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Campagne électorale d'Abdelaziz Bouteflika à Relizane le 26 mars 2009. Reuters/Zohra Bensemra
Campagne électorale d'Abdelaziz Bouteflika à Relizane le 26 mars 2009. Reuters/Zohra Bensemra

Algérie: les salafistes, ennemis mortels de la Nation

Les islamistes radicaux refusent de reconnaître l'hymne et le drapeau algériens. Un acte de résistance qui symbolise leur rejet de l'Etat-Nation et leur aspiration à un retour au Califat.

En Algérie, le rapport des imams et des salafistes avec l’hymne algérien et le drapeau du pays, ne sont pas «amicaux». Petit rappel d’une guerre des couleurs et d’emblèmes.

Annoncée cette semaine à Alger, une alliance islamiste est née en Algérie, en prévision des élections législatives du 10 mai prochain. Elle est composée de trois partis, dont l’un est un ex allié de Bouteflika, avant le printemps arabe et l’hiver islamiste bien sur.

Le nom du club? «Alliance verte». De la couleur de l’Islam, du paradis, du gazon après la mort et de l’étendard de l’Arabie Saoudite et des Al-Saoud. C’est aussi la couleur de la moitié du drapeau algérien. C’est, enfin, la couleur du premier parti islamiste algérien: le FIS désormais interdit depuis vingt ans.

Cette loi de la Constitution algérienne qui veut que l’on ne peut pas fonder un parti sur une région ou une religion, mais qui ne dit pas qu’il est interdit de fonder un parti sur une couleur ou même une odeur. Le vert est donc la moitié du drapeau algérien et pourtant le drapeau algérien n’est pas aimé par les islamistes et est publiquement détesté par les salafistes.

Faire le Djihad assis

A Oran, il y a quelques semaines: l’autre famille des islamistes algériens s’invitent dans la capitale de l’ouest pour un meeting en prévision du 10 mai date des législatives algériennes. Le leader de cette autre alliance est un dissident du MSP, principal parti islamiste soft, autrefois allié du régime, aujourd’hui disciple de la stratégie «les autres font le printemps, moi je le vole» .

Dans la salle, sous les bonnes paroles de Abdelmajid Menasra, chef de la dissidence islamiste et patron d’un nouveau parti, «le Front du Changement», on pouvait distinguer les ex leaders du Front national du Salut, le FIS, rescapés de la dissolution et de l’anti-terrorisme, aujourd’hui courtisés par tous pour récupérer le vote des salafistes.

Le plus significatif sera cependant dans cette anecdote qui ne sera pas racontée par les journaux: au moment de l’hymne et du salut au drapeau à l’ouverture du meeting, tout le monde se lève, sauf les cheikhs salafistes et les anciens leaders du partis dissous. Cela se passe en 2012, c'est-à-dire même 20 ans après la défaite militaire des djihadistes et de leurs chefs.  

Selon les plus extrémistes des imams algériens et des salafistes nationaux, se lever pour l’hymne national et saluer le drapeau est une «Bidâa»: une innovation. Et dans une religion qui prône le retour aux sources, aux premiers temps utopiques, aux Salafs (traduction de «Ancêtres»), le mot pèse comme synonyme de péché et a le sens fort d’une hérésie.

Islamisme contre nationalisme

Cette dernière décennie, les incidents du genre, avec des imams payés par l’Etat et qui refusent de saluer le drapeau, se sont multipliés, sous le nez même du ministre des Affaires religieuses algérien. Le plus grave incident a eut lieu le 28 juin 2010 à Alger, à la «Maison de l’Imam», sorte d’institution qui chapeaute et forme ce corps religieux. Le Ministre des Affaires religieuses y était présent et a pu voir en direct le soulèvement assis de la majorité des imams présent et qui ont refusé de saluer le drapeau ou de se lever pour l’hymne du pays. L’incident provoquera un grand émoi dans le pays et de très vives réactions.

Le ministre tentera alors la sanction (plusieurs imams seront empêchés de prêcher et traduit devant… un «conseil scientifique» devant qui ils auraient présenté des excuses!) et une campagne d’explication: l'imam doit allier «amour de l'Islam et amour de la patrie» expliquera le ministre algérien. Nation et Religion sont synonymes.

L’explication restera boiteuse et peu convaincante pour les salafistes et imams ciblés: elle ne peut pas résoudre la grande antinomie de deux familles de concepts qui traversent le monde arabe depuis quelques siècles: la Oumma contre nation, Islam contre nationalisme, drapeau contre iconoclastie profonde des salafistes (images et reliques sont interdites en Islam), géographie confessionnelle contre territoires nationaux, croyances contre Constitutions. Les Algériens retiendront surtout la tiédeur des sanctions à peine symboliques.

«Un acte qui rappelle aussi l’autre fait commis en janvier par des élèves du lycée Okba Ben Nafaâ de Bab El-Oued, qui ont été condamnés par le tribunal de la ville à un an de prison ferme assorti d’une amende de 500.000 DA chacun pour avoir décroché un cadre suspendu dans l’une des classes de leur établissement. Sur ce tableau se trouvait un drapeau national accolé à un texte de l’Hymne national. Deux poids, deux mesures pour un acte presque similaire»

Berriane, l'échec de l'Islam algérien

Du coup, le ministère des Affaires religieuses tentera de mettre en place un Codex algérien. Celui des références de l’Islam algérien sous forme d’un engagement à signer et rendre public et à diffuser partout.

