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Sensibiliser l'odorat en laboratoire © Eugénie Baccot
Sensibiliser l'odorat en laboratoire © Eugénie Baccot

A l’école africaine des rats démineurs

C’est en Tanzanie que chercheurs et maîtres-rats travaillent au développement de l’odorat de rongeurs pour en faire de véritables nez sensibles aux odeurs de TNT, des experts en déminage.

«Beaucoup de gens pensent que les rats sont néfastes, mais ils sont comme les humains, qu’ils soient bons ou mauvais, cela dépend surtout de ce que l’on leur a appris à faire. Et nous, nous enseignons aux nôtres de bonne choses».

Ces mots du chercheur comportementaliste Alan Poling en disent long sur les efforts qu’il a fallu fournir pour faire accepter le fait qu’un rongeur puisse, au même titre qu’un chien, devenir un allié de l’homme.

Pour la plupart, les rats démineurs ont vu le jour en Tanzanie dans les cages du laboratoire de l’organisation Apopo à l’origine du projet et d’autres ont été achetés aux fermiers des environs, leurs ennemis jurés. Mais, aussi néfastes aux cultures de maïs soient-ils, les rongeurs ne manquent pas d’atouts.

La passion d’un homme pour les rongeurs

C’est en mêlant sa passion pour les rongeurs à son métier d’ingénieur que Bart Weetjens l’homme à l’origine du projet en vînt à s’intéresser aux problèmes des mines antipersonnel et aux conséquences, tout autant humaines que socio-économiques, de leur présence dans les sols.

A la suite de la lecture d’un article sur la capacité des gerbilles à détecter des explosifs publié dans les années 70, Bart fait le pari fou de former des rats à la détection d’explosifs. L’intérêt qu’il a toujours eu pour l’Afrique a fait le reste. C'est tout naturellement sur ce continent qu’il décide de donner vie à son rêve: inculquer à des rongeurs la science du déminage.

Les premiers soutiens venus de Belgique permettent en 1998 la création de l’ONG Apopo. Les recherches commencent aussitôt dans un laboratoire d’Anvers: il s’agit dans un premier temps de trouver un rongeur aux multiples atouts capable de mener à bien cette tâche; le rat géant de Gambie.

Espèce native des régions subsahariennes, les qualités du rat de Gambie sont très nombreuses.

Intelligent et sociable, l’animal s’adapte parfaitement à la présence de l’homme. Son poids plume de 1.5 kilo est trop léger pour activer une mine qui demande environ 5 kg de pression pour exploser. Une fois familiarisé à une odeur spécifique, l’odorat du rongeur se révèle particulièrement fin. Gourmand, il ne rechigne pas à la tâche, il est aussi capable de répéter ce qui lui a été inculqué en échange d’une simple récompense alimentaire.

Elément non négligeable pour les gouvernements des pays minés pris en étau par des contraintes économiques, l’espérance de vie de 6 à 8 ans d’un rat et sa très grande résistance font de l’animal un investissement et une technologie de pointe durable et rentable.


Un museau qui traque les explosifs

L’année 2000 marque un tournant pour l’organisation Apopo et les recherches menées jusque là en Belgique sont assez concluantes pour transférer le centre d’entraînement en Afrique; là où les mines polluent les sols. Une coopération de longue date entre deux universités, celle d’Anvers et celle de Morogoro, en Tanzanie, fait du choix de ce pays est-africain une évidence.

C’est sur le sol africain que les rats débutent leurs entraînement au déminage et s’habituent, pour la première fois, à leur futur lieu de travail. Le soutien de l’armée tanzanienne est alors essentiel et la mise à disposition d’un terrain grand de 24 hectares permet à Apopo de lancer ses premières cessions de formation.

Le raton est âgé d’un mois quand il commence sa formation; en quelques semaines il va affiner son odorat tout en apprenant à travailler sous les ordres de son éducateur. L’acclimatation au bruit, un clic, est une phase clé pour le rat âgé de 6 semaines.

«Le clic permet d’aiguiser son comportement, vous pouvez ainsi lui apprendre à faire ce que vous voulez en échange d’une simple récompense» explique Bart Weetjens.

Le rat intègre ainsi un reflexe pavlovien indispensable: il associe un signal sonore à une récompense, une mixture de banane et de cacahouètes dont il raffole.

