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Quand la guerre en Libye amène le chaos au Mali
Le coup d’Etat militaire au Mali est un des dommages collatéraux de l’effondrement du régime de Kadhafi, un événement qui a déstabilisé une région sahélienne déjà très fragile.
Mise à jour du 2 avril 2012. La France conseille à ses ressortissants "dont la présence n'est pas indispensable de quitter provisoirement" le Mali, indique le ministère des Affaires étrangères sur son site internet "Conseils aux voyageurs".
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Effet domino au Sahel. La chute du régime de Mouammar Kadhafi sous l’effet conjugué des rebelles libyens et des bombardements de l’Otan a fait une nouvelle victime, le président Amadou Toumani Touré (ATT).
Afflux massif d’armes
Le «coffre-fort» libyen n’a pas été perdu pour tout le monde. Le pays de Kadhafi, riche de ses pétrodollars, était surarmé. La chute du régime et le chaos qui a suivi ont entraîné une prolifération d’armes de guerre dans tout le Sahel. Des combattants touareg ayant soutenu jusqu’au bout le «Roi des roi africains» sont rentrés, armés jusqu’aux dents, dans leur pays respectif, au Niger mais surtout au Mali.
A plusieurs reprises, la sonnette d’alarme a été tirée. Mais que faire dans cette région devenue en grande partie une zone grise échappant à tout contrôle étatique, laissée aux trafiquants en tout genre, aux rebelles touareg et aux islamistes d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi)? Toute intervention militaire occidentale est exclue. L’Algérie ne souhaite guère voir les Occidentaux, notamment les Français, intervenir sur ses frontières méridionales.
Et le Sahara, immense mer de sable, pourrait constituer un nouveau bourbier pour des armées occidentales qui cherchent à se désengager d’Afghanistan. L’armée française, déjà mise à contribution en Libye et en Côte d’Ivoire, ne peut pas intervenir seule, sans raviver des accusations de néo-colonialisme.
Et la présence massive de militaires occidentaux sur ces terres musulmanes pourraient être mise à profit par les islamistes radicaux, pour déclencher une nouvelle «guerre sainte» (jihad) contre les «croisés». Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU ne peuvent que constater leur impuissance.
Dans un rapport publié fin janvier, ils soulignaient «leurs inquiétudes concernant la situation humanitaire et sécuritaire au Sahel», où la prolifération des armes et le retour de 400.000 migrants revenus de Libye «exacerbent des problèmes existants». L’ONU ne cesse d’appeler à une plus grande coopération régionale. Mais celle-ci reste minimale.
Pendant ce temps, les armes légères comme les grenades ou les Kalachnikov, mais aussi les explosifs, les lance-roquettes, les batteries anti-aériennes et peut-être des missiles sol-air circulent sans entrave dans le désert. Et les trafiquants, rebelles et islamistes font leur marché.
La conséquence de ce grand mercato de la terreur ne s’est pas fait attendre. Le nord du Mali s’est embrasé, avec la multiplication depuis le début de l’année des attaques du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et récemment des combattants islamistes de Ançar Dine.
Ils affirment même avoir pris le contrôle de tout le nord-est malien, une zone stratégique au cœur du Sahara, frontalière de l’Algérie et du Niger et proche de la Libye. Si ce n’est pas un sanctuaire, cela y ressemble fort…
En juin dernier, un ex-chef rebelle arabe Mohamed Apta avait été arrêté dans le nord du Niger voisin. Il était à la tête d’un convoi de véhicules transportant 640kg d’explosifs et plus de 430 détonateurs, destinés à être livrés à Aqmi ou à Boko Haram au Nigeria. Mais pour un trafiquant d’armes arrêté, combien circulent encore dans le Sahara?
Combien de temps le régime de Bamako pouvait durer alors que son armée subissait revers sur revers dans le Grand Nord? Dans la nuit de mercredi à jeudi, un porte-parole des putschistes a justifié le coup d’Etat par l’«incapacité» des autorités à «gérer la crise au nord».
Radicalisation islamiste
Cet afflux d’armes dans des pays fragiles, en proie comme le Mali et le Niger à plusieurs rébellions touareg depuis leur indépendance, va de pair avec la radicalisation de groupes armés islamistes dans la région, qui fait craindre une «somalisation» de la zone.
Il y a bien sûr Aqmi qui opère en Algérie, en Mauritanie et au Niger depuis ses bases dans le Nord-Mali. Le mouvement multiplie les enlèvements d’Occidentaux, notamment de Français, et exigent des rançons toujours plus élevés.
Mais une figure emblématique des rébellions touareg est récemment revenue sur le devant de la scène: Iyad Ag Ghaly. Il est à la tête d’un groupe salafiste opérant dans le nord-est malien, Ançar Dine (défenseur de l’Islam en arabe) avec la volonté d’instaurer la charia (loi islamique).
Avec un sens de l’hospitalité tout relatif:
«Quiconque n’est pas d’accord avec nous doit quitter nos terres», affirme-t-il.
Ançar Dine fait penser aux «fous de Dieu» du mouvement islamiste nigérian Boko Haram, qui veulent une application stricte de la charia dans tout le nord du pays le plus peuplé d’Afrique (160 millions d’habitants). En deux ans, ils sont responsables de la mort d’un millier de personnes.
Et, eux-aussi, multiplient les attaques depuis la chute du régime Kadhafi, en établissant des liens opérationnels avec Aqmi dans le Sahel et les Shebab somaliens. Prolifération d’armes de guerre sur fond de radicalisation islamiste, la situation est très inflammable.
Catastrophe humanitaire
Mais ce n’est pas tout. La région entière est au bord d’une crise humanitaire majeure. Si les menaces de famine sont pour l’instant écartées en Somalie, l’inquiétude grandit pour le Sahel. Selon Oxfam, 13 millions de personnes y sont menacées, 5 millions au Niger et plus de 3 millions au Mali.
Comme le souligne l’ONG Action contre la faim, «la violence et le manque de nourriture sont un cocktail explosif» et dans certaines zones la période très sensible de soudure, où les greniers sont vides, a déjà commencé.
De plus, en raison des violences, quelque 200.000 personnes ont dû fuir leur habitation. Ils sont soit déplacés au Mali, soit réfugiés dans les pays voisins, notamment l’Algérie, le Burkina Faso et la Mauritanie. Cette situation dramatique n’a pas eu un grand écho, ni provoqué un grand élan de solidarité.
Pourtant, près de 72.000 personnes déplacées vivent dans des «conditions d’extrême précarité», selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). L’aide humanitaire ne peut pas être correctement délivrée et est même impossible dans de nombreuses zones en raison de l’insécurité.
Ce sont eux les vraies victimes, les otages oubliés d’une crise sécuritaire qui se double, avec le coup d’Etat militaire, d’une crise politique.
Adrien Hart
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