Le but est de faire barrage aux comportements des imams irrespectueux, à l’Islam des satellites et des network  qui vient de l’Arabie Saoudite ou d‘autres foyers idéologiques, et de fixer une orthodoxie nationale avec le Malékisme (nom du rite maghrébin et de l’Imam fondateur de cette école juridique religieuse. Car l’Islam local était mis à mal autant par les salafistes, les wahabites, les islamistes, les satellites que par les communautaristes nouveaux. En témoigne tragiquement l’affaire de Berriane, une ville secondaire près de Ghardaïa aux portes du Sud Algérien.

C’est dans la ville de Berriane que le consensus religieux algérien a éclaté dès 2008, date des premiers incidents entre les communautés mozabite (les ibadites) et arabophone (les malékites). Traduction de certains : entre «arabes» et Mozabites. Depuis deux ans, une violence larvée et cyclique y est vécue par les habitants des deux communautés qui ont vécue, en bon voisinage, pendant des siècles.

Les Algériens regarderont, de loin, avec effarement se mettre en place une vraie guerre obscure avec des actes dignes de pogroms: bus d’enfants Malékites attaquées, exodes des quartiers, séparations de la ville en deux, meurtres à la sortie des mosquées, barrages policiers et check-point…etc. Le régime y tentera des formules qu’il n’a pas jamais utilisés ailleurs: médiations, charte de paix, séparations physiques des habitants…etc. La guerre se jouait sur fond de rivalités économiques, accès aux emplois et aux richesses, mais était «habillée» de rites, religions et pratiques. L’unanimisme de l’Islam algérien y connaitra une fin tragique.

Du coup, il fallait faire vite définir un islam agrée par l’Etat, former des imams à respecter l’Algérie, pas l’Arabie Saoudite, faire barrages aux salafistes et identifier le codex national.Dz. «Ce code» expliquera l’un des responsables au ministère des Affaires religieuses algérien «a été rendu nécessaire par l'ouverture sur le monde et la pénétration en Algérie de plusieurs courants».

«Il s’agit de protéger la société, l'Etat et le cadre lui-même afin de ne pas dévier de la référence nationale», a-t-il précisé.

Ce code, destiné aux imams, sera distribué aux directions des affaires religieuses des wilayas. Il impose également le respect des lois de la République et l'engagement religieux.

«Il insiste également sur le respect du rite malékite et ibadhite qui fait partie de notre histoire et des engagements tels que la lecture du Coran selon la version Ouarch» résumera-t-il aux médias, il y a un an.

Sauf que cela n’a mené à rien. L’islam algérien officiel reste flou, peu convaincant, assimilable à un régime et pas à une histoire, décrédibilisé par son usage politique anesthésiant et doté de peu de moyens de résistance. Que peut en effet un imam payé à 200 euros le mois contre un satellite financé par un Royaume d’Arabie ou une chaine TV soutenu par l’Iran?

Du coup, Manouba c’est aussi l’Algérie. Et si en Tunisie on arrache le drapeau tunisien pour planter celui sinistre et noir des futurs Emirats, en Algérie, on fait de même mais autrement: on ne se lève pas pour l’hymne et on refuse de saluer le drapeau. Et cela semble être un sport de combat depuis que les islamistes sont de retour en premières lignes de conquêtes des urnes.

Mais pourquoi n’aiment-ils pas le drapeau?

Parce qu’il ne s’agit du même pays. Un imam ou un salafiste n’aiment pas le drapeau parce que c’est d’abord un signe presque païen au sein d’une présentation monothéiste rigoriste. Ensuite, c’est le symbole d’un pays alors que les deux, le salafiste et l’imam, croient à la Oumma.

Pour eux, l’Islam est une terre vaste et le pays un détail technique: la capitale ce n’est pas Alger, mais la Mecque. L’appartenance n’est pas à la patrie mais à la croyance. L’histoire ne commence pas à la décolonisation mais à la Révélation il y a 14 siècles. L’hymne est la chanson d’une autre religion que la leur : le nationalisme, le patriotisme, la Libération. Tout cela est «innovation», donc hérésie.   

L’atteinte au drapeau est un crime d'Etat commis par le pouvoir d'abord: en Algérie, même après la mort verticale du FIS, le pouvoir a décidé de tuer les démocrates plutôt que les islamistes qui ont failli le tuer. La raison? Il préfère les Algériens croyants plutôt que les citoyens. D'où, à la fin, une indécision de fond: faut-il se lever devant un hymne ou se prosterner devant Allah?

Mais si des imams ont cru bon de prouver à Dieu qu'ils le préfèrent à un hymne, c'est parce que dans leurs têtes et dans la tête de millions d'Algériens et même «d'Arabes», la notion d'Etat, de pays, de territoire ou de nationalisme sont des notions faibles, affaiblies et presque dissoutes. Même le pouvoir ne croit pas en eux. Ce qui reste et persiste parce que non dissolus par l'histoire des décolonisations, c'est le califat.

Conclusion? Dans ce pays, on peut encore trouver des imams qui refusent de construire le plus grand pays d'Afrique, cela n'empêchera pas Bouteflika de leur faire les yeux doux en lançant le chantier de la plus grande mosquée du continent.

Kamel Daoud

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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