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Faut-il craindre une menace peule au Sénégal?
Pour contrer l'avancée de Macky Sall, dans la course à la présidence sénégalaise, les partisans d'Abdoulaye Wade brandissent l'épouvantail d'une menace peule dans le pays.
Mise à jour du 25 mars: Les Sénégalais votent pour le second tour de l'élection présidentielle devant départager le chef de l'Etat sortant, Abdoulaye Wade, et son ex-Premier ministre Macky Sall, qui, fort du soutien de toute l'opposition, part favori. Près de 5,3 millions d'électeurs sont appelés à voter. Le scrutin se déroule dans quelque 11.900 bureaux de vote à travers tout le pays, 08H00 à 18H00 (heures locales et GMT).
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Un mauvais vent souffle sur le Sénégal. Faire ce constat n’a rien d’alarmiste, au regard de certaines déclarations responsables politiques, au lendemain du premier tour de la présidentielle, dans ce pays. Après que Macky Sall, ancien Premier ministre d'Abdoulaye Wade, a défait son ex-mentor à Pikine (ville la plus peuplée du Sénégal, à quinze minutes en voiture de Dakar, la capitale), la responsable libérale de cette localité, et non moins ministre de la République, a dénoncé un «vote ethnique» en faveur de Macky Sall. Elle faisait ainsi écho au chef de l’Etat qui, lui-même, au cours de la campagne, face à la démonstration de force de son ancien collaborateur, a commis une embardée verbale qui fait froid dans le dos:
«Si j’avais demandé aux wolofs de voter pour moi, uniquement pour moi et que les diolas en fassent de même, où est-ce que cela nous mènerait? C’est irresponsable. Ce genre de discours ethniciste ne doit pas passer. Car, pour gagner une présidentielle, il faut avoir un programme.»
Qu’un président de la République, censé incarner l’unité de la nation, puisse soutenir de telles calembredaines, en toute impunité, suscite bien des interrogations.
Provocations à tout-va
On a l'impression d'assister à une compétition d’apprentis sorciers: c’est à qui sortira la petite phrase la plus nauséabonde sur la communauté peule. Par désir de ne pas répondre à une provocation malsaine et refusant le piège des «identités meurtrières», pour reprendre le terme d'Amine Maalouf, les intellectuels issus de cette communauté ont, jusque-là, évité de polémiquer avec des «idéologues de sous-préfecture». Mais l’on aurait tort de prendre leur silence assourdissant pour de la faiblesse.
Au nom de quoi se permet-on de stigmatiser toute une ethnie, là où l’on rampe devant d’autres communautés? Quand Idrissa Seck gagne à Thiès, Abdoulaye Wade à Kébémer et Moustapha Niasse à Kaolack, c’est «normal». Mais il suffit que Macky Sall gagne au Fouta, même en perdant symboliquement à Nguidjilone, d’où est originaire sa mère, pour que l'on entende des cris d’orfraie et que l'on agite l’épouvantail du «péril peul». En prétendant à la magistrature suprême, Macky Sall s’expose naturellement à des critiques légitimes sur sa capacité à diriger le Sénégal. Mais les suspicions et les sommations interpellatives sur son appartenance communautaire sont inacceptables.
Au nom de quoi un joola, un peul, un soninké ou un badiaranké, devraient-ils donner des gages pour occuper le palais présidentiel? Comme si le fait d’appartenir à ces communautés était un vice rédhibitoire incompatible avec les charges de la République! Qu’un «allochtone», comme le candidat Sall, puisse faire ses plus gros scores chez ses cousins à plaisanterie sérère, devrait réjouir et rassurer tous les Républicains sénégalais. Comme c’était l’honneur du Sénégal de voir le musulman Foutanké Seydou Nourou Tall, l’un des marabouts les plus influents de son époque, choisir le camp du catholique sérère Léopold Sédar Senghor (premier président du Sénégal) contre le «Toucouleur» Mamadou Dia, pendant les évènements de 1962.
Passe encore que certains politiciens entrent dans ce genre de considérations honteuses et rétrogrades. Mais qu’un intellectuel de haute facture, comme le politologue Babacar Justin Ndiaye, dans une émission télévisée, puisse évoquer les dangers d’une «République toucouleur», est profondément déplorable. On n’a pas souvenance de l'avoir entendu évoquer une «République Wolof», dans un pays où le président de la République, le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale, le président du Conseil économique et social, le médiateur de la République, le chef d’Etat-major général des armées, sont tous issus de cette communauté.
Le mauvais exemple de la Guinée
Par peur de réveiller les vieux démons, personne ne s’est offusqué de ce déséquilibre, pourtant patent, à la tête de la quasi-totalité des institutions du Sénégal. Pis, l’éminent politologue Babacar Justin Ndiaye, ne craignant pas des raccourcis non seulement erronés mais dangereux, a longuement insisté sur le cas de la Guinée. Pays où, effectivement, pour barrer la route au candidat Cellou Dalein Diallo, arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, les partisans d’Alpha Condé avaient agité la menace du «péril peul», avec une trouvaille qui avait fait frémir: l’«ethno-stratégie». Autrement dit, l’instrumentalisation de l’ethnie à des fins politiciennes.
Dans sa pièce La Résistible ascension d'Arturo Ui, tirant les leçons du cauchemar nazi, Bertolt Brecht, avait lancé la mise en garde suivante:
«Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.»
Les politiciens sénégalais devraient se garder d’ouvrir une boite de Pandore aux conséquences incalculables.
Barka Ba
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