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Guerre d'Algérie: Paris et Alger se voilent la face
La presse algérienne critique la frilosité avec laquelle est commémorée, en France comme en Algérie, la fin de la guerre entre les deux pays.
Il y a 50 ans, jour pour jour, la fin d’une tragédie franco-algérienne. Le 19 mars 1962, est proclamé le cessez-le-feu qui met fin à huit années de guerre. Guerre de libération pour les uns, évènements d’Algérie pour les autres. La signature des accords d’Evian négociée entre Louis Joxe et la délégation algérienne conduite par Krim Belkacem, vient mettre un terme à la guerre la plus marquante de l’histoire contemporaine française et algérienne.
Un demi-siècle n’aura pourtant pas suffi à apaiser les conflits de mémoires et les polémiques autour de cette guerre coloniale. Pour preuve, la timidité des commémorations ce 19 mars 2012. Marc Laffineur, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants auprès du ministre de la Défense a, dans un communiqué rendu public le 16 mars, confirmé que l’Etat français n’organisera aucune commémoration nationale. «C’était prévisible», note le quotidien algérien El Watan avant d’ajouter que le président Nicolas Sarkozy a cédé au lobby des rapatriés, à un mois du premier tour de l’élection présidentielle.
Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie court-circuite la dernière ligne droite de la campagne présidentielle. Ce qui ne pousse pas forcément aux prises de positions courageuses de la part des présidentiables. Leur but n’est pas de diviser mais de rassembler les Français. Or, la guerre d’Algérie scinde ses acteurs. Les conflits de mémoires sont encore à vif.
Une histoire qui divise toujours
«Il y a encore trop de sujets qui fâchent entre Alger et Paris. Vingt lignes: c'est la longueur de la notice consacrée à la fin de la guerre d'Algérie au titre des commémorations nationales, sur le site des Archives de France, une discrétion qui illustre la volonté de Paris, mais aussi d'Alger, d'éviter toute polémique sur le sujet», remarque le site Dernières Nouvelles d’Algérie.
La polémique, le candidat socialiste François Hollande la rejette et appelle, dans les colonnes d’El Watan, à l’avènement «d’un regard lucide» sur cette histoire:
«Nous le devons à nos aînés pour que leur mémoire soit enfin apaisée. Nous le devons à notre jeunesse, car le travail de la mémoire ne vaut que s’il est aussi une promesse d’avenir», écrit le leader socialiste français.
Côté algérien, le 19 mars 1962 est une date quasi-oubliée, noyée dans les méandres du mythe de la libération par les armes contre le colon français. Les accords d’Evian ont tout simplement été évincés des manuels scolaires et de la mémoire collective algérienne. «Une histoire que personne ne raconte à personne», écrit Kamel Daoud, dans une chronique dans le Quotidien d’Oran.
Or, ces accords furent le point de départ de l’Algérie indépendante. La fin de la guerre mit un terme à l’entreprise coloniale de la France, à 132 ans d’occupation du territoire algérien.
Il y a cinquante ans, naissait l’Algérie, tient à préciser le quotidien DNA avant de s’offusquer du déni des autorités algériennes:
«La journée du 19 mars n’est pas fériée. Elle n’est même pas une fête nationale. C’est à peine si elle est consacrée(...) Doit-on aujourd’hui penser l’Algérie avec ou contre la France? 50 ans après notre indépendance, on se retrouve face à ce dilemme. Un terrible paradoxe auquel la classe dirigeante algérienne n’a pu apporter de réponse.»
Des silences qui en disent long
Même constat pour le quotidien algérien El Watan, qui n’hésite pas à mettre dos à dos les deux acteurs de la guerre. Il pointe du doigt la frilosité de l’Algérie, quand la France «se voile la face». L’histoire a trop longtemps été travestie et fait l’objet de manipulations politiques. Trop de silence et d’ellipses dans l’histoire de la guerre d’Algérie. Krim Belkacem, l’un des promoteurs des négociations ne figurent même pas dans les manuels scolaires algériens, regrette le quotidien La Liberté.
«Des pans entiers de la guerre de libération sont tus par l’histoire officielle, l’histoire de ceux qui étaient tapis dans l’ombre et attendaient l’heure de la curée pour tirer les marrons du feu et prendre le pouvoir en 1962. Ceux qui ont marché sur les cadavres pour atteindre Alger à partir des frontières ont pensé d’abord à s’approprier l’histoire, la façonner à leur guise, effacer ceux qui l’ont faite», écrit avec amertume l'editorialiste d'El watan.
La fille de Krim Belkacem pousse le même cri d’alarme, effarée par l’ignorance des nouvelles générations, notamment sur les négociations qui ont mis fin à la guerre. De toute façon, le temps fera le reste. «Il faut que la jeune génération connaisse le vrai parcours de la Guerre de Libération et sache ce que Krim Belkacem a donné», a-t-elle dit.
Les responsables français ont également intérêt à ce que cette histoire ne remonte pas trop à la surface. Les témoignages d’anciens appelés sur l’utilisation de la torture ne redore pas le blason de la France coloniale. Au contraire, si l'on en croit la presse algérienne. La France, qui a tenté de se donner un «rôle civilisateur» à travers la loi du 23 février 2005, espère encore cacher ses crimes commis en Algérie. Un passé peu glorieux, rappelle de nombreux titres algériens.
Des deux côtés de la Méditerranée, l’histoire reste à construire, au-delà des mémoires divergentes qui sèment trop souvent la discorde. Un défi au programme d’un séminaire intitulée «Méditerranée, une histoire commune?», organisé à Marseille du 30 mars au 1er avril 2012, relaie le Quotidien d'Oran.
Nadéra Bouazza
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