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Libye: Que cache Abdallah al-Senoussi, l'âme damnée de Kadhafi?
Arrêté en Mauritanie le 18 mars, Abdallah al-Senoussi pourrait prochainement être extradé en Libye. L’ancien chef des renseignements pourrait détenir de nombreux secrets compromettants, notamment pour les autorités françaises.
Le flou règne encore autour du futur d’Abdallah al-Senoussi. Aussi bien la Libye que la France et la Cour Pénale Internationale ont réclamé son extradition aux autorités mauritaniennes.
L’ancienne âme damnée du colonel Kadhafi fait l'objet d'un mandat d'arrêt international à la suite de sa condamnation par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité dans l'affaire de l'attentat terroriste du 19 septembre 1989 contre le vol UTA 772 qui a coûté la vie à 170 personnes, dont 54 Français. Des sources mauritaniennes affirment que la France avait déjà conclu un accord sur son extradition avant qu'il ait été arrêté.
De son côté, la CPI l’accuse d’avoir commis «des meurtres et des persécutions de civils constitutifs de crimes contre l'humanité». Enfin, les autorités libyennes le veulent afin d’organiser un procès en Libye et non à La Haye. Senoussi est en effet soupçonné, notamment, d’être derrière le massacre de la prison d'Abou Selim à Tripoli, où plus de 1.000 prisonniers avaient été tués dans une fusillade en 1996.
Bras droit de Mouammar Kadhafi
«Nous avons obtenu l'accord de la Mauritanie de livrer Senoussi à la Libye où il jouira d'un jugement équitable. Aucune date n'a été définie pour cela, mais ce sera très prochainement», a déclaré, à Nouakchott, Nasser al-Manaa, conseiller et porte-parole du gouvernement libyen, avant d’être démenti par les autorités mauritaniennes.
Si Abdallah al-Senoussi est aussi demandé, c’est surtout parce qu’il fut longtemps considéré comme le véritable bras droit de Mouammar Kadhafi. Beau-frère du colonel et patron des services spéciaux libyens, il détient tous les secrets du règne de Mouammar Kadhafi, y compris les preuves éventuelles de compromissions des gouvernements occidentaux.
Malgré son passé terroriste, Abdallah al-Senoussi était l’interlocuteur privilégié des entreprises et gouvernements occidentaux à l’époque où la France, notamment, considérait que, malgré ses erreurs, le colonel Kadhafi avait droit au rachat. Dans son livre Armes de corruption massive, le journaliste Jean Guisnel montre qu’Abdallah al-Senoussi était la personne chargée de négocier les contrats d’armements, notamment le contrat de rénovation des Mirage F-1 libyens, lequel s’élève au total à 117 millions, avec le général Bernard Norlain, PDG de la SOFEMA.
Principal interlocuteur de Takieddine?
Abdallah al-Senoussi aurait également été le principal interlocuteur de l’homme d’affaires Ziad Takieddine. L'expertise du répertoire du téléphone portable de M. Takieddine, saisi par la police lors d'une perquisition à son domicile parisien le 10 juin 2010, ferait apparaître selon Mediapart le nom d'Abdallah Senoussi aux côtés entre autres de Claude Guéant, Brice et Valérie Hortefeux, Thierry Gaubert, etc.
Selon le livre L'espion du Président d’Olivia Recasens et Christophe Labbé du Point et Didier Hassoux du Canard enchaîné, c’est cette proximité avec Abdallah Senoussi qui a permis à Ziad Takieddine d’œuvrer aux côtés de Claude Guéant pour le rapprochement entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi dès 2005. Dans Le Contrat, Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme racontent que les bonnes relations entre Takieddine et Senoussi ont permis de faire avancer le dossier des infirmières bulgares.
«Moi, je connaissais Moussa Koussa, à l'époque chef des services de sécurité et aujourd'hui ministre des Affaires étrangères du régime libyen, que j'avais rencontré à ce sujet juste avant l'investiture de Nicolas Sarkozy. Mais Ziad Takieddine connaissait visiblement d'autres personnes dans l'entourage de Kadhafi, et il nous a aidés», explique Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, aux auteurs qui ajoutent qu’Abdallah al-Senoussi faisait partie de ces «autres personnes».
Al Senoussi, une monnaie d'échange
En échange, les autorités libyennes souhaitaient obtenir la fin des poursuites judiciaires à l’encontre du beau-frère de Mouammar Kadhafi.
Plusieurs documents montrent que de nombreuses pressions ont été exercées afin de faire plier le procureur général. Lors des négociations sur l'indemnisation des familles des victimes de l'attentat en 2003, victimes auxquelles Boris Boillon, à l’époque conseiller diplomatique à l'Elysée et à présent ambassadeur de France en Tunisie, avait demandé en décembre 2007 de «tourner la page».
«Un des représentants de Senoussi était présent à la table des négociations dans l'espoir que l'on puisse lever le mandat d'arrêt», raconte Guillaume Denoix-de-Saint-Marc, animateur de l'association des familles et signataire du protocole d'accord au début de l’année 2004, «(…) En réalité, M. Senoussi espérait la tenue d'un nouveau procès, au cours duquel il aurait été représenté par un avocat» ajoute-il.
Avocat qui aurait pu être Thierry Herzog, ami personnel de Nicolas Sarkozy (et à présent avocat du Président de la République), contacté par un cabinet d'avocats libyens pour analyser les possibilités de recours d'Abdallah Senoussi, d’après un document publié par Mediapart. La France n’a toutefois a priori pas cédé sur la question de son amnistie arrivée dans les négociations.
Dans son documentaire Traqués, Paul Moreira ajoute qu’Abdallah al-Senoussi, en sa qualité de chef du renseignement militaire, était le client d’Amesys, l’entreprise française ayant vendu à Tripoli son système EAGLE de surveillance d’Internet. Les cadres de cette entreprise, ainsi que des officiers de renseignement à la retraite auraient formé du personnel de la sécurité libyens à l’utilisation de ce système en relation directe avec Abdallah al-Senoussi. Celui-ci était donc, aux côtés de Français, l’architecte de cette gigantesque salle d’écoutes de la population découverte à Tripoli par des journalistes du Wall Street Journal.
Avantage à la Libye pour l'extradition
Pour ces raisons, l’extradition éventuelle d’Abdallah al-Senoussi en France permettrait d’en savoir davantage sur l’état des relations entre Paris et Tripoli avant la guerre en Libye. Il faudra donc à tout prix faire la lumière sur les liens unissant Senoussi à certains responsables politiques actuels.
Cependant, il y a à parier qu’Abdallah al-Senoussi ne soit jamais extradé en France. Les demandes d'extradition doivent être examinées par «un tribunal compétent» avant toute décision, explique Brahim Ould Ebettye, un avocat du barreau de Nouakchott. La Mauritanie attendrait la visite d’un responsable du Conseil National de Transition (CNT) afin de se prononcer sur une éventuelle extradition de l’ancien chef des renseignements à destination de la Libye.
La Mauritanie décidera vraisemblablement en suivant des critères politiques, ce qui pourrait favoriser les autorités libyennes. A Tripoli, le pouvoir temporairement en place offrira-t-il à l’âme damnée de Kadhafi un procès équitable et surtout permettant de faire la lumière sur les liens entre l’ancien régime et les puissances occidentales, celles-là même qui ont aidé le CNT à renverser le colonel Kadhafi?
Arnaud Castaignet
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