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November 29, 2010, by colindunn via Flickr CC
November 29, 2010, by colindunn via Flickr CC

WikiLeaks, nouveau téléphone arabe

Quel rôle les câbles révélés par WikiLeaks ont-ils joué dans les soulèvements du monde arabe?

Depuis que les premiers câbles de Tunis ont été divulgués le 7 décembre 2010, dévoilant au monde que la famille étendue du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali était une «quasi-mafia» et que la demeure «extravagante» de son gendre renfermait non seulement une piscine à débordement, mais également un tigre qui se repaissait de «quatre poulets par jour», WikiLeaks est intimement associé aux révolutions. Le soulèvement tunisien a en effet débuté dix jours après ces révélations, et ses ondes de choc se sont propagées dans tout le monde arabe.

S’il est un peu poussé d’affirmer que ces câbles sont responsables des manifestations, il est certain qu’ils ont permis aux peuples arabes de constater sans détour comment Washington voyait leurs dirigeants: en Égypte, la nature du bref mandat de vice-président d’Omar Souleiman a été éclairée par quelques câbles évoquant sa flagornerie auprès d’Israël, de la CIA et du président Hosni Moubarak.

Et l’image dans le monde occidental du dirigeant libyen en difficulté, le colonel Mouammar al-Kadhafi, a pris une tournure scabreuse après la fuite d’un premier câble sur ses «inclinations personnelles». Non seulement WikiLeaks a-t-il révélé l’existence de sa voluptueuse infirmière ukrainienne au monde, mais il a aussi formulé des décennies de pouvoir:

«S’il est tentant d’interpréter ses nombreuses excentricités comme des signes d’instabilité», peut-on lire dans le câble, «Kadhafi est un individu compliqué qui a réussi à se maintenir au pouvoir pendant quarante ans en équilibrant habilement intérêts et méthodes de realpolitik.»

Maintenant que les révolutions entrent dans leur quatrième mois, que deux gouvernements ont été renversés et que d’autres vacillent, les câbles de WikiLeaks ne font-ils plus que raconter un monde qui a cessé d’exister? Ou WikiLeaks peut-il encore être lu le regard tourné vers le nouvel avenir arabe?

Foreign Policy s’est replongé dans les archives de WikiLeaks pour dénicher le meilleur des câbles sur le monde arabe et retrouver ceux qui influenceront les révolutions d’aujourd’hui et celles de demain.

Les valeurs de la famille Kadhafi

Des mois avant que la révolte n’éclate en Libye le 25 février dernier, les particularités du cercle intime du colonel Mouammar al-Kadhafi avaient déjà été révélées aux yeux du monde. Des câbles WikiLeaks datés de mars 2009 détaillent les prises de bec de la famille Kadhafi, qui opposaient un fils —le réformateur d’autrefois Saif al-Islam— à son frère Moatassim, le conseiller en sécurité aux idées radicales et aux costumes lustrés.

Pendant ce temps, la fille de Kadhafi était chargée de «surveiller les activités des propres à rien» —tâche dont elle ne s’est pas si bien tirée à la lumière du ramdam diplomatique qui a suivi l’arrestation de l’un des fils Kadhafi en Suisse pour agression sur membres du personnel d’un hôtel de luxe à Genève.

La publication d’un autre câble, rapportant que Kadhafi «s’appuie beaucoup» sur une infirmière ukrainienne «blonde et voluptueuse» fut aussi au moins partiellement responsable du rappel à Washington de l’ambassadeur américain en Libye.

Si les remarques publiques de Kadhafi semblent souvent suggérer qu’il vit sur une autre planète, le colonel a très vite compris que le soulèvement du monde arabe menaçait son règne de quarante années. Dans un discours prononcé le 15 janvier déplorant la chute du dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, il a attaqué WikiLeaks en traitant l'organisation de «Kleenex» et s’en est même pris à Internet, qu’il a qualifié d’outil sur lequel «peut écrire n’importe quel fou, n’importe quel ivrogne aviné».

Intrigue égyptienne

Avant que la politique ne soit bouleversée par des millions de manifestants exigeant la fin de l’immobilisme, les intellectuels avaient la quasi-certitude que le président Hosni Moubarak serait un jour remplacé par son fils Gamal ou par son conseiller en sécurité nationale Omar Suleiman.

À l’époque où il semblait que Moubarak s’était assuré une succession solide, WikiLeaks avait publié plusieurs câbles du département d’État détaillant les intrigues de palais dans la lutte pour la succession, dévoilant notamment que «malgré une hostilité palpable à sa succession et de potentiels obstacles, aujourd’hui la voie semble libre pour Gamal». À présent que Gamal se terre à Charm el-Cheikh avec son père et que le gouvernement a gelé ses avoirs, cette voie est irrémédiablement fermée.

