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En attendant le second tour
Les Béninois se sont finalement rendus aux urnes le 13 mars dernier, sans heurts, pour élire leur nouveau président, malgré de nombreux dysfonctionnements dans l'organisation du scrutin.
Les Béninois n’en reviennent pas de s’être finalement rendus aux urnes le 13 mars —et cela sans déplorer le moindre incident.
Des milliers d'électeurs oubliés
En raison de la mauvaise élaboration de la Liste électorale permanente informatisée (Lepi), l’opposition avait organisé des manifestations de protestation à Cotonou pour exiger la correction des insuffisances et autres dysfonctionnements du processus avant le scrutin. En l’occurrence, la prise en compte de centaines de milliers d’électeurs oubliés.
Il aura fallu notamment la médiation des anciens présidents de la République conduite par Emile Derlin Zinsou et Dieudonné Nicéphore Soglo pour trouver un consensus de sortie de crise, avec à la clé le vote le 4 mars par les députés à l’Assemblée nationale d’une loi dérogatoire, accordant un délai supplémentaire de cinq jours à la Commission politique de supervision de la Lepi pour essayer de prendre en compte les citoyens oubliés.
Mais au lieu de cinq, l’enregistrement n’a duré que trois jours, avec des kits d’enregistrement démodés et des agents recenseurs manifestement débordés. Au final, plusieurs centaines de milliers d’électeurs ont été exclus de facto du scrutin. Ce qui a fait craindre le pire.
Prévu pour le 27 février et reporté une deuxième fois au 6 mars, le premier tour du scrutin présidentiel au Bénin s’est donc tenu finalement le 13 mars 2011. Si dans l’ensemble, l’extrême tension qui régnait jusqu’à la veille du scrutin a fait place au calme le jour même, les Béninois sont unanimes à saluer le sursaut patriotique de tous ceux qui n’ont pas pu voter le candidat de leur choix.
La mauvaise organisation du scrutin agace les candidats
La mauvaise préparation du fichier électoral s’est d’ailleurs fait ressentir aussi dans l’organisation du scrutin par la Commission électorale nationale autonome (Cena). Manque de bulletins de vote entraînant des ruptures, retard dans le démarrage du vote, absence de listes d’émargements, déménagements de bureaux de vote, sont quelques-uns des ratés de cette présidentielle. Du jamais vu depuis vingt ans que le Bénin, le «laboratoire de la démocratie» en Afrique, s’est engagé dans la voie du pluralisme démocratique.
Après avoir accompli son devoir civique, le président Boni Yayi a publiquement présenté ses excuses et demandé pardon pour ces erreurs. Mais ses principaux adversaires, eux, n’ont pas digéré ce que beaucoup considèrent comme des faux-fuyants. D’autant plus qu’il est difficile d’identifier ceux qui font les frais de ces erreurs dans les urnes.
Le candidat Abdoulaye Bio Tchané a exprimé ses regrets du fait que «des centaines de milliers de Béninois n’ont pas pu voter à cause de l’incompétence de quelques-uns de nos compatriotes». L’ex-président Dieudonné Nicéphore Soglo n’a pas eu de mot fort pour parler de «désordre» organisé. Et son épouse, l’ex-Première dame Rosine Vieyra Soglo, manifestement hors d’elle, a clamé sa «haine», ajoutant qu’elle n’avait pas mené son combat politique durant toutes ces années pour vivre cet état de chose.
Vers un duel Yayi-Houngbédji
Selon des sources concordantes émanant des états-majors politiques et de la presse, les résultats provisoires donnent le président sortant Boni Yayi, de la coalition des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), en tête, suivi de Me Adrien Houngbédji, de la coalition de l’Union fait la Nation (UN). Grande surprise de cette présidentielle, le mauvais score d’Abdoulaye Bio Tchané (coalition ABT) pourtant très attendu à sa première campagne électorale au Bénin. D’autant plus que même dans sa ville et sa région d’origine, il a été battu par le candidat des FCBE.
Pour Aïchatou Mindaoudou, chef de mission des observateurs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao):
«La mission estime que sur presque toute l’étendue du territoire, le scrutin du 13 mars 2011 s’est globalement déroulé dans des conditions de liberté et une transparence acceptables.»
Pourtant, l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Niger a tenu à souligner:
«Toutefois, la mission a également observé l’insuffisance notoire des bulletins de vote dans certains centres ainsi que les différences dans l’interprétation de certaines règles et procédures du processus.»
Face à la coalition FCBE du président Boni Yayi qui parle d’une victoire dès le premier tour, Me Adrien Houngbédji de l’UN n’a pas tardé à réagir en ces termes:
«Je voudrais attirer l’attention sur le fait qu’à aucun moment, il m’a été signalé qu’un responsable de l’opposition ait été pris en flagrant délit de fraude. Alors que nous pouvons dire qu’un député, qu’un chef d’arrondissement appartenant à la mouvance présidentielle ont été pris en flagrant délit de fraude et arrêté. Résultats sans surprise: nous sommes dans le pays et nous sommes restés majoritaires. La majorité est restée à la majorité.
Et c’est pour cela que depuis quelques heures, une grande manœuvre d’intoxication a commencé par voie de tract, puis à la télévision et la radio, prétendant qu’il n’y aurait pas un deuxième tour d’élection présidentielle…
Eh bien le régime de Yayi Boni aura innové, y compris dans ce domaine puisqu’il est à l’origine des bruits qui courent, qui veulent qu’il n’y ait pas de deuxième tour. Comment cela est-il possible?»
Le second tour promet donc un duel «à mort» entre le président sortant Boni Yayi et Me Adrien Houngbédji, son malheureux adversaire de 2006. Les Béninois qui n’ont pas eu droit à un véritable débat politique ni à une confrontation des projets de société pendant la campagne attendent mieux de l’entre-deux —même si la corruption qui a gangréné le jeu démocratique fait que la majorité des électeurs préfère des liasses de billets aux projets de société.
Une situation qui a fait dire non sans humour à Me Joseph Djogbénou, de la société civile, qu’«il n’y avait plus de billets neufs dans les banques pendant la campagne».
Un débat pour que le «laboratoire de la démocratie» en Afrique le reste
Quelle que soit l’issue de cette présidentielle, le Bénin mérite un grand débat national pour la survie de son label démocratique. Et pour cause, le non-respect des textes et délais légaux a été notoire.
La présidentielle a ainsi eu lieu grâce à un compromis politique consensuel, sans que la Cour constitutionnelle ne rappelle à l’ordre les institutions à charge de l’organisation ni les acteurs politiques à leurs devoirs. L’article 31 de la loi n°2009-10 portant organisation du recensement électoral n’a guère été respecté: il dispose, entre autres, que «la liste électorale permanente informatisée est établie après la correction de la liste électorale informatisée provisoire. Elle est présentée par village ou quartier de ville, par arrondissement, par commune, par circonscription électorale et département…». Au demeurant, elle doit être publiée dans le Journal officiel et même sur Internet.
Autant de choses qui auraient pu faire éviter bien des errements. Les Béninois qui ont ainsi voté sans même connaître la liste électorale ne sont pas fiers aujourd’hui du tournant que prend l’évolution démocratique de leur pays. Dont acte!
Marcus Boni Teiga