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Forum mondial de l’eau: quand l’Afrique se prend en main
En retard en matière d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, les pays d’Afrique ont montré une volonté ferme de résoudre leurs problèmes, lors du Forum mondial de l’eau, à Marseille.
Au sixième Forum mondial de l’eau, qui s’est déroulé du 12 au 17 mars à Marseille, l’Afrique était massivement représentée. Ministres, maires, responsables de sociétés des eaux, société civile… Ils étaient nombreux à ce rendez-vous qui a lieu tous les trois ans, et pas seulement pour chercher des financements.
L’Afrique, 15% de la population mondiale, abrite seulement 9% des réserves en eau —des réserves qui vont en diminuant, en raison de la sécheresse et du changement climatique. Dix ans après le Sommet de la terre à Johannesburg, ce Forum mondial de l’eau a confirmé de nouvelles tendances dans les rapports Nord-Sud. C’est de plus en plus clair: les Africains veulent se prendre en main.
L’Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) qui concerne l’eau a déjà été atteint, de manière globale. Le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau a été réduit de moitié par rapport à 1990, avec 89% de la population mondiale ayant fin 2010 accès à «des sources améliorées» d’eau potable, selon les Nations unies. Quelque 26 pays africains sont en passe d’atteindre ce volet important de l’OMD sur l’eau.
L’autre volet concerne l’assainissement, un domaine dans lequel l’Afrique et le monde accusent toujours du retard. Pas moins de 2,6 milliards de personnes vivent sans assainissement sur la planète. Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Afrique du Sud, Botswana et Angola: seulement 8 des 54 pays africains devraient réussir à réduire de moitié, d’ici 2015, la part de la population sans accès à un système d’épuration des eaux, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Les défis à relever
Ceux qui restent à la traîne mettent le paquet pour relever le défi. Au Burkina par exemple, Ouagadougou est en train de doubler sa capacité de prodution et de distribution d’eau, avec le concours de divers bailleurs de fonds, pour faire passer le taux d’accès à l’eau potable de 87% à 97% d’ici 2015. En milieu rural, le Burkina Faso veut voir passer ce taux de 62% à 75%. Au Niger, pas non plus question de se voiler la face:
«Il faudra réhausser le taux de couverture en eau de 74% à 85% au mininum en milieu urbain, et de 48% à 58% en milieu rural avant 2015, explique Issoufou Issaka, ministre de l’Hydraulique et de l’Environnement. Si nous voulons être au rendez-vous des OMD, il nous faut un taux de croissance annuel de 3% dans les réalisations des points d’eau. Nous en sommes loin et nous avons de gros efforts à faire, aussi bien en interne qu’au niveau de la coopération internationale, pour multiplier par deux le rythme d’accroissement des réalisations».
Tout un symbole: plusieurs pays africains ont décidé de mettre au pot, pour accélérer le financement de l’Initiative pour l’alimentation en eau et l’assainissement en milieu rural (IAEAR), qui n’intéresse pas grand monde.
Des Etats aussi pauvres que le Tchad et le Niger se sont engagés, aux côtés de nations mieux loties —Congo, Côte d’Ivoire et Afrique du Sud—, pour alimenter ce fonds en même temps que des partenaires du Nord, comme la Suisse, l’Italie et la France. L’IAEAR, gérée par la Banque africaine de développement (BAD) depuis 2003, n’a rassemblé que 175 millions de dollars, sur les 400 millions nécessaires d’ici 2015.
Le Niger a notamment annoncé qu’il donnerait 1 millions d’euros en 2013, pour ce fonds qui servira à financer 31 projets dans 23 pays. Donald Kaberuka, le directeur de la BAD, ancien ministre des Finances du Rwanda, est resté modeste à l’annonce de ce sérieux coup d’accélérateur. «C’est le début d’un long voyage. Nous ne règlerons pas nos problèmes d’eau avec un seul forum, un seul fonds ou une seule institution. Il faudra l’engagement de plusieurs pays et de nombreux organismes».
Les initiatives exemplaires
Signe des temps qui changent: Donald Kaberuka a demandé au Français Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) de travailler pour lui. Il l’a sollicité pour aider à boucler le tour de table de l’IAEAR.
«Il s’agit d’un changement copernicien dans la stratégie de développement suivie, explique Michel Camdessus. Cette stratégie n’est plus "supply driven", orientée vers l’offre des bailleurs de fonds, avec des ressources tombant du ciel, mais "demand driven", définie par les besoins exprimés par les pays africains. De récipiendiaires, des pays deviennent contributeurs. C’est tout à fait important!»
Parmi les grandes initiatives exemplaires, la gestion transfrontalière du fleuve Niger, voulue par quatre pays, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina. Ces quatre pays se sont engagés à lutter contre les problèmes qui guettent le troisième fleuve d’Afrique, parmi lesquels la sécheresse et la pollution.
De son côté, l’ONG française Eau Vive, soutenue par l’Agence française de développement (AFD), a lancé le mouvement «A l’eau l’Afrique! A l’eau le monde!». Dans six pays d’Afrique de l’ouest (Bénin, Burkina, Mali, Niger, Sénégal et Togo) des forum nationaux ont été organisés par les ministères gérant l’eau, de décembre 2011 à février 2012, pour que tous les acteurs, de la base au sommet, puissent discuter et décider ensemble des priorités et des actions à mener. Au Sénégal, 450 acteurs du secteur de l’eau se sont ainsi retrouvés au stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, pendant trois jours en décembre, pour se concerter. Il a été question du droit à l’eau, du prix de l’eau, mais aussi de la protection de l’environnement, Le dernier jour, des jeunes des écoles ont porté le message du Forum, des banlieues vers la place de l’Obélisque à Dakar, avant une soirée de musique donnée par les parrains du forum, les chanteurs Baaba Maal et Touré Kunda.
A l'issue du forum
Mame Sakho Diallo, responsable de la mobilisation sociale pour Eau Vive au Sénégal, a été aux avant-postes de ce projet participatif. Cette militante de l’eau insiste:
«L’idée était de porter la concertation jusqu’à Marseille, mais une fois rentrés au pays, il faudra continuer de discuter et de se concerter. Ce sont nos forums! A nous de définir nos problèmes, nos solutions, et de prendre nos responsabilités. Si nous restons les bras croisés en attendant que les autres règlent nos problèmes, il ne se passera jamais rien…»
En 2009, le précédent Forum mondial de l’eau, organisé en Turquie, avait débouché sur le pacte d’Istanbul. Cet accord international, signé de manière volontaire par 800 collectivités locales de 49 pays, a fixé des objectifs précis et mis en place des projets pilote. La place des collectivités locales a été réaffirmée à Marseille, et beaucoup de villes africaines étaient présentes, comme Harare, capitale du Zimbabwe, dont le maire Mushayédi Masinda a fait le déplacement.
Sabine Cessou, à Marseille
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