L’étape suivante consiste à familiariser l’animal à une odeur toute particulière: la TNT, l’explosif présent dans les mines antipersonnel.

Placé dans une cage ensemencée d’échantillons de terre, le rat défile à la recherche des émanations d’explosifs. Concentré des heures durant, le formateur veille à la moindre réaction de son élève. Au bout de quelques semaines, ce dernier est  fin prêt à partir à la recherche de TNT dans les sols.

Des rats surentraînés et surdiplômés

Une fois la première phase de la formation achevée et le «réflexe» acquis, l’entraînement se poursuit dans un champ. Il est ici question pour l’animal de se mettre en condition sur un terrain truffé de quelques 1.500 mines antipersonnel désactivées et d’extraits de TNT dissimulés dans des boules à thé enfouies dans la terre.

La formation d’un rat est un processus long et complexe: «quand il fait trop humide mes rats ne sont pas très efficaces et quand le champ est mouillé ils donnent beaucoup de fausses indications» explique ainsi Linda dont les élèves s’apprêtent à entrer sur le terrain pour une cession d’entraînement.

Animaux nocturnes, les rongeurs apprennent aussi à travailler dans des conditions de chaleur extrême, la réalité des terrains minés.

Capable de reconnaitre l’odeur des mines devenue familière, l’animal parcourt le terrain. Attaché à un filin qui le relie à son maître, il renifle la terre et, d’un grattement de ses pattes avant, indique la présence d’une odeur suspecte.

Apopo a ainsi entraîné quelques 150 rongeurs à la détection de mines antipersonnel.

La complicité entre homme et rats est essentielle. © Eugénie Baccot

Neuf mois de formation plus tard les maîtres-rats sont prêts pour l’épreuve finale de leurs élèves-ratons. Les examinateurs relèvent la température et le taux d’humidité, le moindre détail qui peut influer sur le comportement des rongeurs est pris en compte.

«Le rat est accroché au bout d'une perche sur un carré de terrain de 3 ou 5m et personne ne sait où se trouvent les explosifs, c'est un test à l'aveugle et seul l'ordinateur détient les informations sur la localisation des mines».

Pour devenir démineur, les animaux doivent faire un parcours sans fautes.

En plus de ce test imposé par l’ONG, chaque rat doit obtenir une accréditation répondant aux normes internationales de l’action contre les mines définies par l’ONU et c’est seulement une fois ces deux diplômes en poche que les rongeurs peuvent officiellement porter le titre de rats démineurs. Ces derniers sont fins prêts à prendre la route pour des contrées minées encore méconnues où ils sont attendus par les équipes d’Apopo, au Mozambique, en Thaïlande et depuis 2012 en Angola.

Une technologie animalière du futur

Convaincre les bailleurs de fonds et la communauté scientifique que la collaboration avec de tels animaux pour la recherche de mines n’est pas une utopie n’a pas été facile.

«L’utilisation de rats démineurs est une nouvelle technologie et au début aucune organisation ne voulait se placer dans une situation de hauts risques» explique Christopher Cox, le chef de la direction d’Apopo.

Mais les soutiens n’ont, depuis le début des opérations jamais manqué, ainsi entre la Banque Mondiale, le Centre International de Déminage Humanitaire de Genève, le gouvernement norvégien et le programme des Nations Unies pour le développement, la liste des partenaires est longue. Surtout, les résultats obtenus au Mozambique sont particulièrement convaincants.

Fort de son succès Apopo a poursuivi ses recherches pour éduquer le rat à d’autres fins. Ainsi depuis 2010 des rongeurs sont formés à la détection de la tuberculose. Entrainé selon la même méthode que celle utilisée pour la TNT, un rat est capable de détecter en «reniflant» la maladie faisant dans le monde quelques 1,7 million de victimes par an. D’une rapidité sans égale, un museau formé à cet effet peut sentir 40 échantillons de salive en 7 minutes soit l’équivalent d’une journée de travail entière pour un laborantin et son microscope.

Dernier programme en gestation depuis en 2011, l’ONG a lancé des recherches sur une demi douzaine de rongeurs pour en faire des «camerats». Dotés d’une petite caméra et entrainés à la recherche d’êtres humains, ces derniers seront mobilisables lors de missions de sauvetage d’urgence.

Eugénie Baccot

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Eugénie Baccot

Journaliste et photographe française spécialiste de l'Afrique et des questions de société.

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