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Nicolas Sarkozy en meeting à Villepinte le 11 mars 2012. REUTERS/Charles Platiau
Nicolas Sarkozy en meeting à Villepinte le 11 mars 2012. REUTERS/Charles Platiau

Sarkozy n’a rien concédé aux harkis

Le président sortant refait les mêmes promesses que lors de la campagne de 2007. La République reconnaît qu’il y a eu une injustice mais elle ne demande pas pardon.

Mise à jour du 15 avril: A une semaine du premier tour de la présidentielle, Nicolas Sarkozy a respecté une de ses promesses de 2007 en reconnaissant officiellement hier la "responsabilité historique" de la France dans "l'abandon" des harkis à la fin de la guerre d'Algérie en 1962.

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Nicolas Sarkozy a-t-il rendu justice aux harkis? A en croire la majorité des médias français, c’est chose faite depuis son déplacement au centre méditerranéen universitaire de Nice le 9 mars 2012. S’exprimant non seulement en tant que candidat à l’élection présidentielle mais aussi en tant «que chef de l’Etat», le président français a affirmé que

«les harkis ont le droit à ce respect, à cette reconnaissance, et ont le droit qu'on leur dise qu'à l'époque, les autorités françaises ne se sont pas bien comportées à l'endroit de ceux qu'elles auraient dû protéger et qu’elles n’ont pas protégé ».

Autre déclaration importante, Sarkozy a insisté sur le fait que «les harkis et leurs familles ont le droit au respect» et qu’«insulter un harki, c'est insulter un soldat français».

Pour mémoire, le Parlement français a récemment adopté une proposition de loi de l’UMP visant à pénaliser «la diffamation et l'injure envers les harkis». Pour la députée UMP Sophie Joissans, ce texte, au-delà de sa portée juridique (La diffamation contre les forces supplétives, dont les harkis, est désormais passible de 45.000 euros et l'insulte de 12.000 euros d'amende) marque la reconnaissance de «la dette de la Nation [française] à l'égard des forces supplétives et des harkis en particulier».

Sarkozy s’était engagé à faire des excuses aux harkis

Textes de lois pour punir la diffamation et l’injure envers les harkis, reconnaissance par Sarkozy des injustices commises à l’encontre de ces supplétifs de l’armée française dont une partie à été abandonnée à son sort en Algérie après l’indépendance tandis qu’une autre était parquée dans des camps à leur arrivée en France: faut-il en conclure que les comptes sont désormais soldés et que le président-candidat a tenu les promesses formulées durant sa campagne électorale de 2007?

Rappelons qu’à l’époque, il s’était engagé à faire des excuses aux harkis et à leur octroyer des réparations financières. Des promesses qui, malgré le discours de Nice, sont loin d’être tenues. En réalité, Sarkozy n’a rien concédé aux harkis. D’abord, il n’est plus question de compensation financière, l’entourage du chef de l’Etat qualifiant le discours de Nice de «réparation morale». Mais il y a plus important. Il faut, en effet, analyser la forme et le fond du discours de Nicolas Sarkozy pour se rendre compte que, finalement, il n’accorde pas grand-chose aux harkis et qu’il a même tendance à escamoter leurs revendications.

Ainsi, le candidat-président n’a-t-il pas demandé pardon de manière solennelle aux harkis. C’est ce qu’attendent pourtant de nombreuses associations de harkis qui ont en tête le discours de Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs durant l’occupation allemande.

De même, attendent-elles une reconnaissance sans ambigüité de la responsabilité de la France dans ce qu’a été le sort des harkis. Qu’a-t-il dit Sarkozy? Examinons le passage de son discours de Nice où il veut solder les comptes :

«Pour que vous puissiez pardonner, il faut que la République reconnaisse qu’il y a une injustice, qu’il y a eu une forme d’abandon, c’est fait. Maintenant, pardonnez, parce que la République a besoin de vous», a-t-il ainsi déclaré à Nice.

Une forme d’abandon involontaire

Donc la République reconnaît qu’il y a eu une injustice mais elle ne demande pas pardon. Plus étonnant encore, le candidat-président parle d’«une forme d’abandon» et non pas d’ «un abandon» pur et simple. Cette nuance est tout sauf fortuite. Elle vise à minimiser les faits voire à les relativiser.

Une forme d’abandon, cela peut-être un abandon involontaire, accidentel ou marginal. Or, abandon il y a eu, et il était volontaire et voulu dans les plus hautes sphères de l’Etat français.

Abandon mais aussi parcage dans des camps en France: une séquence sombre de l’histoire de France que Nicolas Sarkozy n’a pas voulu aborder de manière claire. On peut y voir du cynisme, un certain détachement mais aussi du mépris et l’expression d’une position selon laquelle les harkis ne sauraient exiger et obtenir plus.

On appréciera ainsi à sa juste valeur le «C’est fait. Maintenant, pardonnez parce que la République a besoin de vous». Ce qui revient à dire, maintenant ça suffit, on vous a dit qu’on reconnaît qu’il y a eu une injustice. Les jérémiades et les plaintes, c’est terminé…

Dès lors, on comprend aisément pourquoi certaines associations de harkis n’ont pas caché leur mécontentement au lendemain du discours de Nice à l’image d’Ajir pour les harkis.

«Ce n’est pas la reconnaissance de la "dette" de la France envers les harkis, qui était attendue mais la concrétisation du “Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis et d’autres milliers de musulmans français qui lui avaient fait confiance, afin que l’oubli ne les assassine pas une nouvelle fois” ».

Des propos que Nicolas Sarkozy avait tenus durant la campagne 2007 et qu’il a visiblement oublié…

Akram Belkaïd

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

Ses derniers articles: Le pays où le mensonge est la règle  Ces mots qui tuent le français  Le monde arabe à l'heure du Web 

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