennahda n'est pas parvenu à inverser les mauvaises tendances post-révolutionnaires. Plus d'un an après les soulèvements populaires de décembre 2010, la situation économique et sociale demeure toujours aussi préoccupante.

Dans la continuité du gouvernement de transition, les mesures d'urgences tardent à venir. Sur la question de l'emploi, malgré les récentes promesses de recrutement, le taux de chômage continue de croître, dépassant au premier trimestre les 19% de la population. Au quotidien, les prix des étals des marchés, de l'essence ou encore du ciment ont été multipliés par trois:

«C'est de pire en pire. Dans les magasins les prix grimpent régulièrement depuis l'été dernier. Au marché il faut lutter, alors même qu'on entend que les oranges maltaises ne se sont jamais aussi bien exportées. Et les premiers touristes qui ne sont toujours pas là», s'inquiète Karim, réceptionniste à Hammamet.

Un programme d'urgence au bout de 100 jours

Afin de se prémunir des critiques sur ses premiers résultats, le gouvernement a accéléré fin mars son calendrier. En quelques semaines, le Premier ministre Hamadi Jebali a annoncé la tenue d'élections pour les présidentielles et législatives prévues en début d'année 2013 et présenté le 3 avril 2012 le programme économique du gouvernement pour les mois à venir.

En s'appuyant sur une prévision de croissance de 3,5%, le Premier ministre a proposé un «programme ambitieux», qui consacrera un milliard de dinars (près de 500 millions d'euros) au développement régional.

Mais cette première feuille de route est jugée «tardive» ou «trop loin de la réalité» par certains observateurs, et il faudra sans doute la réajuster avant d'en appliquer les premières mesures.

«Normalement, dès les premières semaines, un gouvernement met en œuvre son programme. Là ils ont attendu trois mois avant de présenter un projet. Entre l'examen et l'adoption définitive du projet, avec la coupure du ramadan, les Tunisiens ne sont pas prêts de voir les premiers effets», considère Aïcha, universitaire.

Le pain avant l'islam et la démocratie

De plus, et en dehors des urgences économiques et sociales, la population doit désormais faire face aux menaces obscurantistes. Devant les différents débordements des salafistes, pour nombre de Tunisiens, le gouvernement a également manqué de réactivité.

«On peut remarquer les débordements, mais le redressement est en cours, notamment sur le plan sécuritaire», nuançait un membre d'Ennahda.

Les récentes sorties médiatiques de Rached Ghannouchi, le président d'Ennahda, ont in extremis réaffirmé les positions du gouvernement. Sur les braises du salafisme grimpant, le leader d'Ennahda a repris la main en confirmant l'engagement du gouvernement à ne pas inscrire la Charia (la loi islamique) dans le préambule de la Constitution.

Mais de fait, l'omniprésence du président d'Ennahda au cœur de la crise, a fini de porter le doute sur les compétences politiques de certains ministres et sur le véritable rôle du CPR ou de Ettakatol —partis laïcs de gauche— au sein de la Troïka.

«J'ai été étonné que ce soit Rached Ghannouchi qui rassure sur la question de la Chariaa. Il tient non-seulement les rênes de son parti mais il joue aussi le rôle du pompier du gouvernement», analyse Samir, entrepreneur à Tunis et militant de centre-gauche.

Afin de soutenir la présentation du nouveau programme du gouvernement, Rached Ghannouchi a également rencontré le 29 mars les principaux responsables des médias tunisiens. Devant les journalistes, ce dernier a rappelé la nécessité de rétablir au plus vite le calme afin de rassurer les investisseurs et les hommes d'affaires.

Déçus, les Tunisiens s'éloignent-ils de la politique?

Enfin, l'inexpérience politique de certains élus revient souvent dans les critiques des Tunisiens qui parfois regrettent «les technocrates et spécialistes du gouvernement de transition».

De plus, la discordance et la cacophonie des déclarations ministérielles ont fini par lasser nombre d'entre eux qui se détournent progressivement de la politique. De récentes études sociologiques sur l'électorat de la constituante font apparaître un risque d'abstention —55% en 2011— susceptible d'être plus important aux prochaines échéances de 2013.

«Les progrès administratifs vont certes permettre de mieux préparer les élections et de toucher plus d'électeurs. Mais la participation dépendra d'une part de la capacité des progressistes à mobiliser et rassembler et d'autre part de l'évolution de l'enthousiasme de la révolution qui avait permis à beaucoup de s'intéresser à la politique et d'aller voter», confiait à Slate Afrique, Gilles Van Hamme, chercheur au Laboratoire de dynamique sociale et de recomposition d'espaces (Ladyss) et coordonateur du projet de recherche.

Trois mois après l'investiture du gouvernement, l'enthousiasme des Tunisiens pour la reconstruction politique du pays s'est donc quelque peu estompé.

«Ça va trop vite, de polémiques en polémiques, on n'a même plus le temps de réagir!» lançait un internaute.

Une situation qui peut profiter au parti Ennahda qui semble décidé, après s'être installé au pouvoir, à confirmer sa domination politique et ce, jusqu'à l'élection présidentielle de 2013.

Mehdi Farhat

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Journaliste à SlateAfrique

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