Suleiman, que Moubarak avait nommé vice-président dans le vain espoir de calmer la colère des manifestants fin juin, a également fait un certain nombre de remarquables apparitions dans WikiLeaks. Un câble décrit par exemple l’ancien chef des services d’espionnage comme le «consigliere» de Moubarak —jugement qui pourrait bien expliquer pourquoi le peuple égyptien doutait qu’il constituât un remplacement adéquat au président.

Les faux pas d’Al-Jazeera

La secrétaire d’État Hillary Clinton s’est jointe au concert de louanges du monde arabe félicitant Al-Jazeera pour sa couverture 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 des soulèvements au Moyen-Orient. Mais certains câbles de WikiLeak suggèrent que les diplomates américains ne sont pas toujours convaincus que le réseau soit la source d’informations courageuse et objective qu’il prétend être. Ces câbles ont en effet révélé que le gouvernement qatari, propriétaire d’Al-Jazeera, utilise la station comme un «outil de négociations» dans sa diplomatie avec des pays étrangers.

Le câble notait que la couverture de plus en plus favorable de l’Arabie Saoudite par Al-Jazeera avait graissé les rouages de la réconciliation entre le Qatar et l’Arabie Saoudite, et suggérait que la couverture des États-Unis par le réseau de médias soit intégrée aux discussions des diplomates américains avec les hauts fonctionnaires qataris.

Les excès tunisiens

Le régime du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, le premier domino à être tombé dans le monde arabe, a fait l’objet de révélations particulièrement accablantes sur WikiLeaks. Les diplomates américains ont décrit la clique Ben Ali comme «La Famille» qui dirigeait la Tunisie pour son intérêt personnel. Les câbles révélaient aussi que l’ex-première dame Leila Trabelsi, devenue le symbole abhorré de la rapacité du régime, a tiré un profit substantiel de la vente d’une école privée.

Ces informations étaient si accablantes qu’elles ont inspiré TuniLeaks, site Internet dérivé intégralement dédié aux câbles de Tunisie. Il est évident que le message a atteint les Tunisiens en plein cœur: après la fuite de la famille Ben Ali en Arabie Saoudite, des pillards se sont attaqués aux maisons des familles Trabelsi comme à des symboles de la corruption de l’ancien régime.

Les signaux contradictoires de Téhéran

Les câbles de WikiLeaks ont révélé l’ampleur de l’antipathie ressentie par les régimes du Golfe Persique à l’égard de l’Iran, notamment celle du roi saoudien Abdullah qui a demandé aux États-Unis de «couper la tête du serpent» à Téhéran.

Mais les câbles ont aussi révélé l’agacement certain des représentants américains face à la bravade arabe contre les rivaux persans. Les Saoudiens veulent toujours «combattre les Iraniens jusqu’au dernier Américain», aurait grincé le secrétaire à la Défense Robert Gates en février 2010.

Plusieurs autres câbles décrivent les tentatives des représentants américains de se colleter avec les signaux contradictoires envoyés par la République islamique. Ainsi le paragraphe d'un câble est-il intitulé «BONNE CHANCE POUR TROUVER QUI EST AUX COMMANDES À TÉHÉRAN», tandis qu’un autre se contente d’avertir: «SOYEZ-PRÊT À AFFRONTER L’INCERTITUDE».

Le double jeu du Yémen

Le président Ali Abdullah Saleh a été fort occupé à tenter d’étouffer les nombreuses révoltes déclenchées dans son pays pauvre, et à Sanaa, des manifestations sont aujourd’hui régulièrement organisées.

Les câbles de WikiLeaks ont révélé que Saleh a joué un double jeu avec les États-Unis, en utilisant pour réprimer un soulèvement purement national des armes que l’État américain lui avait fournies pour combattre al-Qaida. Malgré les promesses faites par Saleh au général David Petraeus, l’ambassadeur américain a rapporté que l’unité antiterroriste «a été incapable de poursuivre des cibles authentiquement terroristes comme al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa) tant qu’elle est restée à Sa'ada», province du nord au cœur de l’autre révolte.

Les câbles de WikiLeaks prouvent que les efforts de Saleh pour tirer parti du soutien américain tout en évitant de passer pour le laquais des États-Unis aux yeux de son peuple ne datent pas d’hier. Le 2 mars 2011, il s’est vu contraint de s’excuser auprès de l’administration d’Obama après un discours dans lequel il prétendait «qu’une salle d’opérations de Tel Aviv» dirigée par la Maison Blanche essayait de déstabiliser le monde arabe. Comme l’atteste cette pagaille diplomatique, Saleh a de plus en plus de mal à ménager la chèvre et le chou.

Foreign Policy

Traduit par Bérengère Viennot

Foreign Policy

Les articles signés Foreign Policy ont d'abord été publiés en anglais sur le site Foreign Policy, magazine en ligne américain de Slate Group, spécialisé dans les affaires étrangères et l'économie.

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